BLOGUE. Quelle est la dernière fois où vous vous êtes énervé parce que vous estimiez que vous n'en aviez pas pour votre argent? Hier? La semaine dernière? Souvenez-vous… La fois où vous vous êtes fâché contre le serveur qui ne vous apportait pas votre café assez vite. Ou encore, la fois où vous avez tiqué devant un commerçant en découvrant le montant affiché sur la facture qu'il vous présentait. Alors? Ça vous rappelle quelque chose?
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Maintenant, demandez-vous pourquoi vous avez agi ainsi. Oui, prenez le temps d'y réfléchir. Ça y est? Si vous êtes honnête avec vous-même, je suis prêt à parier que vous en êtes arrivé à la conclusion suivante : «Je me suis énervé avant tout pour une raison d'argent». En conséquence, il est normal de s'interroger comme suit : «L'argent rendrait-il désagréable, voire méchant?».
Vous voulez la réponse? OK, la voici : «Oui, avoir de l'argent rend carrément méchant». Je peux l'affirmer car je m'appuie sur plusieurs études récentes sur le sujet.
Pour commencer, un extrait de tournage d'une expérience menée à Berkeley par Paul Piff, un professeur de psychologie… On y voit le comportement de deux étudiants qui jouent au Monopoly, mais de telle façon que l'un va forcément gagner, et l'autre perdre. Le joueur A a au début une mise de fonds de 2000 dollars, le joueur B, de 1000 dollars. A gagne 200 dollars à chaque fois qu'il passe par la case de départ, B empoche 100 dollars. A joue avec deux dés, B un seul.
Que se passe-t-il? Au début de l'expérience, A fait des petits sourires sarcastiques à chaque fois qu'il prend un avantage sur B : quand il avance de plus de cases que lui, quand il touche ses 200 dollars à chaque tour du circuit, etc. À mesure que la situation se détériore pour B, A s'excite de plus en plus, allant jusqu'à faire des petits bisous à son pion (un beau pion, alors que B joue avec un pion moche) quand c'est son tour de jouer. Et quand la fin de partie approche (il était annoncé qu'elle durerait 15 minutes), il joue de plus en plus vite, le visage froid et calculateur, à l'image d'un carnivore qui achève sa victime impuissante. «Nous n'avons pas encore eu le temps de tirer les conclusions de cette étude, mais il semble bien qu'elles vont abonder dans le sens que mes précédentes recherches», a indiqué M. Piff au magazine New York.
Or, ses précédentes études avaient fait sensation, en particulier celle intitulée Higher social class predicts increased unethical behavior et parue en février dernier dans le Proceedings of the National Academy of Sciences. Celle-ci montrait en effet que le fait d'être en haut de l'échelle sociale "déshumanise" les gens. Autrement dit, ceux-ci sont «moins soucieux de l'éthique, plus égoïstes, plus isolés des autres et font preuve de moins de compassion que les autres». Et ce, peu importe l'âge, le sexe, le groupe ethnique, la religion et l'orientation politique des participants.
M. Piff a effectué, pour découvrir cela, de multiples expériences : des questionnaires, des jeux en ligne, des quizz, des tests en laboratoire, d'autres sur le terrain, etc. Il a constaté que ceux qui se considéraient comme étant de «classe supérieure» avaient une plus forte tendance que les autres à prendre des décisions dont l'éthique était douteuse. Ils étaient notamment davantage portés à prendre des articles de valeur aux autres, à mentir lors d'une négociation, à tricher pour augmenter leurs chances de gagner et à approuver des comportements déloyaux au travail.
«Ce qu'on a découvert avec cette étude, c'est qu'avoir de l'argent nous mène à penser d'une façon particulière, et cette façon particulière — d'avoir un peu moins de compassion, un peu moins d'empathie — nous mènerait à avoir un comportement moins éthique», a expliqué à la Presse Canadienne Stéphane Côté, un professeur de comportement organisationnel et de psychologie de l'École de management Rotman qui a collaboré à cette étude. Et d'ajouter : «Ces résultats peuvent nous aider à mieux saisir le comportement de personnes comme Vincent Lacroix et Bernie Madoff, ou encore de politiciens corrompus».
