BLOGUE. D’après vous, que peut-il vous arriver de pire au travail? Perdre votre emploi? Vous faire proposer une promotion qui ne vous tente guère? Voir arriver un nouveau boss? Voir l’un de vos collègues recruté par un concurrent prestigieux? Stagner au même poste des années durant? La liste est sans fin, semble-t-il… Mais la vraie question derrière toutes celles-ci est la suivante : êtes-vous prêt au pire?
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Peut-être pensez-vous que cette interrogation est saugrenue : de toute évidence, nous ne sommes jamais préparés au pire, car ça ne sert à rien de stresser pour quelque chose qui a très peu de risques de se produire, me direz-vous. Mais, il s’agit là d’une erreur. D’une lourde erreur.
Quand Jai Nagarkatti, le PDG de Sigma-Aldrich, est mort d’une crise cardiaque en novembre 2010, le nom de son successeur a été annoncé dès le lendemain. Cette rapidité dans l’action a permis à la valeur de titre boursier de l’entreprise spécialisée dans le matériel pour la recherche scientifique de ne perdre que 1%. Il faut savoir qu’en général l’annonce du décès d’un PDG est suivie d’une chute en Bourse, les investisseurs ayant une aversion prononcée pour l’incertitude.
En revanche, quand Gordon Teter, le PDG de Wendy’s, a succombé d’une crise cardiaque en décembre 1999, le fondateur Dave Thomas a pris les rênes de l’entreprise au pied levé et mis en place un comité de cinq personnes chargé d’identifier un véritable successeur. Ce dernier n’a été nommé que trois mois plus tard. Un délai insupportable pour les investisseurs, qui ont fait perdre au titre boursier de Wendy’s 7,8% de sa valeur, le jour où l’identité du nouveau PDG de la chaîne de restauration rapide a été dévoilée.
Ces deux exemples montrent à quel point prévoir le pire – comme la mort subite du PDG – est nécessaire. Il peut en aller de la bonne santé de l’entreprise elle-même, ou à une échelle plus réduite, de celle de votre équipe. Eh oui, qu’arriverait-il si un membre clé de votre équipe venait à disparaître, du jour au lendemain. D’une crise cardiaque, ou d’un accident de voiture? Y avez-vous réellement songé? Pas sûr…
Pourtant, vous le devriez. C’est du moins ce qu’indique un article de deux professeurs de la Stanford’s Graduate School of Business, David Larcker et Brian Tayan, intitulé Sudden death of a CEO : Are companies prepared when lightning strikes? Un article qui souligne que tous les ans aux États-Unis quelque 7 PDG d’entreprise cotée à Wall Street décèdent de manière brutale.
Ainsi, les deux experts en gouvernance d’entreprise ont regardé ce qui se passe lorsqu’un PDG met l’arme à gauche et ont noté que deux phénomènes se produisent immanquablement : d’une part, l’entreprise annonce le décès de son PDG; d’autre part, elle annonce le nom de son successeur. Et chaque phénomène a son importance, ici évaluée par la variation de la valeur du titre boursier de l’entreprise.
> L’annonce du décès. Deux réactions sont alors possibles : la valeur du titre baisse, signe que la disparition du PDG est une perte importante pour l’entreprise; ou bien elle monte, signe que l’entreprise a l’occasion d’améliorer sa performance, en changeant de tête dirigeante.
> L’annonce du successeur. Idem, la valeur du titre boursier peut s’accroître, signe encourageant pour le nouveau PDG, ou au contraire reculer, signe inquiétant pour lui.
Lorsque Gerald Pencer, le PDG de Cott, est mort du cancer en février 1998, la valeur du titre a bondi de 8,1%. Pourquoi? Vraisemblablement parce que les investisseurs savaient que Pencer et sa famille détenaient 29% des parts de Cott, et considéraient que ce decès allait accélérer les changements au sein de l’entreprise spécialisée dans les boissons gazeuses, voire pousser la direction à vendre. Et quand, cinq mois plus tard, Frank Weise, un ex-haut dirigeant des soupes Campbell, a été nommé à sa place, le titre a connu une nouvelle embellie, de 6,5%. Cette fois-ci, les investisseurs ont vu d’un bon œil le fait que cette nomination ait été annoncée en même temps qu’un investissement de 110 millions de dollars américains par la firme Thomas Lee. Car cela signifiait que l’entreprise avait la ferme intention de se développer et d’innover.
«Les variations de valeur des titres boursiers sont des indicateurs intéressants, en ce sens qu’elles indiquent si une entreprise était vraiment préparée au pire, ou pas. Et au-delà, si sa haute direction est réellement prévoyante, ou relativement aventureuse dans son approche de la gouvernance», disent MM. Larcker et Tayan dans leur article.
Les deux professeurs de Stanford en sont venus à la conclusion qu’il convenait de se poser quatre questions pour savoir si l’on est prêt au pire :
1. Avez-vous en ce moment-même un plan B, au cas où l’un des membres clés de votre équipe ferait défection?
2. Avez-vous déjà réfléchi à ce que vous feriez si le départ subit d’un membre clé de votre équipe était bien accueilli par les autres?
3. En cas d’urgence, le réflexe est souvent de remplacer la personne disparue par quelqu’un à l’interne. Et ce, même si rien ne dit que les meilleurs candidats au poste vacant sont à l’interne. La question est donc ici la suivante : maintenez-vous en permanence des contacts avec des personnes à l’externe que vous aimeriez, un beau jour, recruter?
4. Savez-vous si le membre clé de votre équipe vit dangereusement? C’est-à-dire s’il pratique des sports risqués (parachute, moto, etc.) ou s’il néglige gravement sa santé (alcool, cigarettes, etc.)?
En répondant à ces quatres interrogations, vous devriez réaliser si la catastrophe qui vous guette vous fera mal, très mal, ou très très mal, quand elle surviendra. Oui, vous devriez prendre conscience, grâce à elles, de l’état de préparation qui est le vôtre face à l’imprévu. Bref, si l’enfer vous attend…
En passant, l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun a dit dans L’Auberge des pauvres : «Tout a une fin, même l’enfer»…
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