BLOGUE. Si je vous dis le mot «performance», tout de suite vous vient en tête d'autres termes, comme «efficacité», «productivité», «rentabilité», «maximisation», etc. Ou encore, des images, comme celle d'un athlète qui s'entraîne toujours plus pour faire toujours mieux. Bref, vous songez à quelqu'un qui vise plus d'efficacité en procédant de manière logique, rationnelle à l'extrême. Pas vrai? Petite question supplémentaire : et si vous vous trompiez lourdement?
Découvrez mes précédents posts
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Oui, vous êtes-vous déjà demandé si la meilleure façon d'agir pour être plus performant était forcément de recourir à une méthode rigoureuse, calculée et minutieuse. S'il n'y avait pas d'autres manières de procéder. S'il n'y avait pas d'autre voie que la ligne droite…
J'ai mis la main sur une étude renversante à ce sujet, intitulée Homo oeconomicus vs. Human being: Outcomes of irrationality. Celle-ci est signée par trois professeurs d'économie, Shoko Yamane, de la Kinki University, ainsi qu'Hiroyasu Yoneda et Yoshiro Tsutsui, tous deux de l'Osaka University. Elle montre que l'on ferait mieux de davantage écouter l'aspect irrationnel de notre personnalité…
Les trois chercheurs japonais ont noté que de plus en plus d'études portaient sur les agissements irrationnels de l'être humain dans des situations qui, pourtant, devraient exiger la plus grande rationalité. Par exemple, une étude sur les traders de la Bourse de Shanghai a montré que ceux qui avaient trop confiance en eux effectuaient trop de transactions par rapport à ce qu'il était logique et optimal de faire, si bien qu'ils enregistraient à force moins de gains que les autres ; autrement dit, leur comportement devenait irrationnel, et par suite dommageable pour leur performance individuelle. Ils ont alors eu la curiosité d'aller plus loin sur cette piste, en se demandant ce qu'il en était pour ceux qui croyaient carrément au paranormal : ceux qui agissent notamment en fonction de ce que leur indique leur horoscope sont-ils plus ou moins performants que les autres? Accrochez-vous bien, car ce qu'ils ont découvert est déstabilisant…
Ainsi, ils se sont plongés dans les résultats d'un vaste sondage mené en 2008 par l'Osaka University, qui consistait à interroger 3 048 personnes de manière très fouillée sur elles-mêmes et leurs croyances. Celui-ci comportait des questions liées à deux aspects de l'irrationnel, à savoir ce que les chercheurs ont appelé les «pensées non-scientifiques» (croyance dans ce que disent les horoscopes, la cartomancie, etc.) et les «pensées paranormales» (croyance dans l'influence des esprits, des forces surnaturelles, etc.). Il présentait également des indicateurs du succès dans la vie de ces mêmes personnes, la notion de performance étant ici évaluée à partir de deux critères, soit les revenus et la joie de vivre.
Les trois chercheurs japonais ont adopté une approche économétrique de leur sujet, et établi, entre autres, des équations permettant de calculer l'impact des différentes variables entre elles. Un exemple : le fait d'avoir beaucoup de pensées non-scientifiques influence-t-il directement, ou pas, le niveau de nos revenus?
Intéressant à savoir, vous ne trouvez-pas? Sans tarder, voici les principales trouvailles de cette étude:
> Avoir des pensées non-scientifiques fait diminuer notre niveau de revenus;
> Avoir des pensées paranormales n'a pas d'impact sur nos revenus;
> Avoir des pensées non-scientifiques fait diminuer notre joie de vivre;
> Avoir des pensées paranormales fait croître notre joie de vivre.
Puis, ils ont creusé davantage leurs données, histoire de voir ce que tout cela a comme impact sur le petit homo oeconomicus qui est partiellement en chacun de nous. L'homo oeconomicus? C'est un terme latin qui représente symboliquement le rationnel en nous et qui est à la base du modèle théorique néo-classique de l'économie. Il considère grosso modo que :
- Nous avons des préférences et pouvons les ordonner;
- Nous pouvons analyser à la perfection la situation dans laquelle nous nous trouvons;
- Nous sommes capables d'utiliser au mieux les ressources dont nous disposons, afin de maximiser notre satisfaction.
