Nous avons tous le même réflexe : pour convaincre quelqu'un, nous avons tendance à lui présenter le bon côté des choses. Par exemple, ce que cela va lui apporter personnellement. Le calcul est le suivant : si tu ne sautes pas sur l'occasion qui se présente à toi, voilà ce que tu vas rater. Et le calcul est vite fait, en général…
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Mais voilà, est-ce là la meilleure façon de faire? Du moins, la plus efficace? C'est ce que je me suis longtemps demandé, jusqu'à ce que je tombe sur une étude passionnante, intitulée Dispelling myths about a new healthful food can be more motivating than promoting nutritional benefits: The case of tofu. Celle-ci est signée par : Brian Wansink, professeur de marketing à l'Université Cornell (États-Unis), assisté de son étudiant Mitsuru Shimizu; et Adam Brumberg, directeur adjoint du Laboratoire Marque & Nourriture de Cornell. Une étude qui met au jour un phénomène qui ne manquera pas d'en étonner plus d'un…
Ainsi, les trois chercheurs se posaient la même interrogation que moi et on décidé de se pencher sur un cas concret : le tofu. Ils se sont demandé comment on pouvait faire pour convaincre les gens d'en manger de manière régulière, quand ceux-ci n'y ont quasiment jamais goûté. Mieux, ils ont noté qu'aux États-Unis 72% de ce que mangent les membres d'une famille dépend uniquement d'une personne, celle qui fait les achats de nourriture et la cuisine, si bien qu'il serait intéressant de voir comment influencer cette personne-là pour la faire acheter de la nourriture saine (ici, le tofu) au détriment de la nourriture, disons, "moins saine", pour rester poli.
Comment s'y sont-ils pris? Le plus simplement du monde. Ils ont procédé à un sondage auprès de 502 femmes de 20-35 ans qui n'avaient pas pour habitude alimentaire de prendre du tofu. Il s'agissait pour chacune d'elles d'attribuer une note de 1 («Pas du tout d'accord») à 9 («Tout à fait d'accord») à une série d'affirmations du genre «Je ne sais pas préparer le tofu». Le but consistait à identifier les éventuels moteurs et freins à la consommation régulière de tofu.
Allons droit au but, voici ce que cela leur a permis de découvrir :
> Deux moteurs. Seulement deux arguments positifs sont réellement susceptibles de convaincre quelqu'un de se mettre à acheter du tofu pour se nourrir. Soit : «Le tofu est riche en protéines» et «Ce tofu n'est pas issu de produits génétiquement modifiés». Cela étant, ces deux moteurs sont d'une puissance modérée, car si l'on regarde tout ce qui pourrait amener à un tel changement de comportement (total de 100%), ils ne compteraient que pour 12% de l'ensemble.
> Trois freins et un curieux moteur. Trois arguments négatifs sont susceptibles de freiner quelqu'un dans l'achat de tofu. Soit : «Le tofu n'a aucun goût», «Je ne sais pas cuisiner le tofu» et «Le tofu est cher». Curieusement, un argument a priori négatif est susceptible d'inciter à l'achat de tofu, à savoir «Il faut être un bon cuisinier pour préparer un plat avec du tofu». Pourquoi? Vraisemblablement parce qu'il est faux : cuisiner du tofu, c'est à la portée de tout le monde. À noter que ces freins sont très puissants : si l'on regarde tout ce qui pourrait décourager quelqu'un d'acheter du tofu (total de 100%), ils compteraient pour 44% de l'ensemble.
Que déduire de tout cela? «Comme les freins sont plus puissants que les moteurs, quiconque entend inciter les gens à consommer régulièrement du tofu a intérêt à jouer sur les freins, non pas sur les moteurs. Car le discours sera nettement plus efficace», indiquent les trois chercheurs dans leur étude. Et d'ajouter : «Mieux vaut, par exemple, expliquer comment cuisiner le tofu plutôt que de chercher à convaincre des bienfaits nutritifs de cet aliment».
Bon. «En Tête» est-il devenu un blogue de cuisine, vous demandez-vous peut-être? Non, bien sûr. En fait, je suis sûr que vous m'avez vu venir depuis un bout de temps. L'intérêt de cette étude, pour qui se pique de management, réside dans le fait qu'on a tout à gagner à considérer le côté négatif des choses. Et donc, à se défaire de cette manie que nous avons de sans cesse chercher le bon côté des choses. Car c'est là faire preuve d'intelligence.
Concrètement, la leçon est la suivante :
> Vous souhaitez convaincre autrui d'effectuer un changement? Fort bien, il vous suffit pour cela d'identifier les freins à celui-ci, de les analyser, puis de les inverser pour vous en servir comme de moteurs. Ou du moins, comme d'étincelles à même de déclencher le mouvement de changement. Car c'est la méthode la plus efficace d'agir.
Voilà. À vous de jouer!
En passant, l'écrivain allemand Friedrich Hebbel disait : «Il faut plus de courage pour changer son point de vue que pour lui rester fidèle».
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