Vous êtes-vous déjà demandé si, lorsqu'il vous faut faire preuve de créativité, vous étiez plus efficace en réfléchissant tout seul dans votre coin ou bien en oeuvrant à deux? Sûrement. Et vous n'êtes pas arrivé à une conclusion claire, j'imagine. Vous vous êtes peut-être dit qu'il était parfois bon de penser seul dans son bureau, et d'autre fois à deux. Que ça dépendait du problème à résoudre, ou encore de la personnalité de l'autre. Pas vrai?
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Pourtant, la réponse existe, et elle est claire et nette. Elle se trouve dans une étude intitulée Incentives and creativity in groups, signée par : Gaute Torsvik et Sigve Tjøtta, tous deux professeurs d'économie à l'Université de Bergen (Norvège); ainsi que Joachim Ramm, directeur général du ministère du Gouvernement local et du Développement régional à Oslo (Norvège).
La curiosité des trois chercheurs avait été éveillée par un passage du best-seller Drive de Dan Pink dans lequel il était dit que les incitatifs financiers à la performance étaient contre-productifs auprès des individus qui devaient briller par leur créativité. C'est-à-dire qu'offrir une prime à un employé pour le motiver à être plus créatif est une mauvaise idée : la personne concernée aura dès lors le réflexe de brider son imagination, de peur que ses idées les plus folles ne plaisent pas, et l'empêchent donc de toucher la récompense espérée.
Une interrogation leur est venue en tête : cela est-il aussi vrai pour les groupes? Oui, offrir une prime à la performance à un groupe de personnes chargées d'innover est-il également une mauvaise idée? Une interrogation d'autant plus pertinente qu'au travail nous sommes plus souvent qu'autrement appelés à réfléchir en groupe dans de tels cas.
MM. Torsvik, Tjøtta et Ramm ont ainsi demandé à 60 volontaires de bien vouloir se prêter à une petite expérience. Il s'agissait de résoudre un problème en moins de 15 minutes, le "problème de la bougie" concocté par Karl Duncker en 1945. Le connaissez-vous? Non? Alors je vous propose de vous amuser à tenter de trouver la solution par vous-même :
On vous donne une bougie, une poignée de punaises et une boîte d'allumettes. Votre mission : fixer la bougie au mur afin qu'elle brûle normalement, sans endommager le mur et de surcroît sans que la cire fondue par la combustion ne coule par terre.
Promis, je vous donne la solution à la toute fin de ce billet. Maintenant, revenons à l'expérience des chercheurs norvégiens. Ils ont placé les participants dans différentes conditions :
> Tous étaient mis par groupes de deux, par tirage au sort.
> Il avait été promis à la moitié des groupes des récompenses financières aux trois binômes qui réussiraient à trouver la solution le plus vite.
> Il n'a jamais été question de récompense pour l'autre moitié des groupes.
Résultat? Fort simple...
> Aucun impact. L'incitatif financier n'a eu aucune incidence sur la performance des binômes. Ceux qui étaient en compétition pour gagner l'un des trois prix en jeu ont réussi tout aussi vite que ceux qui se contentaient de relever le défi proposé par pur plaisir intellectuel.
Pour aller plus loin, les chercheurs ont décidé de mener la même expérience, mais cette fois-ci en demandant à de 50 nouveaux participants de chercher seuls la solution du problème de la bougie. Et c'est là qu'ils ont fait une belle découverte...
Dans un premier temps, ils ont constaté que l'incitatif financier, une fois de plus, n'avait eu aucun impact particulier sur la performance des participants. Ce qui était un peu curieux, car d'après de précédentes études, dont celles sur lesquelles s'appuyait Dan Pink dans son livre Drive, ceux à qui l'on avait proposé une prime auraient dû moins bien réussir que les autres. Mais les trois chercheurs ont résolu ce mystère en constatant qu'il y avait une différence entre leur expérience et celle de Glucksberg, menée en 1962 et qui, depuis, fait autorité sur le sujet : il y avait dans leur expérience des hommes et des femmes, alors que dans celle de Glucksberg, il n'y avait que des hommes : «Le fait que les deux sexes soient représentés dans notre échantillon doit être l'explication de cette différence dans les résultatsÙ, indiquent-ils dans leur étude, sans s'attarder outre mesure sur ce point, car là n'était pas l'important.
En effet, dans un second temps, ils ont noté que les individus avaient été nettement moins bons que les binômes pour trouver la solution du problème de la bougie. C'est bien simple, tous les binômes avaient trouvé la solution, sans exception, alors qu'environ 1 individu sur 4 n'y était pas parvenu.
Cela signifiait-il que l'on est plus ingénieux en binôme que tout seul? Les trois chercheurs ont usé d'une astuce économétrique pour le savoir, qui consiste en une simulation de Monte Carlo. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais je peux vous indiquer que celle-ci correspond grosso modo à composer virtuellement des binômes à partir des individus et à simuler mathématiquement leur performance s'ils avaient collaboré ensemble au lieu d'oeuvrer chacun de leur côté. L'idée est alors de comparer la performance globale des binômes réels et celle des binômes virtuels. C'est un tantinet complexe, mais ça donne des résultats pertinents.
Justement, quel résultat cela a-t-il donné? Le voici :
> Supériorité des binômes réels. Les binômes réels ont trouvé la solution au problème en moyenne en 3 minutes 15 secondes tandis que les binômes virtuels y sont arrivés en moyenne en 4 minutes 36 secondes.
Qu'est-ce à dire concrètement? Ceci :
> Un individu se montre plus créatif lorsqu'il oeuvre avec autrui plutôt que tout seul dans son coin.
Il n'y a maintenant aucun doute là-dessus. Mieux vaut réfléchir à deux sur un problème que tout seul dans son bureau, lorsqu'il s'agit de faire preuve de créativité.
Dernière preuve : jìmagine que vous avez eu du mal à trouver la solution au problème de départ, celui de la bougie. La solution? La voici : il suffit d'allumer la bougie, de faire couler un peu de cire fondue sur le côté de la boîte et de coller celle-ci au mur ; puis, de poser la bougie debout dans la boîte. Et le tour est joué.
En passant, le philosophe français Jean le Rond d'Alembert a dit dans L'Encyclopédie : «L'esprit qui invente est toujours mécontent de ses progrès, parce qu'il voit au-delà».
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