Les trois chercheurs japonais ont déterminé économétriquement l'homo oeconomicus des personnes interrogées, puis regardé en détails l'impact de ses différents traits de caractère sur la performance de chaque individu. Résultats:
> Les personnes compétentes au travail (c'est-à-dire celles qui sont capables d'utiliser au mieux les ressources dont elles disposent) ont des revenus et une joie de vivre plus élevés que les autres;
> Les personnes qui pensent avant tout à elles-mêmes (celles qui cherchent à maximiser avant tout leur propre satisfaction) gagnent plus que les autres, mais ont une joie de vivre inférieure aux autres.
«En conséquence, nous pouvons dire que l'homo oeconomicus est globalement plus performant que les autres sur le plan personnel. Cela étant, le fait d'être hyper-rationnel l'empêche d'éprouver une grande joie de vivre. En fait, ceux qui ont le plus de chances d'irradier de bonheur dans la vie – et donc, dans un sens, d'être performants – sont ceux qui croient au paranormal», indique l'étude.
Renversant, n'est-ce pas? Les personnes qui attachent une réelle importance aux jeux de loterie, aux horoscopes et autres cartomanciennes ne font que s'enfoncer dans leur malheur ; elles sont les moins «performantes» de toutes. Tandis que celles qui croient en l'influence des esprits et autres phénomènes surnaturels sur leur vie sont en général moins anxieuses que les autres, même si cela ne les rend pas plus riches sur le plan financier pour autant.
Comment expliquer cela? Vraisemblablement par le fait que le paranormal semble les rendre plus sereines face aux incertitudes de la vie, comme si s'en remettre à des esprits permettait de se décharger d'un lourd fardeau psychologique. Prenons un exemple, le feng shui… Cet art asiatique a pour but d'harmoniser l'énergie d'un lieu de manière à favoriser la santé, le bien-être et la prospérité de ses occupants. On peut le considérer comme une forme de croyance dans le paranormal, car il ne repose pas sur des faits scientifiquement prouvés. Son intérêt, du moins sur le plan psychologique, est qu'il peut grandement faciliter la vie d'un commerçant, en ce sens qu'il est moins lourd de considérer que le succès – ou l'échec – de sa boutique ne repose pas sur ses seules épaules, mais aussi sur les forces surnaturelles entourant celle-ci…
Maintenant, quelles implications tout cela peut-il avoir sur votre carrière, ou disons sur votre performance au travail? Plusieurs, bien entendu, mais je me permets d'en souligner une… Tout leader qui se respecte devrait, à mon avis, ne pas trop considérer les membres de son équipe comme des êtres humains purement rationnels, qui cherchent avant tout leur petite satisfaction personnelle et qui considèrent que le mieux pour eux est de tirer profit de la puissance du groupe. Car personne n'est véritablement un homo oeconomicus. Il devrait, en vérité, les regarder comme des personnes qui agissent parfois de manière irrationnelle, et surtout savoir que cela n'est pas pour autant dommageable pour elles, ni pour l'équipe! Bien au contraire, il y a moyen d'en tirer partie pour accroître la joie de vivre au bureau, ou à tout le moins diminuer l'anxiété de certains ou même de plusieurs. On peut imaginer, entre autres, qu'il peut être bon pour l'équipe de ne pas lui faire porter tout le fardeau de la responsabilité d'un projet en cours, en soulignant que des «forces externes» jouent aussi un rôle dans le succès ou l'échec de celui-ci…
Par ailleurs, peut-être conviendrait-il d'accorder une attention particulière à ceux qui jouent régulièrement au loto, voire qui organisent des groupes de jeux de loterie au bureau. Pourquoi? Eh bien, parce qu'il y a là un message inconscient qui est peut-être adressé à l'équipe de direction : la satisfaction au travail de ces employés n'est pas optimale, et ils s'en remettent à leur «bonne étoile» pour rêver un peu. Et ce, comme l'indique l'étude, au détriment de leur performance…
En passant, Michaël Gelb, l'auteur notamment de How to think like Leonardo da Vinci, a déjà dit : «Un trop plein de sérieux est signe de médiocrité. Les personnes réellement maîtres de leurs performances ont assez d'assurance pour être déridées»…
Découvrez mes précédents posts