La patience. Un terme dont on entend peu parler au bureau, pas vrai ? Pourquoi ? Parce que personne ne sait au juste s’il s’agit là d’une force ou d’une faiblesse, en cette époque où l’on jauge la performance surtout à la vitesse d’exécution.
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Alors ? Force ? Faiblesse ? Comment savoir ? Eh bien, je pense être en mesure de vous le dire, grâce à une étude intitulée Patience predicts within-group cooperation in an ingroup bias-free way et signée par trois professeurs d’économie – Antonio Espin, de l’Université du Middlesex à Londres (Grande-Bretagne) ainsi que Manuel Correa et Alberto Ruiz-Villaverde, tous deux de l’Université de Grenade (Espagne). C’est que celle-ci apporte un éclairage fascinant sur cette interrogation, comme vous allez le voir…
Les trois chercheurs espagnols s’il y avait la moindre corrélation entre le niveau de patience des membres d’une équipe et leur performance globale lorsqu’ils sont en compétition directe avec d’autres équipes. La question était de savoir si la patience était alors un atout, ou pas. Si les patients partaient avec un avantage sur les autres, ou pas.
Pour s’en faire une idée, ils ont procédé à une petite expérience. Ils ont demandé à une centaine d’étudiants de l’Université de Grenade d’effectuer différents exercices de microéconomie, en lien avec les cours qu’ils avaient récemment eu dans cette matière. Autrement dit, des travaux pratiques comme en font tous les étudiants en économie, un peu partout sur la planète. Mais à cette différence près que ces travaux pratiques-là devaient être accomplis en trois étapes :
1. En solo. Les premiers exercices ont dû être faits de manière individuelle, sans pouvoir communiquer avec les autres participants. À noter que chacun était en compétition avec les autres : ceux qui affichaient les meilleurs résultats empochaient plus de points que les autres.
2. En trio. Puis, des équipes de trois ont été formées. Idem, chaque équipe a dû plancher sur des exercices de microéconomie, en groupe, le but étant de faire mieux que les autres, histoire d’empocher le maximum de points possible.
3. Évaluation psychologique. Enfin, chacun a dû remplir un questionnaire détaillé visant essentiellement à évaluer son degré de patience, ainsi que différents traits de caractère pouvant influencer la performance de l’équipe dans laquelle il a œuvré.
Résultats ? Les voici :
> Aucun impact individuel. Le degré de patience d’une personne n’a aucune influence sur sa performance individuelle. Elle ne permet pas d’être plus performant qu’une personne impatiente, ni d’ailleurs d’être moins performant qu’elle.
> Un impact collectif. Plus le degré de patience de l’ensemble des membres d’une équipe est élevé, plus la performance de celle-ci est bonne. Et inversement. Pourquoi ? Parce qu’une équipe composée de membres patients affiche une meilleure ‘synergie coopérative’ que les autres. De fait, une personne patiente sait se montrer à l’écoute des autres, et si les trois membres du groupe le sont eux aussi, alors la communication devient fluide. Du coup, l’échange d’informations est on ne peut plus efficace, à un point tel, en vérité, que cela booste la performance de toute l’équipe. Bref, l’équipe se met à briller comme rarement grâce au simple fait qu’elle compte en son sein des personnes patientes.
> Un puissant aiguillon. En situation de compétition, la patience agit «comme un puissant aiguillon», indiquent les trois chercheurs espagnols dans leur étude. Elle pique chacun au vif, l’amenant à miser plus que jamais sur l’équipe pour remporter la victoire, ou à tout le moins pour afficher une meilleure performance que les autres. Bref, c’est un stimulant insoupçonné à la collaboration, et par suite à la performance globale. Oui, insoupçonné, parce que son mécanisme est passablement surprenant : les personnes patientes qui sont plongées corps et âme dans une compétition féroce éprouvent moins de scrupules que les autres à ‘écraser’ leurs rivaux, à les battre sans ciller. Comme des prédateurs, qui ne pensent pas une seconde à la souffrance de leur proie, mais bel et bien à leur propre jouissance à l’instant de la victoire. Comme les lionnes qui, en équipe, avancent au ralenti dans les herbes hautes de la savane, les yeux braqués sur l’antilope qui a commis l’erreur de s’écarter du troupeau pour brouter à l’ombre.