«Cela étant, on ne dit pas que tous ceux qui ont plus d'argent, qui sont riches, qui ont plus d'éducation, sont nécessairement moins éthiques que les autres. On n'indique qu'une tendance», a-t-il dit, en soulignant qu'il y a «de nombreux exemples de comportement éthique de la part de personnes aisées, comme le mécénat».
Bref, ça vient un peu confirmer l'adage voulant que les bons gars finissent derniers. Un adage vérifié par une autre étude récente, intitulée Do nice guys – and gals – really finish last? The joint effects of sex and agreeableness on income. Celle-ci est signée par Thimothy Judge, de l'Université Notre Dame, Beth Livingston, de l'Université Cornell, et Charlice Hurst, de l'École de commerce Ivey.
Les trois chercheurs ont réparti les participants à l'expérience en quatre groupes de quatre personnes, chacun ayant reçu le même nombre de jetons. Il fallait jouer à différents jeux, dans des situations variables, qui en fait se prêtaient à ce que certains – privilégiés par les règles – fassent preuve, s'ils le voulaient, d'égoïsme ou de compassion. Résultat? Dans le contexte concurrentiel de ces jeux-ci, les bons gars avaient bel et bien tendance à finir derniers.
«Si vous êtes une personne très douce – quelles que soient vos compétences –, on risque de ne pas respecter votre autorité. Inversement, si vous êtes dominant et utilisez la force pour garder le pouvoir, les autres vous en voudront et vous le feront payer cher. Pour réussir en tant que leader, il faut donc à la fois démontrer un côté dominant et se faire apprécier d'autrui», a résumé M. Livingston au Kellogg Insight.
Voilà. L'argent a par conséquent une influence indéniable sur notre comportement. Dans le mauvais sens, malheureusement. Reste à savoir une dernière chose : qu'est-ce qui fait qu'une personne se sent riche? Oui, à partir de quand se sent-on fortuné?
La réponse à cette interrogation existentielle a été apportée par une étude de Fidelity, comme l'ont rapporté Les Investigateurs financiers dans leur dernier post de blogue. Nous estimons tous, vous comme moi, que nous serons riches le jour où l'on gagnera un salaire deux fois supérieur à celui que l'on touche actuellement. Si vous gagnez 40 000 dollars par an, vous vous sentirez riche avec une paye de 80 000 dollars. Et si vous gagnez aujourd'hui 10 millions, il vous en faudra 20 millions.
«Cette façon de voir les choses est tout à fait humaine. Un travailleur qui gagne peu s'habitue à dépenser peu (même si parfois il triche avec l'endettement). Et si on lui propose une forte augmentation de salaire, il imaginera tout ce qu'il pourra alors acheter. Après quelques temps de ce nouveau régime de dépenses, une fois qu'il s'y sera habitué, il éprouvera à nouveau le besoin de gagner davantage», disent Les Investigateurs financiers.
En conséquence, on peut supposer qu'une personne qui sait qu'elle gagne deux fois plus qu'une autre se considérera riche par rapport à elle. Et elle risquera donc d'adopter le "mauvais" comportement qu'ont mis au jour toutes ces études.
Vous voilà prévenus. Surtout si vous dirigez une équipe et savez que votre paye est nettement supérieure à celle de vos coéquipiers. Ou si vous devez interagir avec des partenaires moins biens nantis que vous. Car vous risquez de déraper, en voulant "profiter de la situation". L'idéal est dès lors de mieux vous comporter que d'habitude, de faire preuve de davantage de gentillesse, pour ne pas dire de compassion. Sinon, vous en paierez inévitablement le prix…
En passant, le marquis de Sade a dit dans L'Histoire de Juliette : «Il n'y a d'autre enfer pour l'homme que la bêtise ou la méchanceté de ses semblables».
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