BLOGUE. Petite question : savez-vous qui est Nicolas Fouquet? Peut-être que oui, peut-être que non. Probablement vaguement. Eh bien, Nicolas Fouquet était le surintendant des finances du roi Louis XIV, à l'époque de Mazarin. Cet homme d'État français de haut rang a eu un pouvoir et une fortune personnelle considérables, si considérables même que Voltaire a dit de lui qu'il était devenu, de fait, le véritable roi de France.
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Que reste-t-il aujourd'hui de lui? Une merveille : le château de Vaux-le-Vicomte. Sa splendeur était telle à l'époque qu'il lui en a coûté les foudres du jeune Louis XIV : quelques jours après y avoir assisté à une fête monumentale organisée en son honneur, le roi a décidé – fou de jalousie – de destituer Nicolas Fouquet ainsi que de le faire arrêter et emprisonner à vie. C'est que château était plus magnifique que le sien.
Comment Nicolas Fouquet a-t-il réussi à surpasser son propre roi? Cela est expliqué à merveille dans un livre intitulé Motiver comme Nicolas Fouquet (Eyrolles, 2013), signé par la coach française Anne Vermès. Le secret de ce succès réside non pas dans le fait d'avoir détourné de l'argent et de l'avoir dépensé à son profit, comme on pourrait l'imaginer a priori, mais dans le talent de Nicolas Fouquet pour bien s'entourer et pour motiver les personnes talentueuses à son service.
Ainsi, quand il est devenu le surintendant des finances du roi, Nicolas Fouquet a décidé de perpétuer une tradition bien ancrée chez les hommes de pouvoir : à l’époque, tout personnage public exerçant de hautes responsabilités se devait d’être bâtisseur. Il a donc voulu se doter d'un château splendide, qu'il ferait bâtir sur un terrain en friche qu'il détenait de longue date, situé à mi-chemin entre Paris, le siège du pouvoir, et Fontainebleau, la "résidence secondaire" des rois de France. Il a acquis tous les domaines environnants, fait raser le village de Vaux, détourné une rivière et arraché des vignes. Puis, il est parvenu à réaliser un coup de maître, comme l'explique l'auteure…
«Il s'entoure des "3 L" : l’architecte Louis Le Vau, le peintre Charles Le Brun et le jardinier André Le Nôtre. Une dream team qui va bâtir, en moins de cinq années de collaboration fructueuse, une splendeur. (…)
«Fouquet, devenu expert dans l’art de créer et de développer des réseaux de contacts, va repérer l’architecte Le Vau, qu’il croise souvent dans les salons parisiens de ses "clients" : les familles d’aristocrates. Né en 1612, Le Vau est nommé architecte du roi en 1656 et a déjà édifié de nombreux hôtels parisiens quand il arrive à Vaux-le-Vicomte. Sous l’impulsion de Nicolas Fouquet, il sera chef de projet, sachant communiquer avec pédagogie le sens et la vision du projet, tout en accompagnant ses chefs d’équipe pour respecter le budget et le délai de construction.
«Pour Fouquet, son expertise est un atout clé dans la réussite du projet. Il a une réelle expérience dans le pilotage de projets complexes, sait garder une vision globale, laisse les détails à ses collaborateurs et est inflexible sur le délai de livraison. Fouquet tient donc l’homme de la situation.
«Il recrute un deuxième expert, réputé pour son talent mais moins entraîné dans la réalisation d’œuvres grandioses. À l’époque, le peintre Charles Le Brun croule sous les commandes. Tous les puissants de la France du XVIIe siècle, magistrats, financiers et banquiers, se l’arrachent pour décorer leurs galeries d’œuvres religieuses ou couvrir de sujets mythologiques les plafonds des hôtels particuliers qu’ils viennent de se faire construire.
«Fouquet lui propose de rejoindre l’équipe et de contribuer à la réalisation d’un concept unique en France : la construction d’un "Palais des Arts". Le Brun quitte ses "clients", sans même achever les travaux commencés, et va se consacrer exclusivement à la décoration de Vaux-le-Vicomte. Les historiens sont encore étonnés par cette décision que l’on pourrait juger impulsive. C’est un des nombreux secrets que Fouquet nous livre : son art incomparable de s’attacher durablement des talents et de les faire fructifier.
