BLOGUE. Quand on pense à un leader, on pense aussitôt à quelqu'un qui a confiance en lui, à quelqu'un dont il se dégage même une telle confiance que cela rassure ceux qui l'entourent. C'est clair, on imagine mal un leader hésitant, qui ne serait sûr de rien, qui se reposerait toujours sur les décisions d'autrui. Pas vrai?
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Mais voilà, avoir confiance en soi, c'est bien, mais avoir trop confiance en soi, là, c'est mal. Voire catastrophique. Car on a vite fait de se prendre une volée par plus fort que soi. D'où la question suivante, évidente : «Quand devient-on trop confiant en soi?». Et celle qui en découle, logique : «Que se produit-il vraiment lorsqu'on est trop confiant en soi?».
J'ai trouvé des réponses intéressantes à ces interrogations dans une étude intitulée Managerial overconfidence and cost stickiness. Celle-ci est signée par : Clara Xiaoling Chen, professeure de comptabilité à l'Université d'Illinois à Urbana-Champaign (États-Unis); Julia Nasev, professeure de comptabilité à l'Université de Cologne (Allemagne); et Timo Gores, l'un des étudiants de Mme Nasev à Cologne. Elle indique que l'excès de confiance en soi – ou überconfiance – peut, entre autres, mener à des aberrations en matière de décisions stratégiques de la part des managers.
Ainsi, les trois chercheurs, férus de comptabilité, ont noté une certaine effervescence ces dernières années autour d'un sujet, la dissymétrie de la rigidité des coûts (cost stickiness en anglais). De quoi s'agit-il? D'une bizarrerie du point de vue comptable, qui veut que les coûts d'une entreprise baissent systématiquement moins lorsque les ventes diminuent qu'ils n'augmentent lorsque les ventes croissent. Une bizarrerie qui n'a pas, à ce jour, de véritable explication.
Ils ont alors eu une intuition : si l'on ne peut expliquer ce phénomène contre-intuitif d'un point de vue comptable, c'est peut-être parce qu'un facteur disons non-comptable intervient, un facteur psychologique. Par exemple, on pourrait imaginer qu'un PDG qui constate que les ventes de son entreprise baissent ne pense pas de la même façon que lorsque les ventes se portent de mieux en mieux, et donc qu'il n'agit pas sur les coûts de manière parfaitement symétrique.
Comment vérifier cette hypothèse? Mmes Chen et Nasev ainsi que M. Gores ont procédé pour cela à un travail de moine pour le moins impressionnant. Ils ont effectué d'ingénieux recoupements entre différentes bases de données sur des dizaines de milliers d'entreprises, soit ExecuComp, Compustat et CRSP, pour les années allant de 1992 à 2011.
Le premier recoupement était entre ExecuComp et Compustat, histoire d'identifier des PDG überconfiants, c'est-à-dire ceux qui conservaient leurs stock-options en dépit du fait que leur valeur était supérieure d'au moins 67% à celle du marché.
Le second, entre Compustat et CRSP, visait à obtenir des informations sur la rigidité des coûts des entreprises dirigées par les PDG überconfiants. Et ce, pour des coûts particuliers, ceux dits SG&A (selling, general and administrative costs), qui représentent grosso modo tous les coûts qui ne sont pas directement liés à la production.
Quant au dernier, il consistait à croiser les informations recueillies à l'aide des deux premiers recoupements. L'idée était de regarder si le fait que les PDG soit überconfiants avait, ou pas, une incidence sur la rigidité des coûts.
Résultats? Lumineux…
> Les PDG überconfiants ont bel et bien un impact sur la rigidité des coûts.
> Quand les ventes baissent, ces PDG surestiment leur capacité à redresser la barre, et maintiennent donc les coûts tels quels, croyant que la situation ira bientôt mieux, alors qu'il vaudrait mieux réduire la voilure.
> Quand les ventes augmentent, ces mêmes PDG surestiment leur faculté à aller encore plus haut, et accroissent donc les coûts, pensant que c'est nécessaire pour rester sur leur lancée, alors que ce n'est pas le cas.
On le voit bien, la seule influence d'un homme – ici, le PDG – peut expliquer en grande partie certains manques de logique comptable d'entreprises qui connaissent des hauts et des bas. Quand tout va bien, ils dépensent outre-mesure; et quand tout va mal, ils n'agissent pas en conséquence. Autrement dit, l'überconfiance peut jouer des tours à ceux qui doivent prendre des décisions d'importance, et par suite nuire non seulement à la personne concernée, mais aussi à l'entreprise pour laquelle elle travaille.
Que retenir de tout cela? Peut-être la leçon philosophique suivante :
> Celui qui est sûr et certain que sa décision est la bonne se trompe.
En passant, le philosophe français Jean Rostand a noté dans son Carnet d'un biologiste : «Certitude, servitude».
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