Au travail, nous avons tous le même réflexe : dès lors que nous intégrons une nouvelle équipe, voire un nouveau milieu de travail, nous avons tendance à nous fondre dans le moule. Oui, nous faisons tout pour faire partie intégrante de l'équipe, pour montrer qu'on est l'un d'eux, pour se faire accepter de tous. Mais voilà, avons-nous raison d'agir de la sorte?
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Et si vous tentiez plutôt de vous démarquer des autres… Et si vous n'aviez plus peur d'afficher votre différence… Et si vous aviez le cran de montrer clairement aux autres tout ce que vous pouvez leur apporter de nouveau, pour ne pas dire d'inédit, ou même d'exceptionnel… Bref, et si vous osiez enfin être anticonformiste…
J'imagine d'ici votre réaction : «Non, mais ça va pas! Si je faisais un truc pareil, je me ferais détester, je me ferais rejeter, je me ferais peut-être même virer. Les petits rigolos qui se croient supérieurs aux autres, c'est toujours ce qui leur arrive. Non merci, très peu pour moi. Je tiens à ma job». Est-ce que je me trompe? Je ne pense pas.
Le plus beau, c'est que je peux vous dire que vous vous trompez. Lourdement. Car j'ai mis la main sur une étude fantastique sur ce sujet, intitulée The red sneakers effect: Inferring status and competence from signals of nonconformity. Celle-ci est signée par deux professeures de Harvard (États-Unis) : Francesca Gino, en gestion des affaires; et Anat Keinan, en marketing, assistée de son étudiante Silvia Bellezza. Et elle montre qu'être anticonformiste comporte des bienfaits insoupçonnés…
Les trois chercheuses de Harvard ont voulu savoir ce qui arrivait aux personnes qui ne respectaient pas les normes et l'étiquette dans le milieu dans lequel ils évoluaient, et en particulier sur le lieu de travail. Pour ce faire, elles ont procédé à cinq expériences, dont je vais vous décrire les deux premières.
Ainsi, il a été demandé à 109 femmes vivant à Milan (Italie) de bien vouloir donner leurs impressions sur une situation donnée. Quelle situation, au juste? Ça dépendait:
> Conformisme. Pour certaines participantes, il s'agissait d'une femme portant une belle robe, une Rolex et un manteau de fourrure qui entrait dans une boutique de luxe.
> Anticonformisme. Pour les autres, d'une femme portant des vêtements de sport, une Swatch et un blouson quelconque qui entrait dans une boutique de luxe.
À noter que la moitié des participantes étaient des employées de boutiques de luxe (Armani, Christian Dior, Valentino, etc.), et l'autre, de simples passantes dans la gare centrale. Chacune devait, après avoir pris connaissance de la situation donnée, indiquer si, d'après elle, cette femme était une cliente potentielle, et s'il se pouvait qu'elle soit une VIP ou une célébrité.
Résultat? Fort intéressant :
> Avantage à l'anticonformisme. Les employées de boutique de luxe ont considéré que la femme anticonformiste – au look inapproprié par rapport au lieu – était plus susceptible de faire un achat que la femme conformiste. De surcroît, elles ont pensé qu'il y avait plus de chances que ce soit cette femme-là qui soit une célébrité. En revanche, les autres participantes, elles, n'ont fait guère de différences entre les deux femmes, qui ont été perçues tout autant comme des clientes potentielles ou comme des célébrités en puissance.
Que retenir de cette expérience? Une chose :
> Une attitude gratifiante. Se montrer anticonformiste est gratifiant aux yeux des personnes qui connaissent bien les normes et l'étiquette que l'on brave. Pas aux yeux des autres, qui portent dès lors un regard relativement indifférent.
Dans une autre expérience, les trois chercheuses se sont intéressé aux réactions de 159 étudiants de Harvard face à différents cas de figure :
> Conformisme. Un professeur de 45 ans bien rasé et bien habillé (costume avec cravate). Pour certains participants, il était indiqué qu'il œuvrait dans une grande université américaine. Pour d'autres, dans une université qui est loin d'être prestigieuse.
> Anticonformisme. Un professeur de 45 ans qui avait une barbe de trois jours et qui était habillé d'un T-shirt et d'un jean. Pour certains participants, il était indiqué qu'il œuvrait dans une grande université américaine. Pour d'autres, dans une université qui est loin d'être prestigieuse.
Chacun devait indiquer ce qu'il pensait du cas de figure qui lui avait été présenté. Par exemple, il devait dire s'il croyait que ce professeur était compétent, ou pas; et s'il était du niveau nécessaire pour publier un article dans la Harvard Business Review.
Résultat? Le voici :
> Avantage encore à l'anticonformisme. Le professeur à l'allure anticonformiste – barbe de trois jours et T-shirt – a été perçu comme plus compétent que celui au look clean, mais uniquement quand il œuvrait dans une université prestigieuse.
Autrement dit :
> Importance du décalage. Seul un look vraiment décalé permet d'en dégager un bénéfice.
Bien entendu, Mmes Gino, Keinan et Bellezza ont voulu comprendre comment il se faisait que l'anticonformisme soit aussi payant. Leurs trois autres expériences leur ont ainsi permis de découvrir des choses fort instructives :
> Autonomie. Nous apprécions les anticonformistes parce que nous considérons les signaux qu'ils envoient comme un signe d'autonomie. Et nous adorons tous a priori les personnes qui ont le cran d'être vraiment autonomes, pour ne pas dire indépendants.
> Unicité. Nous apprécions aussi les anticonformistes parce que nous considérons les signaux qu'ils envoient comme un signe d'unicité. Et nous adorons tous a priori les personnes qui ont le cran d'être vraiment uniques, pour ne pas dire exceptionnelles.
Ce n'est pas tout. Les trois chercheuses de Harvard ont également mis au jour les conditions nécessaires pour que l'anticonformisme soit payant. Celles-ci sont au nombre de trois :
1. Il faut que l'observateur fasse partie du milieu dans lequel la personne se montre anticonformiste. Car, faute de connaître les normes et l'étiquette, il n'est pas en mesure d'apprécier les signaux d'anticonformisme à leur juste valeur.
2. Il faut aussi que l'observateur comprenne que les signaux d'anticonformisme sont intentionnels. Si, par exemple, l'observateur remarque qu'une personne porte des chaussettes dépareillées et croit qu'il s'agit d'une erreur, et non d'un geste délibéré pour marquer discrètement sa différence et sa créativité, elle va juste rire sous cape, et par conséquent, l'anticonformiste ratera son coup.
3. Il faut enfin que l'anticonformisme ne soit pas la norme dans le milieu considéré. On peut penser, entre autres, au milieu de la pub : à Montréal, la norme actuelle est de porter une tuque Grafika en tout temps, si bien que quelqu'un qui voudrait vraiment briller par son originalité devrait plutôt porter tout autre chose, comme, disons, un kalansowa.
Voilà. Libre à vous désormais de tirer profit de ce que les trois chercheuses de Harvard dénomment "l'effet sneakers rouges". Un simple détail vestimentaire, comme des chaussures colorées, peut vous permettre de passer pour quelqu'un d'exceptionnellement intéressant aux yeux d'autrui.
En passant, l'écrivain britannique Aldous Huxley a dit dans Le Meilleur des mondes : «Si l'on est différent, il est fatal qu'on soit seul».
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