BLOGUE. Un terme est en vogue dans le domaine du management depuis quelques années, celui de l’«agilité». L’avez-vous, vous aussi, remarqué? On le glisse à tout bout de champ dans les discussions, dans les exposés, dans les posts de blogue, oui, un peu partout, et en fait, dès qu’on trouve le moyen de le glissser. Pourquoi? Soyons francs, pour faire intelligent, ou du moins «branché». Mais qui sait au juste ce que l’«agilité» signifie véritablement?
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J’ai eu le privilège d’assister hier à une remarquable conférence organisée à Montréal par le cabinet-conseil CFC Dolmen, dont le titre était justement Homo agilitus – L’émergence d’une nouvelle espèce dans nos organisations. L’Homo agilitus? Il s’agit d’un néologisme inventé par le conférencier, Pierre Joron, associé et chef de pratique, stratégie, culture et gouvernance, de CFC Dolmen. Un néologisme qui évoque à quel point nous sommes, vous comme moi, en train de vivre un changement radical, un changement irréversible…
Ainsi, M. Joron a fait l’exercice de réfléchir sur ses 35 années d’expérience en matière de gestion stratégique et opérationnelle ainsi que sur ses lectures les plus récentes sur le management et le leadership, ce qui lui a donné la matière pour déceler la naissance de ce nouveau genre d’humain. Un exercice qui permet de bien saisir ce que l’on entend par «agilité»…
Une image… Bip Bip et Coyote (Road Runner and Wile E. Coyote, en anglais), vous savez, ce géocoucou qui échappe tout le temps au coyote affamé qui aimerait tant le croquer une bonne fois pour toutes. Coyote échaffaude mille et une stratégies toutes plus complexes les unes que les autres, lesquelles se retournent à chaque fois contre lui. Bip Bip, lui, réagit à la situation, vite et bien, sans se poser de questions. Coyote a donc une approche stratégique lourde, pour ne pas dire traditionnelle; et Bip Bip, agile.
On le voit bien à travers cet exemple, l’agilité revient à anticiper ce qui va venir, vite agir en conséquence, exceller dans ce que l’on entreprend et s’assurer de la sorte d’une certaine pérennité. Plus facile à dire qu’à faire, me direz-vous. Mais pas vraiment, car ce qu’il faut dès lors, c’est une méthode. Mieux vaut ne pas s’improviser contorsionniste du jour au lendemain…
M. Joron suggère ainsi de commencer par regarder si l’on a le profil d’un Homo agilitus, ou non. Quelles sont ses caractéristiques? Les voici, d’après lui : souci de satisfaire la clientèle; agilité intellectuelle; prise de décision rapide; leadership; stratégie et tactique; vigilance et sens de l’anticipation; créativité; adaptabilité; courage; résilience; concentration; travail en équipe. «Personne ne peut avoir toutes ces caractéristiques. Mais, peut-être en avez-vous vous-même déjà quelques-unes», a dit le conférencier au public de quelque 500 personnes.
L’Homo agilitus se décèle surtout par ses agissements. Quand il est aux commandes de l’organisation :
> Il transforme les obstacles en occasions;
> Il provoque les changements;
> Il exerce un leadership de proximité et de collaboration;
> Il conjugue macro et microgestion.
Concrètement, cela peut se traduire par le fait de manifester de l’ouverture face aux idées des autres, au lieu d’avoir le réflexe de froncer les sourcils dès que quelqu’un soulève un point auquel vous n’aviez jamais pensé. Cela peut être aussi de donner vite une réponse à autrui, au lieu de sans cesse reporter votre décision au lendemain. Cela peut encore être de chercher de nouveaux repères, au lieu de vous sentir désemparé face à la nouveauté. «Ça peut être de vous dire «Pourquoi pas» au lieu de l’habituel «Pourquoi»», a résumé M. Joron.
Comment s’y prendre? Voici un truc de M. Joron, inspiré de ce que lui a confié un jour Kasimir Olechnowicz, le président de la firme de génie-conseil montréalaise Cima+. Ce dernier lui a expliqué que souvent, au travail, les gens font des choses qu’ils aiment, et d’autres pas, et c’est une grave erreur de casting; mieux vaut, comme chez Cima+, que les employés fassent ce qu’ils aiment (leurs points forts), car ils utilisent alors à plein leur potentiel, quant à ce qu’ils n’aiment pas (leurs points faibles), ils laissent ça à d’autres, qui eux y excelleront. En bref, exploitez vos points forts et oubliez vos points faibles. Aussi simple que ça.
Un autre truc consiste à procéder en quatre étapes pour s’assouplir davantage :
1. Se donner une direction précise. Pour ce faire, il convient notamment de réaliser que notre position actuelle n’est plus tenable, de regarder autour de soi où l’on pourrait se rendre et de choisir la destination la plus prometteuse pour soi.
2. Se donner un nouvel élan. Il s’agit maintenant de se convaincre que l’on ne rêve pas en couleurs et qu’il est grand temps d’agir, puis de rassembler ses forces avant de passer à l’action.
3. S’élancer. Cela revient à mettre de côté ses réflexes et ses a priori pour laisser toute la place à la nouveauté, sans craindre la complexité et l’ambiguité, c’est-à-dire à passer en mode «action» au lieu de «réflexion».
4. Optimiser. Enfin, il faut s’adapter vite et bien aux nouvelels situations rencontrées, en ne cherchant surtout pas la perfection, mais l’efficacité.
Le risque principal d’une telle transformation en Homo agilitus? La surchauffe. «Notre tolérance au changement est variable. Les uns adorent la nouveauté, d’autres préfèrent la routine. Mais tous, qui que nous soyons, avons une limite qu’il faut veiller à ne jamais franchir. Sans quoi, on finit par flancher, voire renoncer», a insisté M. Joron. C’est comme cela qu’on assiste à l’éclatement en plein vol d’équipes qui jusque-là volaient de succès en succès, la vitesse étant devenue trop forte pour certains de ses membres. Ou bien, à des burn-out et autres départs chez des concurrents «plus tranquilles»…
«L’Homo agilitus vit par conséquent en plein paradoxe : il se doit de foncer lentement», a dit le conférencier. Ainsi, il s’agit d’une personne aimant le risque, mais qui ne prend que des risques calculés. Et ce, en gardant toujours en tête les intérêts et les capacités des uns et des autres. Un peu comme un pilote de Formule 1, serein et nerveux à la fois, qui veut aller toujours plus vite, mais qui doit tenir compte des courbes du circuit et des autres voitures en course…
Lee Lacocca, un ex-PDG de Ford, aimait à dire : «La vitesse du patron est celle de l’équipe»…
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