Chacun de nous a la même hantise : perdre son emploi - lorsqu'on en a un - parce que l'entreprise dans laquelle on évolue fait faillite ou réduit ses effectifs. Ce qui arrive bel et bien chaque année en moyenne à 2,2% des employés canadiens ayant au moins un an d'ancienneté. Mais ce que l'on sait moins en général, c'est le calvaire qui en découle pour les individus concernés. Oui, un calvaire, le terme n'est pas excessif, comme vient de le mettre en évidence de manière éloquente l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans une étude intitulée Retrouver du travail au Canada. Un calvaire qui de surcroît pourrait ne pas l'être, si quelques mesures concrètes préconisées par les auteurs de l'étude étaient adoptées par le Canada.
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Ainsi, à peine la moitié des licenciés économiques retrouvent un emploi dans un délai d'un an, et moins des deux tiers dans un délai de deux ans, d'après les données de l'Organisation. En guise de comparaison, il s'agit là d'un taux de retour à l'emploi moins bon que ceux en vigueur en Australie, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et en Suède, et à peu près comparable à ceux observés en Corée du Sud et au Japon.
Ce n'est pas tout. En effet, 1 licencié économique au Canada sur 5 subit dès lors une baisse de son salaire horaire de 25% ou plus. En moyenne, les revenus réels annuels, à l'exclusion des indemnités, chutent littéralement de 60% l'année suivant la perte d'emploi! Comment expliquer une telle dégringolade? Les experts de l'OCDE voient là la combinaison de trois facteurs :
> Un salaire horaire moins élevé dans le nouvel emploi;
> Un nombre annuel d'heures travaillées moins important en raison de la période de chômage;
> Un temps de travail inférieur dans le nouvel emploi.
À noter que ces deux derniers facteurs pris ensemble représentent, au cours de l'année suivant le licenciement, l'équivalent d'une perte de de presque sept mois du salaire annuel de l'emploi précédent.
Les principales victimes? Ce sont les employés expérimentés, à savoir ceux ayant une longue ancienneté, «surtout en période de récession économique». Parce qu'il leur est beaucoup plus difficile de retrouver un emploi après un licenciement. Parce que, lorsqu'ils en retrouvent tout de même un, leur nouveau salaire est alors sensiblement inférieur au précédent. Et parce que souvent l'emploi retrouvé est à temps partiel, alors que le précédent était en général à temps plein.
Bon. Certains d'entre vous diront qu'il n'y a là rien de nouveau, qu'ils savaient tout ça depuis fort longtemps. Peut-être. Mais à ceux-là j'ai une question à leur poser : saviez-vous également qu'il serait tout à fait possible de ne pas faire un cauchemar de cette période de vie qui est déjà difficile à traverser en soi? Oui, saviez-vous qu'il suffirait de pas grand-chose pour permettre à chaque licencié économique - en particulier les plus vulnérables d'entre eux (les employés expérimentés) - de rebondir plus aisément? Hum, ça, je pense que non, vous ne le saviez pas. Voici les explications de l'Organisation...
> Il est difficile pour les licenciés économiques de s'orienter dans le système d'aides
Au Canada, les dispositifs de soutien au revenu et d'aide à l'emploi relèvent de différentes juridictions. Les autorités fédérales délivrent l'assurance-emploi aux licenciés économiques éligibles, tandis que l'aide au retour à l'emploi est apportée par les provinces, tout en étant cofinancée par les autorités fédérales et provinciales.
«Cette structure génère un certain nombre de problèmes», soutiennent les experts de l'OCDE. Par exemple, le suivi de la recherche d'emploi d'un chômeur et les sanctions imposées à celui qui ne respecte pas ses obligations à cet égard relèvent de différentes instances, si bien que cela complique la mise en place d'une stratégie efficace de retour à l'emploi. Autre exemple : l'offre de formation diffère d'une province à l'autre (en raison de certifications distinctes), ce qui freine la mobilité de la main-d'oeuvre à l'échelle du pays.
En conséquence, «la mise en place d'un 'guichet unique' pour l'ensemble des services, sous l'égide de Service Canada ou des services publics de l'emploi (SPE) des provinces, serait une solution idéale», préconisent les expert de l'Organisation.
> Les emplois ne sont pas assez protégés
À la différence de ce qui se pratique dans la plupart des pays membres de l'OCDE, les entreprises au Canada ne supportent aucun coût direct du chômage partiel lié au nombre de travailleurs ayant recours au programme Travail partagé, le dispositif fédéral de chômage partiel permettant aux employeurs confrontés à une baisse temporaire de leur chiffre d'affaires de conserver leurs employés en réduisant la durée de travail. «Faire peser une partie des coûts sur les employeurs les amènerait à veiller à ne recourir à ce dispositif que pour les travailleurs dont ils sont absolument certains de vouloir conserver une fois la subvention arrivée à échéance», et donc à être moins rapides sur la gâchette en matière de 'licenciement partiel' lorsqu'une difficulté survient.
