«Je m'engage à diriger un gouvernement responsable, intègre et transparent». Tels ont été les mots de Philippe Couillard, lundi soir, à Saint-Félicien, au moment de sa victoire à l'élection provinciale du Québec. "Responsable", c'est bien le minimum que l'on puisse demander d'un gouvernement, quel qu'il soit. "Intègre", même chose : un premier ministre encourrait la prison s'il ne l'était pas. Mais "transparent", là, ça m'a écorché l'oreille quand je l'ai entendu dire ça.
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Pourquoi? Parce que nous savons tous qu'on ne peut pas tout dire à autrui, qu'on ne gagne rien à se montrer transparent, ou plus précisément trop transparent. Par exemple, vous imaginez-vous en train de dire ses quatre vérités à votre boss? Ou inversement, un manager en train de dire franchement à un employé ce qu'il pense de lui? On assisterait dès lors au bureau à d'innombrables explosions de mini-bombes nucléaires.
En conférence de presse, le nouveau premier ministre du Québec a réitéré mardi sa profession de foi. Oui, il veut faire preuve de transparence. Oui, il tient à «rétablir le lien de confiance entre les citoyens et le gouvernement» en divulguant à présent nombre d'informations habituellement occultées, «comme le détail des contrats ministériels accordés aux consultants».
La question saute aux yeux : s'agit-il là d'une bonne ou d'une mauvaise idée? Autrement dit, est-ce que plus de transparence rime nécessairement avec plus de confiance?
Une étude permet de le savoir. Intitulée Optimal news management, elle est signée par Boris Ginzburg, chercheur en économie à l'University College de Londres (Grande-Bretagne). Et la réponse apportée me paraît fascinante…
Le chercheur a concocté un modèle de calcul économétrique qui vise à déterminer la meilleure stratégie à adopter lorsqu'on entend communiquer des informations à autrui dans l'espoir que celui-ci réagisse dans le sens qu'on souhaite. Concrètement, on peut imaginer un gouvernement envers un groupe de citoyens, ou une entreprise envers un groupe de consommateurs, ou encore un manager envers une partie des membres de son équipe.
Le modèle de M. Ginzburg est on ne peut plus simple. Il y est considéré deux personnes : l'Émetteur (gouvernement; entreprise; manager) et le Récepteur (respectivement citoyens; consommateurs; employés). L'Émetteur dispose d'une panoplie d'informations et est libre de conserver pour lui celles qu'il veut et de diffuser les autres. Quant au Récepteur, il va enregistrer les informations qui lui sont communiquées, les analyser au meilleur de ses capacités, puis agir en conséquence.
Agir en conséquence? Toute la subtilité de l'étude est là. En effet, le Récepteur va tout d'abord évaluer ce qu'on lui dit («Est-ce qu'on me dit là toute la vérité, ou seulement une partie de celle-ci?», «Est-ce que ce qu'on me dit est fiable, ou pas?», etc.). Et en fonction de son analyse, il va décider s'il a assez confiance en ce qu'on lui a dit pour agir favorablement envers l'Émetteur, ou au contraire estimer que la confiance ne règne pas assez et donc agir défavorablement envers l'Émetteur.
On le voit bien, l'objectif de l'Émetteur est de maximiser la diffusion d'informations, pour atteindre le niveau tout juste suffisant pour gagner la confiance du Récepteur, et donc obtenir de lui ce qu'il souhaite (son vote; son achat; son soutien). Il lui faut par conséquent se montrer ni trop avare ni trop généreux en informations, car dans les deux cas, il éveillerait la suspicion du Récepteur et réduirait les chances qu'il agisse en sa faveur.
