BLOGUE. Gratitude. Le mot est à la mode dans les discussions liées au management et au leadership qui se déroulent ces jours-ci dans différents médias sociaux. Gratitude par-ci, gratitude par-là, gratitude partout. Mais, peu de messages traitent du sujet en profondeur : il est juste de bon ton de prôner la gratitude, sans trop savoir pour autant ce qu'elle représente, ni même ce qu'elle peut concrètement apporter au leader qui se ferait une soudaine fierté d'en user.
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Posons donc les pieds sur terre, et demandons-nous ce qu'est, au juste, la gratitude… C'est le sentiment que l'on éprouve envers une personne qui nous a rendu service ou qui nous a fait une faveur. C'est le «merci» que l'on dit à celui qui nous a tendu la main alors qu'il n'avait pas forcément à le faire. C'est l'expression d'une grande reconnaissance. Bref, disons-le carrément, c'est le socle de la vie en société.
Et pourtant, combien de fois vous a-t-on dit «merci» au travail, aujourd'hui? Et la semaine dernière? Et les 15 derniers jours? Et le mois dernier? Allez, je suis prêt à prendre les paris : zéro, on ne vous a pas dit une seule fois «merci» pour votre collaboration à l'équipe. Pas vrai?
Pourquoi? C'est ce qu'ont voulu savoir trois professeurs de management et une consultante en management, soit respectivement : Kerrie Unsworth, de l'École de commerce UWA, à Perth (Australie) ; Nick Turner, de l'École de commerce Asper, à Winnipeg (Canada) ; Helen Williams, de l'École de commerce et d'économie de l'Université de Swansea, à Swansea (Grande-Bretagne) ; et Sarah Piccin-Houle, de Gallup, à Minneapolis (États-Unis). Le fruit de leur travail est présenté dans l'étude intitulée Giving thanks: The relational context of gratitude in postgraduate supervision, dont les résultats devraient en surprendre plus d'un…
Ainsi, les quatre chercheurs ont procédé à deux expériences menées auprès de nouveaux diplômés et de leurs anciens superviseurs d'université. La première concernait 13 personnes issues d'une université de l'Ontario, au Canada ; la seconde, 189 personnes provenant de deux universités du Queensland, en Australie. Les deux consistaient grosso modo en des questionnaires détaillés sur les relations de travail qu'ont eu chaque étudiant et son superviseur, en particulier sur l'éventuelle reconnaissance que le premier a pu éprouver envers le second : cette gratitude a-t-elle été exprimée, d'une manière ou d'une autre, et le cas échéant, cela a-t-il apporté quoi que ce soit à la relation?
C'est que cette relation est particulière. Le superviseur se doit, en général, de :
> S'assurer que l'étudiant connaît la nature du programme de recherche dans lequel il est appelé à travailler;
> Aider l’étudiant à planifier ses recherches et l’aider à établir un échéancier réaliste;
> Conseiller l’étudiant dans ses recherches;
> Maintenir un contact régulier avec l’étudiant afin de s’informer de l'avancement de ses recherches.
Quant à l'étudiant, il doit :
> Identifier un sujet de recherche et trouver un superviseur en lien avec celui-ci;
> Convenir d'un programme de recherche avec son superviseur;
> Respecter les dates limites et les exigences de ce programme;
> Communiquer régulièrement avec son superviseur, notamment à propos de l'avancement de ses recherches;
> Diffuser les résultats de sa recherche à la communauté.
On le voit bien, il suffit d'un rien pour que le programme de recherche se déroule mal : un conflit de personnalités entre l'étudiant et le superviseur, un bête malentendu dû à une mauvaise communication entre eux, etc. Les conséquences peuvent se révéler lourde, comme le ratage d'une thèse, suivi d'un mauvais démarrage dans sa carrière pour l'étudiant, voire d'un méchant contrecoup pour la réputation du superviseur.
Les quatre chercheurs ont fait de premiers constats intéressants :
> La grande majorité des nouveaux diplômés ressentaient de la gratitude pour leur superviseur, mais peu d'entre eux l'ont exprimée. Et ce, «même si chacun avait appris, durant sa tendre jeunesse, à dire "merci"», souligne l'étude.
> Les étudiants étaient avant tout reconnaissants pour : l'obtention de leur diplôme (38%); les ressources mises à leur disposition (20%); le rapport humain, qui dépassait le rapport traditionnel de professeur à étudiant (15%); et le soutien moral et émotionnel (10%).
Ils se sont dès lors penchés sur ceux qui avaient exprimé leur gratitude, et ont découvert des choses fort intéressantes, soit tout ce qu'apporte une telle attitude :
1. Un cercle vertueux. D'après les participants aux expériences, le simple fait d'exprimer sa gratitude donne du baume au cœur du superviseur, qui sent alors qu'il fait œuvre utile. En conséquence, il ressent l'envie d'en faire encore plus pour l'étudiant. Mieux, ce dernier, lui-même poussé par l'intérêt accru du superviseur pour son travail, a à cœur de briller davantage à ses yeux.
2. Une relation de travail plus intense. Une autre conséquence est que la relation entre les deux se met à évoluer, en ce sens que la dimension humaine se met à croître. Par exemple, les deux peuvent ainsi passer d'une simple relation de professeur à étudiant à une toute autre, plus égalitaire, le professeur commençant à davantage regarder l'étudiant comme un pair en devenir.
3. Une validation des rôles. De manière plus profonde, l'expression de sa gratitude permet d'asseoir la relation qui s'installe entre l'étudiant et le professeur, qui ne se connaisse pas toujours très bien. Cela donne l'occasion au superviseur de mieux comprendre ce en quoi il peut vraiment aider l'étudiant. Et inversement, l'étudiant peut mieux saisir le type de coup de main que le professeur est en mesure de lui donner.
Voilà. C'est aussi simple que ça. Un petit «merci», et le tour est joué. Mais attention, prévient l'étude : encore faut-il que le remerciement soit sincère, et surtout pas intéressé. Oui, il faut qu'il vienne du fond du cœur, qu'il soit véritablement ressenti, sans quoi il risque de vite se retourner contre soi.
Reste un problème : notre difficulté chronique à prononcer ce mot, "merci". C'est si difficile, si gênant, n'est-ce pas?
Comment surmonter cela? L'étude prodigue deux conseils, en fait à l'attention non pas de celui qui veut dire "merci", mais à celui à qui il va être adressé, si jamais il sent que cette émotion commence à étreindre son interlocuteur :
1. Offrez une occasion en or de vous dire merci. Celle-ci peut difficilement se présenter lors d'une rencontre programmée, destinée à discuter stricto sensu de l'état d'avancement du travail de l'étudiant. En revanche, cela peut se produire dans une autre occasion, plus détendue, par exemple en prenant une bière ensemble, à l'impromptu.
2. Ayez vraiment à cœur la réussite de l'étudiant. C'est au moment où l'étudiant réalise que son superviseur tient plus que tout à ce qu'il réussisse dans son travail que naît en lui le sentiment de gratitude. Il s'agit là du principal élément déclencheur. Il convient donc de lui envoyer des signes discrets à cet égard, de manière répétée.
Bien entendu, il va sans dire que ce qui est valable entre un étudiant et un professeur est, à mon avis, tout aussi valable entre un employé et son manager…
En passant, l'écrivain français Bernard Werber a dit dans L'Empire des anges : «Il suffit qu'une âme s'élève pour que s'élève l'ensemble de l'humanité».
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