BLOGUE. Avez-vous déjà entendu parler de biomimétisme? Sûrement, au moins vaguement. Vous savez que c'est une démarche qui vise à imiter la nature dans ce qu'elle fait de plus intelligent, comme la combinaison de natation Fastskin qui s'inspire de la peau du requin mako pour permettre au nageur de filer plus vite dans l'eau. Mais avez-vous songé deux secondes que le biomimétisme pouvait s'appliquer au management?
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Non, j'en mettrais ma main au feu. Pour ma part, je l'ai découvert hier, à l'occasion de la toute première conférence Momentum, organisée par le magazine Novae à la Place-des-Arts de Montréal. Celle-ci avait pour thème central l'éco-innovation, c'est-à-dire l'innovation de demain, celle qui tiendra réellement compte du développement durable, tant sur le plan environnemental que social, bref, celle «qui permettra aux entreprises de tirer davantage de bénéfices de l'écosystème dans lequel elles évoluent», d'après Mickaël Carlier, président et éditeur de Novae.
Comment cela? Chris Allen, le président et cofondateur de Biomimicry 3.8, une firme américaine spécialisée dans le conseil en biomimétique, l'a clairement expliqué à l'audience. Il faut savoir que la science née du biomimétisme est apparue dans les années 1990, à la suite de la parution du livre Biomimicry: Innovation inspired by nature de la biologiste Janine Benyus. Cette dernière a observé comment la faune et la flore fonctionnaient pour se débrouiller toutes seules et en a tiré les leçons suivantes :
> Elle utilise une source d'énergie principale, celle du soleil.
> Elle n'utilise que ce dont elle a besoin comme énergie.
> Elle adapte la forme à la fonction.
> Elle vise la simplicité.
> Elle recycle tout, et donc ne produit aucun déchet.
> Elle récompense la coopération.
> Elle parie sur la biodiversité.
> Elle utilise les contraintes pour susciter la créativité.
> Elle pousse à l'excellence.
La découverte de Mme Benyus a provoqué une multitude d'innovations, dans toutes sortes de domaines, comme l'a illustré M. Allen :
> Comme le martin-pêcheur. La locomotive du train à grand vitesse japonais Shinkasen, au nez long et profilé, a un design directement inspiré de la forme du bec du martin-pêcheur.
> Comme les moules. La firme Columbia Forest Products a élaboré son bois lamélisé PureBond en observant… des moules! Elle a financé les travaux du professeur en foresterie Kaichang Li, de l'Université d'État de l'Oregon (États-Unis), qui s'était demandé comment il se faisait que les moules tenaient si bien aux rochers, en dépit des rouleaux de la mer. Celui-ci a découvert qu'elles secrétaient une protéine particulière, qui lui donnait force et flexibilité. Puis, il a réussi à modifier des protéines du soya pour parvenir à une performance similaire. Résultat? Le bois PureBond est aujourd'hui doté de cette protéine, ce qui lui procure, à son tour, une dureté et une flexibilité à nulles autres pareilles.
> Comme un banc de poissons. Nissan s'est demandé comment il se faisait que les poissons en banc évoluent si gracieusement, sans jamais se cogner les uns aux autres. Ses ingénieurs ont mis au point un modèle de calcul finalement très simple, où chacun poursuit deux buts : d'abord, éviter toute collision; ensuite, chercher à se rapprocher le plus possible de celui qui est le plus proche de lui. Cela leur a permis de construire de petits robots, les Eporo, qui sont capables de rouler harmonieusement, sans jamais se cogner ou se retrouver coincés dans un embouteillage. [voir le vidéo]
«Les plus grandes innovations du 21e siècle se produiront aux points de rencontre de la biologie et de la technologie. Nous sommes à l'orée d'une toute nouvelle ère.» Qui a dit cela? Nul autre que Steve Jobs, le feu PDG d'Apple, comme l'a rappelé M. Allen pour souligner l'importance grandissante que prenait de nos jours la biomimétique.
Maintenant, cette nouvelle science n'est-elle limitée qu'aux domaines liés à la technologie? Ne peut-elle servir qu'à faire des objets plus beaux et plus efficaces?
«Non. Les principes du biomimétisme sont a priori applicables partout, y compris au management. Il suffit de considérer l'entreprise comme l'un des organismes vivant au sein d'un écosystème, et de suivre les enseignements de la nature pour lui prodiguer une évolution saine et harmonieuse», a dit le consultant David King-Ruel, dans la table ronde organisée juste après la présentation du PDG de Biomimicry 3.8.
«Si un organisme ne contribue pas positivement à son écosystème, il ne survit pas. C'est aussi simple que ça», a souligné la biologiste de formation Moana Lebel, qui est cofondatrice de Biomimétisme Québec.
En conséquence, il convient de «voir le management d'un œil neuf», d'après M. King-Ruel. Qu'est-ce à dire? «On peut commencer par la structure de l'entreprise elle-même : trop rigide, par exemple, elle risque de freiner l'innovation, et donc la croissance organique. On peut ensuite aller plus loin, en s'intéressant à ses procédures : la nature cherche toujours une solution simple aux problèmes rencontrés, pourquoi ne réagirions-nous pas de la même façon?», a-t-il expliqué.
Un exemple lumineux : Crudessence. La chaîne québécoise de restaurants végétaliens et biologiques est née de la volonté de ses fondateurs, Mathieu Gallant et David Côté, d'innover avec une "alimentation vivante", c'est-à-dire "riche en saveurs et en valeurs", à même d'apporter au corps "force, vitalité et clarté d'esprit".
Bien entendu, cela ne pouvait se faire sans le plus grand respect pour la nature, en particulier en matière de management : «Dès le départ, on s'est demandé quel était le meilleur moyen de fonctionner en cuisine. Fallait-il que chacun soit spécialisé et limité à ce qu'il sait faire de mieux – comme nombre de cuisines traditionnelles –, ou plutôt que chacun soit polyvalent et intervienne à son gré, en fonction des besoins? Après réflexion, nous avons choisi de laisser librement s'exprimer le talent de chacun, de miser sur la flexibilité, à l'image de ce qui se produit dans la nature. Vu de dehors, on croirait que c'est le chaos dans nos cuisines, mais je peux vous assurer que nous sommes ultra-efficaces», a raconté le directeur général Julian Giacomelli.
D'ailleurs, le conseil adressé par M. Giacomelli aux entrepreneurs intéressés par cette nouvelle approche du management est le suivant : «La première chose à faire, c'est de s'atteler au comportement des employés. Il faut leur donner conscience qu'ils évoluent dans un écosystème, et que s'ils n'en tiennent pas compte, les choses vont nécessairement mal tourner pour eux. Puis, il faut les inviter à s'adapter sans cesse à cet écosystème, histoire d'y agir de manière optimale. Il faut les encourager à devenir flexibles, et même résilients», a-t-il dit.
«Nous avons tous l'impression de vivre dans un monde complexe, où tout est compliqué, pour ne pas dire difficile à vivre. Pourtant, il y a toujours des solutions simples, comme nous l'enseigne la nature. Alors, simplifions-nous la vie!», a martelé M. King-Ruel.
Un beau mot d'ordre…
En passant, le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel aimait à dire : «La nature se suffit».
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