BLOGUE. Soyons honnêtes, nous avons tous tendance à croire que lorsque nous entreprenons quelque chose de difficile à réussir, mais qui nous tient à cœur, nous avons de fortes chances d'y parvenir. Quand, par exemple, nous acceptons de prendre en mains un dossier complexe et crucial pour l'entreprise. Quand nous prenons une ferme résolution, comme celle d'arrêter de fumer ou de prendre l'escalier au lieu de l'escalateur. Ou encore, quand nous nous donnons un défi, comme de faire ce que l'on a à faire en une heure au lieu de deux. Pas vrai?
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Bref, nous sommes tous d'incorrigibles optimistes, même si cela nous joue souvent des tours. Pourquoi? Oui, pourquoi débordons-nous si souvent d'optimisme? La réponse à cette interrogation existentielle se trouve, je crois, dans une étude passionnante, titrée What shapes young elite athletes' perception of chances in an environment of great uncertainty? Celle-ci est signée par : Sascha Schmidt, le directeur de l'Institut des sports, des affaires et de la société de l'European Business School (Allemagne); Verena Jung, l'une des chercheuses de l'Institut; et Benno Torgler, professeur d'économie et de finance à l'Université de technologie du Queensland (Australie).
Les trois chercheurs ont eu l'idée d'observer les plus grands optimistes qui soient, à savoir les enfants. Souvenez-vous : tout petit, vous vouliez être quoi, astronaute, star de rock, ou pompier? Et vous, mesdames?
Plus précisément, ils se sont dit qu'ils allaient observer le moment précis où les jeunes perdent leurs beaux rêves, pour commencer à mettre les pieds sur terre. Moment qui survient, en général, à l'âge de 19 ans, d'après leurs recherches préliminaires.
Ainsi, Mme Jung et MM. Schmidt et Torgler ont adressé un questionnaire détaillé à l'ensemble des garçons inscrits dans les 36 Académies de soccer existantes en Allemagne. Que sont ces Académies? Il s'agit des clubs de formation pour les jeunes désirant réellement devenir, plus grands, professionnels de soccer. Des clubs affiliés à des équipes de renom, comme le Bayern de Munich et le Werder de Brême, qui évoluent en Ligue 1 et en Ligue 2. Ils ont de la sorte obtenu les réponses de 1 593 jeunes – âgés entre 10 et 23 ans – issus de 24 Académies différentes.
Ces jeunes vivent clairement un rêve : ils adorent le soccer et ont la chance incroyable d'évoluer au sein de l'équipe qu'ils chérissent probablement le plus au monde. Mettez-vous à leur place : c'est comme si, gamin, à 10 ou 12 ans, vous faisiez partie des Canadiens de Montréal, portiez tous les jours le chandail de l'équipe sur la glace, profitiez tous les jours des conseils des entraîneurs professionnels de l'équipe et côtoyez tous les jours vos vedettes dans les couloirs de l'aréna; et ce, avec l'espoir, à portée de mains, d'intégrer dans quelques années l'équipe A. J'en connais plus d'un qui aurait trippé, rien qu'à cette idée; eh bien, en soccer, c'est la réalité.
Le hic? C'est que le rêve se solde presque toujours par une immense désillusion. Des études menées en 2010 et en 2011 ont, en effet, montré que seulement 5% des jeunes qui passent par des Académies de soccer finissent par signer, adultes, un contrat avec une équipe professionnelle. Seulement 5%.
Le questionnaire visait à identifier ce qui pouvait amener les jeunes à perdre, peu à peu, leurs illusions de devenir une star internationale du soccer, et même tout bonnement un joueur professionnel. Est-ce avec l'âge que l'on devient plus sage? Ou bien, grâce aux commentaires prodigués par les entraîneurs? Ou encore, à l'aide de ce que disent les proches, en particulier les membres de la famille? Bref, est-ce pour une raison en particulier, ou pour plusieurs, et en ce cas, lesquelles?
Les résultats sont on ne peut plus intéressants…
> L'expérience n'apporte rien. Ce n'est pas parce que l'on a derrière soi plusieurs années de formation à l'Académie que l'on commence, peu à peu, à se mettre à douter de ses chances de devenir professionnel. Au contraire, on sent qu'on progresse, si bien qu'on se croit de plus en plus proche du but visé.
> Les avertissements ne servent à rien. Les autres ont beau dire et répéter que les chances de réussir sont infimes, cela ne démotive pas les jeunes. Au contraire. Ils croient fermement qu'ils vont réaliser ce qu'aucun – ou peu – autour d'eux ont déjà réalisé.
> L'éducation est l'élément déclencheur. En fait, les jeunes ne finissent par comprendre que leurs chances de réussir sont minimes qu'à partir du moment où ils atteignent un certain niveau d'éducation scolaire. Car ils ont alors les outils nécessaires pour bien analyser les informations et les commentaires qu'on leur fait. La raison prend dès lors le dessus sur la passion.
> La culture a une influence certaine. Les chercheurs ont noté que les jeunes qui étaient nés et qui avaient été élevés en Allemagne réalisaient plus vite que les autres qu'ils vivaient un rêve éveillé. Ils en ont déduit que l'origine culturelle avait une incidence sur ce phénomène.
Maintenant, que déduire de tout cela? C'est très simple, selon moi. Le jour où vous voudrez arrêter de déborder d'optimisme, autrement dit ne plus vous lancer dans des projets farfelus, il vous suffira de :
1. Ne plus chercher les conseils d'autrui. Car ils ne servent à rien, puisque ce ne sont pas eux qui vous mettront vraiment les pieds sur terre. Pourquoi? Parce que, ce rêve, vous le chérissez tant au fond de vous que vous n'êtes pas mentalement prêts à entendre les vérités prononcées par les autres (surtout celles qui vous déplaisent…).
2. Vous mettre à bosser. Un nouveau projet vous fait rêver? Parfait. Alors mettez-vous aussitôt à étudier tout ce qui a trait à celui-ci. Prenons un exemple… Vous voulez prendre en mains un dossier en lien avec un nouveau partenaire chinois. Le mieux pour savoir si c'est là une bonne idée, ou pas pour vous, c'est de vous lancer dans des recherches fouillées sur ce partenaire, sur le secteur chinois dans lequel il évolue, sur la culture d'affaires chinoise, etc. Vous allez ainsi acquérir assez de connaissances pour juger par vous-mêmes de l'intérêt, pour vous, de vous lancer corps et âme dans ce projet.
3. Vous préparer à atterrir en douceur. Votre rêve vient de s'écrouler devant vos yeux ébahis. Le choc est rude. Reste désormais à vous en remettre du mieux possible. Bien entendu, de l'aide est alors la bienvenue, en particulier celle pouvant venir de vos proches, tant au travail qu'au foyer.
4. Vous remettre à rêver. Mais, cette fois-ci, un peu moins fort…
Voilà. Ces modestes conseils vous permettront, je l'espère, de voir la réalité dans laquelle vous vivez d'un œil neuf. Et – qui sait? – de vous y adapter sans trop de casse.
En passant, l'écrivain britannique Graham Greene a dit dans La Puissance et la Gloire : «L'espoir est un instinct que seul peut tuer un raisonnement de l'esprit. Les animaux ne connaissent pas le désespoir».
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