«Nous sommes donc en 1656. L’équipe est presque au complet, avec l’arrivée du "petit dernier", un certain André Le Nôtre, qui coordonnera l’exécution exemplaire des premiers jardins "à la française". (…) Une solide formation composée de matières telles que l’architecture, la géométrie, la sculpture et la peinture va lui donner le sens de la perspective, faisant de lui, plus qu’un simple jardinier, un authentique terrassier sachant construire grottes, portiques et labyrinthes. (…)
«Fouquet est assez fier de son casting de rêve et réunit, un matin de printemps 1656, ses "3 L" : «Messieurs, je vous ai choisis pour vos talents et qualités individuelles, à vous de réussir ensemble ce "Palais des Arts" jamais imaginé jusqu’alors. Je n’ai qu’un mot d’ordre : je veux de la Grandeur! Innovez donc, sortez de vous-mêmes!»
«Les "3 L" ont dû se regarder, sidérés. Ils étaient là, face à un commanditaire audacieux, qui leur demandait avant tout de ne pas faire ce qu’ils faisaient depuis toujours. Chance suprême dans une carrière ou défi difficile et risqué?
«[Tout va alors très vite.] Dès le mois de septembre 1657, le gros œuvre est terminé, la charpente en place et la toiture en cours d’assemblage. Trois mois plus tard, les marbriers installent les cheminées et les menuisiers achèvent les lambris et les chambranles. En août 1658 s’élève le dôme, ce qui représente 18 mètres de hauteur entre le sommet du château et le rez-de-chaussée.
«Dix-huit mois seulement pour ériger la structure du château le plus innovant de l’époque, avec 18 mètres de hauteur et 2 500 mètres carrés de toiture. La performance est impressionnante. Quels sont donc les ingrédients de cette efficacité collective et de cette rapidité d’exécution?
«Le Vau, ne l’oublions pas, n’est pas un débutant. Dès la signature du contrat et du plan avec Fouquet, il analyse les domaines techniques où il peut gagner un temps précieux. Il va donc suggérer au surintendant de contractualiser avec un de ses partenaires, Villedo, avec qui il a déjà relevé de nombreux défis techniques.
«Il sollicite cet entrepreneur pour trouver des moyens d’optimiser le temps de montage des murs, de la charpente et de la toiture. Le Vau, en collaboration avec les deux entrepreneurs Villedo et Bergeron (beau-frère de Villedo), imagine un nouveau type d’échafaudage qui permettrait de gagner du temps.
«Dans cette recherche d’optimisation, ils partent de leur expérience. Ils utilisent un échafaudage mis au point par les bâtisseurs de cathédrales. Cet échafaudage est élaboré avec des poutres insérées dans des trous de boulins sur lesquelles reposent des planches.
«Ils ajoutent une innovation qui va se révéler efficace : ils proposent de croiser les poutres afin de gagner en stabilité. Les tailleurs de pierre, au lieu de tailler leurs blocs de 500 kg au sol et de les hisser sur la façade, taillent directement les blocs sur les échafaudages. Le procédé est efficace et permet d’optimiser la taille de pierre, le montage des poutres pour la charpente et des tuiles pour la toiture.
«En outre, afin que chaque corporation parle le même langage, Le Vau suggère, avec Villedo, une méthode de travail identique et définit une organisation inflexible pour les maçons, charpentiers, tailleurs de pierre et ferronniers.
«À partir des plans qu’il a dessinés et qui ont été approuvés par Nicolas Fouquet, chaque corporation effectue des plans détaillés des parties du château dont ils ont la charge, puis des esquisses et des maquettes. Après validation par le chef de projet, les corporations passent à la réalisation "grandeur nature". Pour réussir Vaux-le-Vicomte, les corporations devront s’adapter à cette méthode de travail collective.