Fascinant, n’est-ce pas ? Nous gagnons donc à faire preuve de patience, car cela est bénéfique pour la performance de l’équipe dans laquelle nous évoluons. Ce qu’on peut résumer comme suit : au travail, patience rime toujours avec performance lorsqu’on évolue en équipe ; et à plus forte raison lorsque notre équipe est en compétition directe avec d’autres.
Mais voilà, allez-vous me dire, comment s’y prendre pour devenir plus patient ? Pas de panique, j’ai pour vous trois trucs ultrasimples pour cela, sachant que, comme l’indiquent plusieurs études, la patience, ça s’apprend. Fort heureusement.
> Tenez votre journal d’impatience. Pendant une quinzaine de jours, notez à la main dans un journal intime chaque événement ayant suscité en vous des sautes d’humeur au travail : soupirs, sacres, voire gestes violents. Cela vous permettra de prendre conscience de ce qui déclenche votre impatience, et d’observer tout cela avec le recul nécessaire pour pouvoir essayer de corriger le tir par la suite. De fait, passé ces deux semaines d’observation, il vous faudra analyser les données ainsi recueillies, l’idée étant d’identifier les circonstances récurrentes où vous perdez patience.
> Surmontez vos accès d’impatience. Quiconque entend devenir plus patient se doit de modifier son attitude lorsqu’il sent que l’émotion va balayer sa raison. Une bonne façon de s’y prendre correspond au fait de lâcher prise à l’instant-même où la moutarde vous monte au nez. Prenons un exemple concret… Votre employé patine devant vous pour vous expliquer à J-1 pourquoi il ne réussira pas à respecter les délais que vous avez pourtant fixés ensemble. Au lieu d’exploser, comme d’habitude, faites l’effort que prendre plusieurs respirations profondes et tentez simplement de vider votre esprit. Extirpez-vous de l’événement frustrant que vous êtes en train de vivre, en profitant du fait que l’autre parle, parle et parle encore : concentrez-vous alors sur votre respiration, et ne veillez plus qu’à une seule chose, avoir une respiration de plus en plus profonde. Et c’est tout. Et mettez-y fin du mieux possible, par exemple à l’aie d’une phrase comme «Bon, c’est bien que tu me dises tout ça, maintenant j’aimerais que tu me reviennes là-dessus par courriel d’ici une heure, en me présentant ta solution au problème. D’accord ?».
> Adoptez votre propre mantra. Si jamais vous n’arrivez pas vraiment à vous concentrer sur votre respiration lorsque l’impatience vous gagne, eh bien vous pouvez user d’une autre astuce : répétez-vous en boucle votre propre mantra. Exemple : «Tais-toi et tu auras l’avantage sur la colère» ; «La colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance, la souffrance mène à la peur» ; ou encore «La colère est une avalanche qui se brise sur ce qu’elle brise». Faites votre choix, ou trouvez mieux, peut-être en vous appuyant sur cette pensée tirée du roman Shogun de James Clavell : «Les forts sont les patients. La patience signifie retenir son inclination pour sept émotions, à savoir la haine, l’adoration, la joie, l’angoisse, la colère, le chagrin et la peur. Si vous ne cédez pas à l’une de ces sept émotions, vous ferez preuve de patience et serez à même de comprendre ce que c’est qu’être en harmonie avec l’éternité».
Voilà. À vous de jouer, à présent !
En passant, le philosophe grec Plutarque a dit dans sa Vie de Sertorius : «La patience a beaucoup plus de pouvoir que la force».
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