La reconnaissance. Tout le monde s’entend, je pense, pour dire qu’il s’agit là d’un élément fondamental de l’efficacité au travail d’une personne ou d’une équipe. Et même pour le bonheur de l’une comme de l’autre. Car là où nous nous révélons à nous-mêmes, c’est toujours dans les yeux d’autrui. Pas vrai ?
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C’est que, si jamais nous ne suscitons jamais d’étincelles dans les yeux de nos collègues, nous ne nous sentons pas reconnus. Et cela peut même aller jusqu’au sentiment de rejet. En conséquence, notre efficacité en prend un méchant coup, vu que nous n’avons plus le cœur à l’ouvrage. En revanche, il suffit qu’un collègue lâche un vibrant ‘Wow !’ à la suite de notre intervention, ou bien que notre boss nous donne, en passant, une tape dans le dos, pour que notre cœur fasse un bond et nous procure un tout nouvel élan au travail.
Bon. Mais comment s’y prendre, au juste, pour reconnaître le travail d’une personne, ou d’une équipe entière ? Vous allez me dire qu’il y a mille et une façons de s’y prendre, que certaines sont plus efficaces que d’autres et qu’il est impossible de généraliser en la matière, qu’il faut y aller au cas par cas. Hum… Je vous aurais probablement donné raison jusqu’à peu, mais je suis récemment tombé sur une étude qui m’a fait voir le sujet sous un nouveau jour. Cette étude, intitulée Merit and justice : An experimental analysis of attitude to inequality, est signée par Aldo Rustichini, professeur d’économie à l’Université du Minnesota à Minneapolis (États-Unis), et Alexander Vostroknutov, professeur d’économie à l’Université de Maastricht (Pays-Bas). Et elle montre qu’il existe bel et bien un truc ultrasimple pour reconnaître le travail des uns et des autres, une astuce, je le souligne, d’une redoutable efficacité…
Ainsi, les deux chercheurs ont demandé à 168 volontaires de bien vouloir se prêter à deux petites expériences :
> Mérite. Dans la première, il fallait jouer contre l’ordinateur au jeu du lapin et des chiens, un jeu combinant logique et stratégie qui nécessitait de faire preuve d’une grande concentration pour ne surtout pas commettre d’erreur fatale. Chaque participant devait enchaîner dix parties de suite. Et des gains financiers individuels étaient associés au nombre victoire.
> Chance. Dans la seconde, il fallait indiquer un nombre entre 1 et 100 : le joueur gagnait si ce nombre-là figurait à un écart de moins de 10 points de celui indiqué, en même temps et complètement au hasard, par l’ordinateur. Et ce, dix fois de suite, comme lors de la précédente expérience. Idem, des gains financiers individuels étaient associés au nombre de victoires.
Point important : chaque fois qu’un participant avait terminé l’une des expériences (c’est-à-dire avait joué dix parties de suite), il devait prendre une décision. On lui offrait la possibilité de diminuer à sa guise les gains d’un autre participant, de manière anonyme : pour prendre sa décision, il lui était indiqué le classement des joueurs et les gains de chacun, sans aucun détail sur l’identité des uns et des autres. Chaque participant, donc, devait décider s’il retirait de l’argent à autrui, ou pas.
Résultats de ces drôles d’expériences ? Eh bien, attendez-vous à quelques surprises :
> Les leaders premiers ciblés. La majorité des participants ont décidé de retirer de l’argent à autrui. Et en ce cas, ils ont presque toujours ponctionné l’une des personnes figurant en tête du classement. À noter que les personnes ainsi ‘taxées’ ont alors perdu, en moyenne, la moitié de leurs gains.
> Désavantage à la chance. Les ponctions effectuées dans les gains d’autrui ont été plus élevées lorsque ceux-ci avaient été empochés grâce au jeu de hasard. Pourquoi ? «Les gens ont considéré que ces gains n’étaient pas mérités, puisqu’ils étaient entièrement dus à la chance. Ils ont donc été plus prompts à ‘taxer’ sévèrement ceux qui s’en étaient bien sortis», expliquent les deux chercheurs dans leur étude.
> Une juste récompense. Les ponctions effectuées dans les gains d’autrui ont été nettement moindres lorsque ceux-ci avaient été empochés grâce au jeu du lapin et des chiens. Pour une raison toute simple : «Les gens reconnaissaient que ceux qui s’en étaient bien sortis avaient fourni de gros efforts pour ça, voire usé de talents particuliers, ce qui, à leurs yeux, méritait une récompense. Mais – et c’est là un point crucial – pas une récompense ‘démesurée’ par rapport à leur propre performance : si l’écart entre les deux gains était trop grand à leurs yeux, alors ils s’estimaient en droit de réduire celui-ci, pour le rendre ‘plus juste’, vu que, eux aussi, ont fourni de gros efforts, même s’ils n’ont pas obtenu d’aussi bons résultats que les meilleurs», indiquent-ils.
Fascinant, n’est-ce pas ? Les participants ont ainsi estimé qu’il était important de reconnaître les efforts et les résultats de chacun, mais à condition que le témoignage de reconnaissance soit ‘juste’. C’est-à-dire à condition qu’il ne provoque pas d’inégalités flagrantes entre les uns et les autres : si jamais ils réalisaient qu’il y avait une grande différence entre la reconnaissance qu’ils avaient eu (leurs propres gains, en l’occurrence) et celle qu’avaient obtenu les meilleurs qu’eux, leur propre performance était dévalorisée à leurs yeux. Du coup, on peut légitimement supposer que cela affecterait leur sentiment de réussite, et par suite, leur motivation à fournir d’autres efforts à l’avenir.
Que retenir de tout ça ? Ceci, à mon avis :
> Qui entend reconnaître avec justesse le travail d’un employé ou d’une équipe se doit de récompenser non pas ses résultats, mais ses efforts. Il lui faut en effet éviter à tout prix de créer, de part la récompense offerte, un sentiment d’inégalité entre les uns et les autres. Pour le saisir, il lui suffit de se mettre dans la peau de quelqu’un qui a travaillé dur sur un projet complexe, des mois durant, et qui – pour mille et une raisons – n’a pas obtenu les résultats escomptés, et qui constate qu’un collègue qui a travaillé tout aussi fort, mais a atteint la cible visée, décroche une promotion de rêve ou une prime alléchante ; et lui, rien, si ce n’est quelques encouragements condescendants. Est-il étonnant que cette personne-là n’ait plus, dès lors, le cœur à l’ouvrage ?
En passant, l’écrivain néerlandais Multatuli disait : «Ce n’est pas la récompense qui élève l’âme, mais le labeur qui a valu cette récompense».
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