«Le mode d’organisation n’est pas la seule raison de cette efficacité. Les trois artistes ont pris le temps, dès 1658 (une fois Le Brun arrivé), de clarifier leur rôle et de veiller, malgré les difficultés, à se coordonner et à faire travailler leurs équipes ensemble. La réalisation du salon ovale est un bel exemple de cette coopération entre experts.
«La parfaite perspective qui se dégage de ce salon traduit la clarté d’exécution entre les trois experts, un sens aigu de la coopération et des valeurs partagées. En effet, ces trois chefs d’équipe, au-delà de leurs différences, partagent trois valeurs clés : une aptitude à sortir de leur zone d’expertise et à fonctionner de façon transversale, une culture de l’excellence et une aptitude à valoriser la contrainte comme source de créativité.
«Fouquet a incité ce mode de fonctionnement. Lors de ses brefs passages sur le site, il réunit ces "3 L", les sollicite individuellement, sur l’ensemble des sujets, et valorise leur "intelligence collective" dans la recherche de solutions.
«Le résultat est là : Vaux brille toujours par la sobre beauté de ses proportions, ainsi que par son équilibre, son audace, sa splendeur et son bon goût.»
Que retenir de cette belle rencontre entre l'Histoire et le management? Six conseils pratiques, selon Anne Vermès…
1. Osez mettre en lumière vos collaborateurs face à votre hiérarchie, en valorisant leurs talents, leurs compétences et leurs expertises. Ici, Fouquet met en scène avec beaucoup de modernité ses collaborateurs. Le non-verbal de sa posture parle de lui-même. Il organise l’inauguration de son château (c’est-à-dire du projet collectif) et positionne ses collaborateurs à ses côtés pour accueillir le roi.
2. Veillez à garder une cohérence symboliquement forte entre votre discours de valorisation et votre expression non verbale. Fouquet excelle dans cette cohérence. Il positionne son équipe à ses côtés lors de l’arrivée du roi et présente ensuite, collaborateur par collaborateur, leurs compétences spécifiques. Cette cohérence est perçue autant par les équipes que par le "top manager". Les collaborateurs sont identifiés comme de "hauts potentiels" à l’issue de cet événement et, fait rarissime à cette époque où les courtisans se pressent autour du roi, Fouquet permet une identification de l’expertise de chacun.
3. Osez être généreux, voire désintéressé, quand il s’agit de valoriser la performance de vos collaborateurs, et ce, pour qu’ils en tirent des bénéfices directs.
4. Sachez créer des défis mobilisateurs pour vos collaborateurs, en les articulant autour de trois axes :
— un concept clairement défini : ici, le «Palais des Arts»;
— la nécessité d’être une force de proposition collective : aucun des trois experts ne peut matérialiser ce concept sans la contribution des deux autres;
— l’activation de deux aspects essentiels de motivation : une liberté de création et une exigence opérationnelle incontournable. Fouquet utilise deux ressorts de motivation pour l’équipe des "3 L" : il offre un réel espace d’action et dans le même temps est inflexible sur des contraintes peu nombreuses mais identifiées : respect du budget, nécessité d’innover, travail transversal.
5. Sachez prendre des risques dans l’assemblage des compétences et des personnalités, histoire de favoriser ce que nous pourrions appeler des "fusions créatrices". Fouquet identifie rapidement le leader : Le Vau. Et pourtant, c’est sur l’impulsion de Vatel et de Le Brun que des innovations majeures vont avoir lieu (cuisine et salon ovale). Donc, si leader il y a, il ne pourra vraiment développer ses expertises qu'avec la contribution proactive des membres ce l'équipe.
6. Entraînez-vous à formuler clairement – en une phrase – le défi majeur du projet et la finalité que vous en attendez. Fouquet reste économe en mots :
— le défi : un "Palais des Arts";
— la finalité : matérialiser sa vision de la France.
Voilà. Ces conseils feront peut-être de vous, un jour, un grand bâtisseur.
En passant, Louis XIV aimait à dire : «C'est toujours l'impatience de gagner qui fait perdre».
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