Qu'est-ce que ce modèle de calcul a permis à M. Ginzburg de découvrir? Ceci :
> Viser la simplicité. Il existe bel et bien une situation d'équilibre, où l'Émetteur diffuse juste ce qu'il faut d'informations pour gagner la confiance du Récepteur. Et cette situation d'équilibre est toujours la plus simple. Qu'est-ce à dire? Que l'idéal pour l'Émetteur est de se mettre, un instant, dans la peau du Récepteur, et de se demander quelles sont les informations qu'il aimerait vraiment avoir, mais qu'il n'a pas d'habitude. Cet effort mental lui permettra d'identifier les points forts du message qu'il va lui falloir communiquer.
> Dévoiler son jeu, mais pas trop. Les informations divulguées doivent être toujours claires, intelligibles et rigoureusement choisies par l'Émetteur. C'est-à-dire que le message envoyé ne doit jamais être le fruit du hasard : il ne faut surtout pas "balancer" ici et là différentes informations, en se disant qu'on continuera jusqu'à ce que le Récepteur fasse ce qu'on souhaite de lui. C'est-à-dire également que le message envoyé ne doit pas être un savant dosage entre les informations "positives" et "négatives" (ex.: faussement avouer un petit défaut du produit vendu, en misant sur le fait que l'acheteur potentiel va apprécier ce geste de "sincérité"), car cela ne permet jamais d'atteindre une situation d'équilibre. Bref, l'Émetteur se doit d'exercer une forme soft de censure. Une censure, disons, intelligente; sans quoi, il file droit vers l'échec.
> Tenir compte des attentes d'autrui. Le message envoyé ne peut se montrer efficace qu'à condition qu'il soit bien adapté au Récepteur. Ça paraît une évidence, mais ça ne l'est pas tant que ça, à bien y regarder. De fait, si l'Émetteur veut faire vibrer une corde sensible chez le Récepteur, encore faut-il qu'il ait identifié celle-ci. Ce qui ne peut se faire qu'à partir du moment où il connait très bien le Récepteur, pour ne pas dire à partir du moment où il est réellement capable de se mettre à sa place (voir les choses comme lui, ressentir les mêmes choses que lui, penser les mêmes choses que lui, etc.). Reconnaissons que la tâche n'est pas aisée. Mais pas impossible.
«Voilà qui permet de mieux comprendre pourquoi les gouvernements ont simultanément à gagner et à perdre à se montrer plus transparents qu'à l'habitude. Puisque certains groupes de citoyens vont l'apprécier, mais pas les autres. Idem, c'est ce qui explique pourquoi les banques centrales ne dévoilent jamais le détail de leurs stratégies aux investisseurs. Ou encore, pourquoi les leaders d'entreprise ne communiquent pas toutes leurs idées à l'ensemble de leurs employés», indique M. Ginzburg dans son étude.
Que retenir de tout cela? C'est fort simple, selon moi :
> Vous souhaitez renforcer la confiance d'autrui à votre égard? Commencez par vous intéresser profondément à lui, à glaner le moindre détail par rapport aux attentes qu'il a envers vous. Puis, identifiez chacune de ses cordes sensibles. Enfin, divulguez-lui les informations idoines, le plus simplement du monde. Et ce, en visant l'harmonie, comme si vous lui jouiez une sérénade digne de Tchaïkovski. Bref, ouvrez-lui votre cœur, si vous voulez de l'amour en retour.
Revenons maintenant à Philippe Couillard. Peut-il vraiment tenir sa promesse de faire preuve de transparence? La réponse est sans ambiguïté «non». Non, il ne peut pas être réellement transparent parce qu'il irait droit à la catastrophe. En revanche, il peut très bien se montrer plus transparent que ne l'étaient ses prédécesseurs, mais si et seulement si il parvient à adapter chacun de ses messages au groupe de personnes à qui s'adressent chacun des informations inédites ainsi divulguées. Sinon, il risque fort, à chaque fois, de mécontenter un grand nombre de personnes pour n'en satisfaire qu'une toute petite partie. Et par suite, de ruiner sa crédibilité. À bon entendeur, salut!
En passant, le poète chilien Pablo Neruda a dit dans Fin du monde : «La vérité, c'est qu'il n'y a pas de vérité».
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