BLOGUE. Qu'est-ce qu'une carrière, au juste? Avant tout une évolution. Une évolution plus ou moins voulue. Car durant notre cheminement professionnel, nous évoluons à mesure que nous croisons des personnes différentes de nous et que nous nous faisons influencer par un environnement continuellement changeant.
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Petite question : Une telle évolution peut-elle aller jusqu'à l'hybridation? C'est-à-dire jusqu'à la transformation radicale de notre être à la suite de la fréquentation d'un milieu de travail donné. Oui, peut-on changer au point de devenir un autre, une toute nouvelle personne dont il ne reste que quelques traces de celle que l'on était auparavant? Bref, peut-on vraiment devenir hybride?
La réponse à cette interrogation existentielle existe. Elle se trouve, je pense, dans une étude intitulée How the zebra got its stripes: Imprinting of individuals and hybrid social ventures. Celle-ci est signée par Julie Battilana, professeure de gestion des affaires à Harvard (États-Unis), et l'un de ses étudiants, Matthew Lee.
Les deux chercheurs se sont penché sur les entrepreneurs qui ont récemment fondé une entreprise à dimension sociale. Qu'est-ce à dire? Il s'agit d'entreprises présentées ici comme hybrides parce qu'elles poursuivent simultanément deux buts a priori distincts : faire de l'argent et contribuer au mieux-être d'une communauté de personnes déterminée.
Un exemple connu d'entrepreneuriat social est TOMS, la marque d'espadrilles colorées mise au point par l'Américain Blake Mycoskie, dont le slogan est «Un pour un» – pour chaque paire achetée, TOMS s'engage à chausser un enfant d'Argentine qui en a besoin pour avoir le droit d'aller à l'école. TOMS vise clairement à faire des affaires en vendant des chaussures – «Je suis avant tout un homme d'affaires», a souligné M. Mycoskie lors de son passage au dernier C2-MTL –, mais entend également donner du sens à l'argent qui est ainsi glané, en en faisant bénéficier d'autres personnes, en l'occurrence des gamins argentins. TOMS est sans l'ombre d'un doute hybride.
Mme Battilana et M. Lee ont dressé une liste de quelque 700 entreprises à dimension sociale à l'image de TOMS. Puis, ils ont méticuleusement récolté ici et là le plus d'informations possible sur leurs fondateurs : âge, sexe, niveau d'éducation, cursus professionnel, etc. Enfin, ils ont regardé s'il y avait dans toutes ces données des éléments qui pouvaient expliquer pourquoi ceux-ci avaient fini par créer, un beau jour, une entreprise hybride.
Et le plus beau, c'est qu'ils ont trouvé! Ils ont mis en évidence trois facteurs déterminants pour qui est appelé à créer une entreprise hybride :
> Les parents. En général, les entrepreneurs sociaux ont un père et/ou une mère qui a été entrepreneur(e). Cela leur a donné un exemple à suivre et leur a permis d'intégrer la logique liée à la nécessité de faire des profits pour perdurer.
> Les études universitaires. Les entrepreneurs sociaux ont dans la majorité des cas suivi des études universitaires. Cela semble favoriser l'hybridation à venir, en ce sens qu'ils sont ainsi amenés à s'ouvrir facilement à la nouveauté et à la différence.
> L'expérience professionnelle. Bien souvent, les entrepreneurs sociaux ont œuvré durant une courte période dans des entreprises traditionnelles, dont l'unique raison d'être est de faire le plus de profits possible. Plus le passage dans de telles firmes est long, moins grandes sont les chances de voir la personne concernée se lancer avec brio dans l'entrepreneuriat social.
Par conséquent, on peut dire qu'il y a de fortes chances que vous deveniez hybride vous-même si :
> L'un de vos parents a lui-même été radicalement changé en bien par son milieu de travail.
> Vous avez suivi des études universitaires.
> Vous avez peu fréquenté de milieux de travail sclérosés.
Est-ce là votre cas? Vous reconnaissez-vous dans ce profil de personne? Si votre réponse est un «oui» franc, alors sachez que vous êtes prédisposé à devenir hybride. C'est-à-dire à vous métamorphoser, un beau jour, en quelqu'un d'autre, de meilleur, d'unique, pour ne pas dire d'exceptionnel. Reste peut-être à provoquer votre destin, afin de pouvoir – enfin! – ressentir l'étincelle qui déclenchera tout le processus…
En passant, le romancier québécois Jean-Paul Fugère a dit dans L'Orientation : «La paix, comme toute métamorphose, exige une adaptation douloureuse à laquelle bien des gens se refusent».
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