J’ai donné la semaine dernière une conférence sur les meilleurs moyens de combiner bonheur et efficacité au travail lorsqu’on est une adjointe administrative, et j’ai terminé par un mot sur les bienfaits - malheureusement oubliés - de la gentillesse. J’ai immédiatement senti que j’avais touché là une corde sensible. Car la gentillesse, au bureau, tout le monde en rêve, mais personne n’ose la tutoyer…
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Certes, chacun de nous sait bien se tenir et rester poli en toute circonstance (ou presque). Mais de là à faire véritablement preuve de gentillesse, il y a un pas qui n’est que trop peu souvent franchi. Par exemple, quelle est la dernière fois qu’un collègue vous a rendu un franc service, sans rien attendre du tout en retour? Allons plus loin, vous-même, à quand remonte la dernière fois où vous avez sorti quelqu’un de la mouise, par pure bonté? Vous voyez.
D’où mon envie, aujourd’hui, de partager avec vous des extraits d’une récente entrevue accordée par le psychologue italien Piero Ferruci au magazine français Happinez. une entrevue dans laquelle il parle de son dernier livre, L’Art de la gentillesse (Robert Laffont, 2014). Voici, donc, l’essentiel de ce qui en ressort...
«Pour toutes sortes de raison, nous avons souvent du mal à montrer notre gentillesse. Nos sociétés mettent en avant l’efficacité, l’argent, la recherche du profit. La technique constitue aussi un obstacle aux contacts directs. Il y a quarante ans, quand on prenait le train, on parlait souvent aux autres voyageurs. Plus aujourd’hui. Chacun est obnubilé par son iPad, son cellulaire ou son ordinateur portable. Un courriel est plus froid qu’une lettre. Bien sûr, Internet a créé des réseaux d’amis, comme Facebook, mais plus on est assis devant son ordinateur, moins on fréquente de vraies personnes. Nous avons donc moins d’occasions de ressentir ce que l’autre ressent.
«Je ne dis pas que la gentillesse a disparu, il y a beaucoup de gens bienveillants qui entretiennent des relations chaleureuses. Mais il y a aussi des risques et nous devons en être conscients. La vie s’est accélérée, les voitures von plus vite, le courrier postal est désormais dénommé snail mail, courrier escargot. Or, quand on vit à toute allure, il y a moins de place pour le coeur, pour les sentiments. Par exemple, on se rassemble moins souvent qu’autrefois autour d’une grande table pour partager un repas et parler ensemble en prenant son temps. Le quartier n’est plus une entité solidaire : on communique plus avec des gens qui vivent à l’autre bout du monde qu’avec son voisin de palier. Et cela se traduit, entre autres, par la multiplication des cas de dépression.»
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«Nous peinons à faire preuve de gentillesse parce que nous avons peur d’être meurtri. Nous avons tous été des enfants : un enfant arrive au monde les bras grand ouverts, avec une entière confiance. Mais nous avons tous été blessés à un moment ou à un autre, ce qui nous a rendus prudents. Quelqu’un qui a été profondément meurtri aura d mal à se dévoiler, de peur que les autres se moquent ou abusent de lui.»
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«Au premier abord, la gentillesse peut apparaître comme un phénomène d’importance secondaire ; or, elle joue un rôle central dans nos vies. Son pouvoir de susciter le changement est étonnant. Un exemple lumineux : le dalaï-lama a pour devise «Ma religion, c’est la gentillesse», et cette formule est peut-être la plus simple, la plus efficace que j’ai jamais entendue. Elle nous incite à nous concentrer sur l’essentiel.»
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«On ne sera jamais assez gentil. Mêmes les gens bienveillants peuvent regarder neux-mêmes pour découvrir dans quels domaines le devenir davantage. Il ne faut pas oublier non plus qu’être gentil avec soi-même, c’est l’être avec les autres. Par exemple, dissimuler sa tristesse quand on prend soin des autres est une source d’amertume, mieux vaut etre doux avec soi pour ne pas transmettre cette amertume.»
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«Lorsque quelqu’un abuse de notre gentillesse, il convient de pardonner. Quand je dis cela, certains se mettent en colère : «Si quelqu’un m’a fait du mal, je refuse de lui pardonner!», lancent-ils. Je leur réponds : «Moi, je n’ai pas envie de porter toute ma vie cette colère en moi». Pardonner, c’est lâcher prise et vivre dans le présent, pas dans le passé. C’est un processus physique. Toute cette colère est dans le ventre, et elle ne s’en va pas toute seule. Des qualités comme la capacité à pardonner, à lâcher prise, ne sont pas seulement des pensées, elles ont aussi une vie intrinsèque. La beauté, la paix, l’amour : ce n’est pas un hasard si les anciens Grecs avaient des dieux endossant ces notions.»
(...)
«Cela étant, il convient d’être authentique dans sa gentillesse. Et pour ce faire, il faut éviter de tout miser sur le côté ‘positif’ de soi. Car ceux qui essaient d’être gentils en permanence ne font rien d’autre, en vérité, que de tenter d’étouffer leurs démons. Des démons qui risquent alors de ressurgir et de frapper sans prévenir, de manière terrible. Le philosophe Pascal disait d’ailleurs : «Qui veut faire l’ange fait la bête»...»
Voilà. La gentillesse est par conséquent dotée d’un véritable pouvoir, pour qui sait en user judicieusement. Un pouvoir qui peut permettre, entre autres, d’effectuer de grands et beaux changements. Un exemple, qui me vient en tête : un matin de la semaine prochaine, débrouillez-vous pour arriver au travail avant tout le monde ; là, déposez un petit chocolat raffiné sur le bureau de chacun des membres de votre équipe ; puis, observez discrètement les réactions des uns et des autres, à leur arrivée. C’est bien simple, vous aurez fait la journée de tout le monde! Chacun affichera un sourire jusqu’aux oreilles pendant toute la matinée, à l’idée que quelqu’un, ici, apprécie son travail, sa présence, sa personnalité. Bien entendu, certains tenteront de savoir qui est leur bienfaiteur, mais il vous faudra alors conserver l’anonymat afin que l’effet soit préservé : si jamais vous vous vantez de votre geste de gentillesse, nombre de personnes iront chercher la petite bête, à savoir votre supposé calcul machiavélique derrière tout ça.
Bref, n’hésitez plus à faire preuve de gentillesse au travail, au moins de temps à autres, car tout le monde y gagnera. C’est garanti!
En passant, l’écrivain français Jean Frain, seigneur du Tremblay, a dit dans Le Serin et la fourmi : «On ne peut être bienfaisant qu’en épargnant sur son aisance».
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