BLOGUE. Plus on est intelligent, plus on a de chances d'avoir une belle carrière. C'est logique. Surtout dans des économies qui reposent de plus en plus sur le savoir et l'intelligence. Mais voilà, qu'entendons-nous au juste par «intelligence»? D'autant plus qu'il semble qu'il y ait différentes formes d'intelligence, si l'on en croit le professeur de psychologie cognitive Howard Gardner : l'intelligence logico-mathématique, l'intelligence linguistique, l'intelligence intrapersonnelle, l'intelligence interpersonnelle, etc.
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La première idée qui vient en tête pour évaluer l'intelligence de quelqu'un, c'est les fameux tests du «quotient intellectuel» (QI). Ceux-ci visent à donner une indication sur la vivacité intellectuelle d'une personne, et non une mesure de l'intelligence en tant que telle. Ils sont souvent faits sur des enfants : on souhaite ainsi savoir si un jeune garçon ou une jeune fille est intellectuellement parlant «plus lent» ou «plus rapide» que la moyenne des enfants de son âge. Quand ils concernent un adulte, les résultats ne doivent pas être pris au pied de la lettre – «ce type est nul» ou «ce type est un génie» –, mais plutôt considérés comme l'un des éléments de sa personnalité.
D'autres idées peuvent être envisagées. Par exemple, Dietrich Dörner a mis au point dans les années 1980 le concept de dynamique de la prise de décision, en réaction aux tests de QI. Il reprochait à ces derniers de ne prendre en compte que les décisions pouvant être prises vite et bien, et donc associées à des tâches relativement simples. Et donc d'écarter un pan entier de la prise de décision, à savoir celui des décisions complexes, nécessitant du temps et de l'effort, qui sont notre lot quotidien, en particulier au travail. C'est pourquoi il a concocté un test par ordinateur basé sur des situations complexes : le résultat permet d'évaluer le «dynamisme intellectuel» (DI) de chacun. M. Dörner soutenait que les résultats du QI et ceux du DI n'étaient pas corrélés : on peut avoir un mauvais QI et un très bon DI, et inversement. Il affirmait également à l'époque que le DI était un bon indicateur du succès professionnel : avoir un DI élevé permet de savoir que l'on est appelé, sauf accident, à avoir une belle carrière.
Autre exemple : les deux systèmes mentaux de Nicholas Mackintosh. Dans son livre IQ and Human Intelligence (Oxford University Press, 1998), l'ex-professeur de psychologie expérimentale de Cambridge proposait de voir l'intelligence comme la combinaison de deux systèmes mentaux. D'une part, le «système explicite» (SE), nécessaire pour détecter les régularités dans ce qu'on analyse (dans une série de nombres, etc.). D'autre part, le «système implicite» (SI), qui sert à découvrir les intentions dans ce qu'on analyse (pourquoi telle règle de grammaire est pertinente, etc.). Et M. Mackintosh prétendait que les tests de QI ne considéraient que le SE, jamais le SI, ce qui en faisait des outils insatisfaisants.
Le débat est-il sans fin? L'intelligence demeurera-t-elle toujours un mystère pour l'être humain? Une pierre philosophale aux mille facettes? Cinq professeurs de l'Institut de psychologie de l'Université d'Heidelberg (Allemagne) ont décidé de creuser le sujet, et de voir s'il y avait quelque part un bon indicateur du succès professionnel des gens. Daniel Danner, Dirk Hagemann, Andrea Schankin, Marieke Hager et Joachim Funke ont ainsi voulu savoir si le QI, le DI ou le SI permettait bel et bien d'anticiper l'évolution de la carrière d'une personne. Et ils ont fait part de leurs trouvailles dans une étude intitulée Beyond IQ: A latent state-trait analysis of general intelligence, dynamic decision making and implicit learning.
Les cinq chercheurs allemands ont demandé à 173 employés d'Heidelberg recrutés par petite annonce d'effectuer différents tests intellectuels, soit :
– Advanced progressive matrices (APM). Visait à évaluer l'intelligence générale d'une personne, et donc était assimilable à une estimation du QI.
– Berlin intelligence structure test (BIS). Second indicateur de l'intelligence générale des participants à l'expérience.
– Artificial grammar learning tasks. Entendait mesurer le SI, en demandant aux participants de saisir la logique inhérente à une série de lettres et d'indiquer par la suite les séries qui respectent cette règle.
– Tailorshop. Avait pour objectif d'estimer le DI d'une personne. Il s'agissait de diriger par ordinateur une entreprise fictive, en produisant et vendant des biens sur une période de 12 mois. Plusieurs variables entraient en ligne de compte : le nombre d'employés, les dépenses publicitaires, etc.
– Heidelberg finite state automaton (HFA). Second indicateur du DI. Il fallait ici mener à bien un vol spatial, toujours sur ordinateur.
Ce n'est pas tout. Les participants ont aussi dû fournir des détails sur leur situation professionnelle, histoire de voir si celle-ci est «ratée», «quelconque» ou «réussie» : revenus, statut social, niveau d'éducation, etc. Enfin, il a été demandé à leur supérieur hiérarchique de présenter une note d'évaluation les concernant.
Résultats? Voici les principaux :
> Dörner et Makintosh dans l'erreur. Des corrélations plus ou moins fortes existent entre le QI, le DI et le SI. M. Dörner était donc dans l'erreur quand il affirmait que le QI et le DI étaient indépendants. Idem, M. Mackintosh se trompait quand il avançait que le QI ne correspondait qu'au seul SE, et en rien au SI.
> Avantage au QI. Seul le QI est corrélé au succès professionnel, et donc nullement le DI et le SI. Par conséquent, avoir un QI élevé quand on est jeune est le signe qu'on est appelé à avoir une belle carrière ; en revanche, on peut avoir un DI ou un SI fort, ce n'est pas pour autant que l'on connaîtra une belle évolution professionnelle.
> Impact du DI. Seul le DI est corrélé à l'évaluation du supérieur hiérarchique. C'est-à-dire que ceux qui font preuve de dynamisme intellectuel au travail se font favorablement remarquer par leur boss, et non pas ceux qui sont dotés d'un QI ou d'un SI élevés.
Autrement dit, les tests de QI ne sont pas à prendre à la légère, car ils permettent d'avoir un aperçu du potentiel professionnel d'une personne. Bien entendu, un paquet de facteurs vont influencer l'évolution d'une carrière, si bien qu'il serait ridicule de s'en tenir à un seul test du QI. Toutefois, cet élément est non-négligeable, si l'on en croit l'étude des cinq chercheurs allemands. Et même plus que cela, déterminant.
En passant, Amélie Nothomb a dit dans Péplum : «Il n'est d'intelligence que créatrice».
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