BLOGUE. Mea culpa. Connaissez-vous réellement ce terme? Il vient du latin et signifie «par ma faute». Il vise à avouer sa faute à autrui, et à s’en repentir. Maintenant, considérez-vous avoir déjà vu quelqu’un faire son mea culpa? Un vrai, un sincère? Pas évident…
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Pourquoi? Parce que présenter des excuses sincères relève ni plus ni moins de l’art. Non, je n’exagère pas. Je l’ai appris hier dans une étude fort intéressante, intitulée Apologies, their use and meanings : A course module, et signée par Hershey Friedman, professeur, affaires et marketing, de la School of Business du Brooklyn College, et Linda Friedman, professeure, statistiques, de la Zicklin School of Business. Une étude qui souligne à quel point il est difficile de faire de véritables excuses…
Savoir présenter des excuses est une qualité incontournable pour tout leader digne de son nom. Tout simplement parce que lui et son équipe commettront un beau jour une erreur, voire une grosse erreur, ou encore une énorme gaffe, et n’auront d’autre possibilité que de s’excuser. Et cela ne servira à rien si personne ne croit en la sincérité des excuses.
Prenons quelques exemples récents… Bill Weldon, le PDG de Johnson & Johnson, s’est excusé devant le Congrès américain l’an dernier pour une série de produits qui ont dû être rappelés, en raison de vices de fabrication. Le hic? Cela n’a rien changé : dans les mois qui ont suivi, les rappels se sont poursuivis. Très mauvais pour l’image de la marque…
De son côté, Kevin Rose, le fondateur de Digg, a présenté des excuses répétées l’an dernier pour avoir mis en ligne des contenus incitant à la haine. Là encore, le problème est le même : cela n’a rien changé, on trouve toujours de tels contenus sur le site Web. Résultat : en mai dernier, M. Rose a quitté Digg.
Idem, Akio Toyoda, le président de Toyota, s’est platement excusé l’an dernier pour un problème de pédale d’accélération de nombreux véhicules, qui ont été rappelés après une série d’accidents mortels aux Etats-Unis. Une fois de plus, ces excuses n’ont servi à rien, puisque les rappels ont continué dans les mois suivants.
On le voit bien, le scénario est grosso modo chaque fois le même :
1. Le PDG fait des excuses publiques et dit assumer toute la responsabilité de l’erreur commise;
2. La haute-direction de l’entreprise décide de passer à l’action pour corriger le tir;
3. Le PDG reprend la parole au besoin pour confirmer que tout est mis en œuvre pour résoudre le problème;
4. Personne ne comprend vraiment d’où vient le problème ni qui est à l’origine de celui-ci;
5. Les erreurs se reproduisent, et chacun fait en sorte de ne pas avoir à porter le chapeau;
6. Quelques têtes tombent;
7. Un nouveau problème surgit, qui fait oublier le précédent;
8. Et le cycle redémarre.
Idéalement, ces hauts-dirigeants n’auraient pas dû présenter d’excuses, car les conditions n’étaient pas réunies pour cela. C’est ce qu’explique Nick Smith, professeur de philosophie de l’University of New Hampshire, dans son livre I was wrong : The meaning of apologies. D’après lui, les véritables excuses comportent nécessairement les neuf éléments suivants :
1. Chacun doit reconnaître qu’une erreur a été commise et chercher à comprendre comment celle-ci a pu se produire;
2. Le responsable de l’erreur (une personne, une équipe, etc.) doit assumer l’entière responsabilité de ce qui s’est passé, et donc pâtir des conséquences de celle-ci;
3. Celui qui présente des excuses doit dire que ce qui a été fait était une erreur;
4. Celui qui présente des excuses doit utiliser les mots «J’avais tort»;
5. Celui qui présente des excuses doit exprimer des regrets sincères;
6. Si la victime exige des excuses publiques ou par écrit, cela doit être fait (sans aller pour autant jusqu’à s’humilier devant tout le monde…);
7. Celui qui présente des excuses doit réparer l’erreur, ou du moins offrir une compensation monétaire;
8. Quand on s’excuse, on ne doit le faire que pour des choses qui sont de notre responsabilité (surtout pas au nom d’autres coresponsables…);
9. Les excuses présentées doivent être sincères.
En résumé, les vraies excuses viennent toujours du cœur, pas de la tête. Il ne doit y avoir aucun calcul, du genre «Ça nous permettra de sauver la face et de ne pas perdre trop de parts de marché». Il faut que ça vienne de nous, de notre blessure personnelle du fait qu’une telle erreur ait pu être commise, malgré les meilleures intentions du monde. Oui, il faut alors faire acte de contrition…
Il existe d’ailleurs un moyen mnémotechnique pour se souvenir, le moment venu, de ce que doivent comporter de bonnes excuses, les «5 R» :
- Reconnaissance de l’erreur commise et de ses torts;
- Remords;
- Repentir;
- Réparation des torts;
- Révision du système qui a mené à l’erreur commise.
Maintenant, il est aisé de discerner ce qui ne fonctionnait pas dans les excuses présentées publiquement par Bill Weldon, Kevin Rose et autres Akio Toyoda : la sincérité avait beau être là – du moins, on le présume… –, elle ne suffisait pas pour convaincre, il manquait cruellement la volonté farouche de corriger le tir. Rappeler un produit, par exemple, est loin de suffire, il faut par la même occasion en profiter pour modifier en profondeur le processus de fabrication. Ce qui n’a visiblement pas été fait dans les cas présents…
L’écrivain français Jean Giono a fort justement écrit dans La Femme du boulanger : «Quand on cherche des excuses, on a déjà péché dans son cœur»…
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