BLOGUE. Il y a des questions qui dérangent. Un exemple : ressentez-vous vraiment du plaisir à travailler? Pensez-y sérieusement deux minutes. Si, si…
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Alors? Vous avez trouvé du pour et du contre, j'imagine. Et le fait qu'il y ait autant de contre vous amène à dire, je suppose, que vous ressentez du plaisir à travailler, mais que vous êtes encore loin de l'extase. Pas vrai?
Allons maintenant un peu plus loin dans la réflexion. Et demandez-vous ce qui vous devriez changer, dans votre attitude face au travail, pour que votre plaisir soit un peu plus grand. Oui, posez-vous la question suivante : «Qu'est-ce que je pourrais faire pour être plus heureux au travail?»
Vaste interrogation, me direz-vous, avec raison. C'est pourquoi j'ai une suggestion de réponse pour vous, que j'ai dénichée dans une étude intitulée Intention-based fairness preferences in two-player contests. Celle-ci est signée par Magnus Hoffmann, professeur d'économie de l'École d'économie et de management de l'Université de technologie de Berlin (Allemagne), et Martin Kolmar, professeur d'économie à l'Institut d'économie de l'Université de Saint-Gall (Suisse). Elle montre que pour ressentir davantage de plaisir dans ce que l'on fait, on peut envisager de miser sur le plaisir de gagner.
Les deux chercheurs se sont intéressés à un cas de figure très particulier de la théorie des jeux. La théorie des jeux? C'est aujourd'hui un pan majeur de l'analyse économique, qui correspond à une boîte à outils permettant de déterminer quelle est la meilleure attitude à adopter lorsqu'on se trouve dans une situation donnée. Grâce à la théorie des jeux, il est possible de modéliser la situation rencontrée, de déterminer la meilleure stratégie pour chacun des joueurs et d'indiquer la manière dont chacun doit s'y prendre pour atteindre son objectif, ou du moins pour s'en approcher au plus près.
Ici, le cas de figure est le suivant… Deux joueurs s'affrontent pour remporter la somme d'argent qui est en jeu, sachant toutefois que le vainqueur se devra partager son gain avec le perdant. Le jeu est fort simple, il s'agit d'une loterie, mais d'une loterie un peu spéciale, car le pourcentage de chances de gagner dépend de deux variables :
> Plus un joueur croit que l'autre va être généreux (égoïste) dans le partage du gain si celui-ci est le vainqueur, plus l'autre sera effectivement généreux (égoïste) avec lui.
> Plus un joueur croit que l'autre va être généreux (égoïste) dans le partage du gain si celui-ci est le vainqueur, plus il sera lui-même généreux (égoïste) avec l'autre s'il l'emporte.
Ces deux variables représentent l'apport original de MM. Hoffmann et Kolmar, en ce sens que leur approche tient compte du fait réaliste qu'un a priori peut avoir une influence sur une décision rationnelle. L'idée était de voir justement à quel point cet a priori pouvait avoir une réelle incidence sur la stratégie adoptée par les joueurs.
Les deux chercheurs ont concocté un modèle de calcul économétrique à partir de toutes ces prémisses, puis l'ont glissé dans un ordinateur pour voir ce qu'il se passait. Que faisaient les joueurs généreux? Et les égoïstes? Et les justes? Ce qu'ils ont trouvé est on ne peut plus intéressant…
> Plus la somme à gagner – et donc à se partager –, est petite, plus l'a priori a d'influence sur la stratégie.
> Quand la somme à gagner est proche de zéro, les joueurs – curieusement – continuent à s'efforcer de gagner.
D'un point de vue purement économique, il semble absurde de fournir des efforts pour gagner une somme nulle. En effet, qui va s'acharner à gagner pour, disons, 10 cents, ou même 5 cents, ou encore 1 cent? Personne. Et pourtant. Oui, et pourtant, si, nous sommes près à le faire, vous comme moi, tout comme des gamins : pour la simple raison qu'on aime bien gagner, l'emporter sur l'autre, même si cela ne nous rapporte absolument rien. Regardez l'acharnement des gars à remporter leur match "amical" de hockey ou de soccer, le vendredi soir…
Eh oui, nous sommes des êtres humains, et une force intérieure nous pousse sans cesse à chercher la victoire. Quelle force intérieure? Le plaisir de gagner. C'est aussi bête que ça. Nous mettons du cœur à l'ouvrage, nous redoublons même d'efforts, si nous savons que la victoire est à notre portée.
On voit maintenant tout l'intérêt managérial de la trouvaille de MM. Hoffmann et Kolmar : même si l'on n'en retire aucun gain financier, nous sommes disposés à fournir des efforts considérables si l'on sait que nous pouvons remporter une victoire sur autrui, c'est-à-dire si nous ressentons vibrer en nous le plaisir de gagner. Et par suite, le simple fait de vibrer du plaisir de gagner nous procure une plus grande satisfaction dans ce que nous entreprenons, et donc dans notre travail. CQFD.
Autrement dit, on peut dire que :
> Qui entend être plus heureux au travail doit s'attacher à remporter des victoires, des petites comme des grandes, sur ses concurrents comme sur soi-même.
En passant, Napoléon Bonaparte aimait à dire : «Le plus grand péril se trouve au moment de la victoire».
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