> Les licenciés individuels sont trop laissés à eux-mêmes
Lorsqu'un licenciement collectif est annoncé par une entreprise, aussitôt se met en place une aide rapide à l'adaptation pour chacune des personnes concernées. À l'image des Comités d'aide au reclassement (CAR) au Québec, dont la mission consiste à aider les licenciés à faire face au stress qu'engendre la perte de leur emploi, puis à rebondir.
Le hic? C'est que rien de tel n'existe vraiment au Canada quand il s'agit d'un licenciement individuel, et non collectif. À l'exception notable du Québec, où l'on peut être orienté vers le Comité d'aide au reclassement à entrées continues (CREC), lequel est chargé de répondre aux besoins spécifiques des uns et des autres. «Une approche prometteuse, mais dont l'efficacité est difficile à apprécier en l'absence d'évaluation rigoureuse», estiment les auteurs de l'étude.
Du coup, de nombreux licenciés individuels doivent utiliser par eux-mêmes les ressources de placement de Service Canada ou des agences et prestataires de services à l'emploi locaux. «Le jeu des règles régissant les indemnités de licenciement et l'accès à l'assurance-emploi fait que certains d'entre eux n'entrent en contact que tardivement avec Service Canada et très certainement aussi avec le SPE, alors qu'ils sont depuis longtemps déjà au chômage», indiquent-ils. Et de souligner : «Ces retards expliqueraient pourquoi 52% des travailleurs licenciés ne retrouvent pas un emploi au cours de la première année qui suit la perte d'emploi».
Que faire? Deux pistes seraient à envisager, d'après les experts de l'OCDE :
> Connecter plus vite les personnes recevant des indemnités de licenciement aux services de l'emploi, en dissociant l'accès à ces services de l'admissibilité aux prestations d'assurance-emploi.
> Durcir les obligations pesant sur les travailleurs pour qu'ils recherchent activement un nouvel emploi et s'inscrivent auprès du SPE durant leur période de préavis, ou dès leur licenciement effectif, qu'ils reçoivent ou non des indemnités de licenciement. «Le non-respect de ces obligations devrait avoir des conséquences sur l'accès à l'assurance-emploi», recommandent-ils.
> Le risque de sombrer dans la pauvreté est réel
La durée de versement des prestations, d'environ dix mois, est plus courte au Canada que dans les autres pays de l'OCDE, de sorte que les licenciés économiques qui connaissent une longue période de chômage risquent de subir une «forte dégradation» de leur niveau de vie. «Si la durée plus courte est de nature à encourager un retour plus rapide à l'emploi, elle peut aussi élever le risque de pauvreté pour les catégories les plus vulnérables de travailleurs licenciés, surtout compte tenu des critères stricts régissant l'accès aux prestations de dernier recours comme l'aide sociale», indiquent les experts de l'Organisation.
Comment remédier à cette situation dramatique? Deux mesures alternatives devraient être envisagées pour compenser les pertes de salaire importantes subies par les travailleurs expérimentés, selon eux. Soit :
> Prolonger la durée des prestations d'assurance-emploi, avec un taux de remplacement dégressif en fonction de la durée du chômage.
> Adopter un dispositif d'assurance-salaire, à savoir une subvention permettant de combler au moins en partie l'écart entre le nouvel emploi et le précédent pour ceux qui acceptent un nouvel emploi moins bien rémunéré. «L'assurance-salaire est de plus en plus considérée comme une bonne manière de compenser une partie des pertes de revenu persistantes subies par certains travailleurs licenciés, en particulier les travailleurs âgés», soulignent les auteurs de l'étude.
Voilà. Retrouver un emploi est loin d'être chose aisée au Canada, l'étude de l'OCDE en atteste sans ambiguïté. Mais surtout, il semble possible d'atténuer les difficultés rencontrées par les personnes les plus vulnérables, si seulement des décisions politiques étaient prises en ce sens. C'est du moins ce que soutienne les experts de l'Organisation. Reste à savoir si cela fera vibrer une corde sensible chez les candidats au poste de premier ministre du Canada, ou pas...
En passant, Harry Truman, le 33e président des États-Unis, disait : «Il y a récession quand votre voisin perd son travail, dépression quand vous perdez le vôtre».
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