J'ai participé la semaine dernière à la construction d'un rêve. Celui de l'auteur-compositeur-interprète Arthur H, qui enregistrait son prochain album au Centre Phi de Montréal. Il s'agissait d'une expérience créative inédite : l'artiste français dévoilait au public l'envers du décor, en permettant à chacun d'assister sur place aux séances d'enregistrement, et mieux, de côtoyer les musiciens et les techniciens.
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Le principe était simple… Arthur H avait élu résidence au Centre Phi, en compagnie de musiciens québécois que son amie Lhasa lui avait présentés. À savoir : Patrick Watson (chant, piano, etc.), François Lafontaine (clavier, ex-Karkwa), Mishka Stein (basse), Robbie Kuster (batterie), Mathieu Parisien (ingénieur du son) et Jean Massicotte (mixage). Mais ce n'était pas tout. Un autre élément s'ajoutait : le public.
Chacun était ainsi convié à s'installer dans une grande salle dotée de multiples écrans géants relayant tout ce qui se passait et se disait dans le studio d'enregistrement et dans la régie. On assistait donc à l'accouchement en direct, au plus près, tant les caméras étaient nombreuses et dissimulées partout. Enfin, dès que les artistes sortaient du studio – pour se détendre un peu, pour griller une clope dehors, etc. – ils passaient par la salle du public. Libre alors à celui qui voulait de leur faire part de ses commentaires, de leur suggérer une idée, ou tout bonnement de leur adresser un clin d'œil complice.
«Dans l’art, le dernier endroit vraiment libre, c’est l’espace de la création lui-même. L’endroit chaud et protégé où l’art se reçoit et s’invente avant d’être propulsé dans le monde. Aujourd’hui, je crois qu’il faut révéler les secrets, partager la beauté de la matière avec ceux qui en ont envie, amener les gens tout près de la source, là tout le monde peut se désaltérer et se régénérer. L’enregistrement d’un disque est une aventure insaisissable, et c’est ça qui est passionnant», avait expliqué Arthur H.
On le voit bien, c'était là une occasion en or de voir comment un artiste s'y prend pour créer en groupe, et donc de tirer des leçons de la manière de s'y prendre pour innover en équipe. Vous me voyez venir : j'ai assisté à plusieurs scènes fascinantes, que je vais m'empresser de partager avec vous…
> Dans la joie et la bonne humeur
Chemise rouge et chapeau noir rivé sur le chef, Arthur H joue seul du piano dans le studio aux lourdes tentures grises et aux tapis indiens. Il est concentré, les yeux rivés sur le clavier. Il est dans son univers, se laissant gagner par l'émotion qu'il cherche transmettre par la musique.
Pendant ce temps, les autres sont en régie, en train de le regarder et de l'écouter. Mais surtout, ils rigolent! Patrick Watson fait l'idiot devant une caméra qui le fixe. François Lafontaine, le sourire jusqu'aux oreilles, ne peut se retenir de dire : «Sti, qu'il est cave!». Et Robbie Kuster devient hilare. Des gamins. Oui, mais des gamins qui demeurent concentrés sur leur travail tout en se marrant : à la seconde-même où Arthur H joue quelques notes complexes, François Lafontaine lève le bras en l'air, mime une pirouette de la main et lance : «C'est bien, ça, Arthur. C'est fantastique!»
À retenir : Rien de mieux que de travailler dans la joie et la bonne humeur. Ça empêche nullement de rester concentré sur ce qu'on fait. Bien au contraire. Ça permet d'évacuer le stress et de garder toute son énergie pour ce qui compte vraiment.
> Un feedback constant
Lorsqu'Arthur H termine d'interpréter son morceau au piano, il s'adresse aussitôt à François Lafontaine, en régie, pour savoir ce qu'il en pense. En usant de leurs petits codes :
– Ungava?
– Oui, ungava. C'est très bien, Arthur.
– OK. Euh… Alors, on se dit qu'on prend celle-là?
– C'est très cool, Arthur. Mais toi, tu veux la refaire?
– Non. Je vais me chauffer la voix et puis on va faire les paroles.
– OK. Parfait.
Ainsi, Arthur H a fait preuve d'humilité. Il pensait bien avoir joué le morceau comme jamais, mais il a tout de même tenu à avoir le point de vue des autres. En aurait-il vraiment tenu compte, si jamais l'un d'eux avait proposé de rejouer le morceau une nouvelle fois? La réponse est : oui.
En effet, quand il a enregistré la voix pour le même morceau, il a terminé avec une petite grimace d'insatisfaction.
– Je me trouve trop lent, non?
– Vraiment?
– Oui. Je voudrais la refaire.
– Attends. On pourrait juste réessayer un peu, pour voir. Parce que, tu sais, c'est pas vraiment grave si tes mots sont pas placés pile là où tu voudrais.
– Ah bon?
– Écoute, on pourrait la refaire, mais tous ensemble. Là, tu te fixes au piano et tu te trouves trop lent. Mais il faudrait vérifier en jouant tous ensemble. Tu n'aurais peut-être pas la même impression.
– Ah… OK. Très bien. Faisons ça.
À retenir : Chacun doit savoir faire preuve d'ouverture aux idées des autres. Car l'idée finale qui en naîtra sera toujours meilleure que l'idée d'une seule personne.
> En harmonie
Le micro dédié au chanteur ne fonctionne pas. Au lieu de se tourner les pouces à ne rien faire, les musiciens déboulent alors dans le studio et, chacun de son côté, se met à jouer. Qui du clavier, qui du piano, qui de la batterie et qui du xylophone. Pour se chauffer, pour s'amuser.
Résultat? L'air de rien, ils se mettent à improviser sur l'air principal du morceau joué juste auparavant au piano par Arthur H. Et ils en arrivent, tout en douceur, à lui donner une couleur et un tempo qui n'ont plus rien à voir avec le thème de départ. Jusqu'au moment magique où ils se retrouvent tous en phase, en harmonie, en train de jouer un morceau qui s'invente de lui-même. Le sourire dans les yeux de chacun.
À retenir : Si on laisse chacun exprimer librement son talent, il peut arriver un moment où tous évoluent en harmonie. C'est un instant magique, et rare parce que trop souvent bridé, faute d'accorder sa pleine confiance à autrui.
Voilà. Trois trucs pratiques issus de l'expérience créative menée par Arthur H et les siens au Centre Phi. Trois astuces qui peuvent, je l'espère, vous aider à mieux innover en équipe.
En passant, l'écrivain français François Cavanna a dit dans Le saviez-vous? : «Quand l'homme eut inventé la selle, il s'aperçut que le plus gros restait à faire : rattraper le cheval.»
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