Au travail, c'est bien connu, on ne cesse de nous prévenir qu'il faut, certes, faire confiance aux autres, mais pas trop. Et le «mais pas trop» est toujours appuyé, lourd de sous-entendus. Une assertion - soyons honnêtes - que nous ne remettons jamais vraiment en doute.
Mais pourquoi donc? Oui, pourquoi n'osons-nous pas la remettre en question? Pourquoi acceptons-nous si facilement que les autres, ou du moins une partie d'entre eux, sont là non pas pour nous donner un coup de mains, mais pour nous mettre des bâtons dans les roues?
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Eh bien, la bonne nouvelle du jour, c'est que je pense avoir trouvé une réponse fort intéressante à toutes ces interrogations existentielles. Dans une étude intitulée Is it worth trusting your manager? et signée par Elena Kulchina, professeure de stratégie à l'École de commerce Fuqua à Durham (États-Unis). Voyez un peu par vous-mêmes...
La chercheuse s'est intéressée à un point très particulier, à savoir la relation qu'il y a entre un PDG et ses lieutenants. Car son idée était que s'il n'existe pas une relation de confiance forte entre eux, rien de bien ne peut en résulter. À ceci près qu'a priori, si la relation de confiance est trop forte, le risque est qu'un ou plusieurs lieutenants en tirent un profit personnel indu, au détriment de l'entreprise et de sa performance. Par exemple, en se mettant à tirer au flanc, ou pis, en détournant de l'argent au passage.
Alors, y a-t-il un juste dosage de la confiance qu'un PDG peut avoir envers ses lieutenants? Et inversement, que des lieutenants peuvent avoir envers leur PDG? Pour s'en faire une idée, Mme Kulchina s'est plongée dans la base de données Ruslana, qui concerne toutes les entreprises implantées en Russie. Elle y a recueilli des informations sur quelque 3 844 entreprises étrangères, dont le PDG était étranger et l'un de ses lieutenants, russe. Objectif : être en mesure d'analyser le rapport de confiance entre les deux, et évaluer l'impact que cela a eu sur la performance de l'entreprise, entre 1997 et 2007.
Comment a-t-elle pu savoir si le PDG avait plus ou moins confiance envers le lieutenant considéré? D'une manière détournée, mais très subtile, je trouve : d'une part, elle a établi le niveau de confiance du PDG en fonction du niveau de confiance qu'ont en général ses compatriotes envers les autres dans la vie quotidienne (ce type de sondages existe dans nombre de pays) ; d'autre part, elle a estimé que le niveau de confiance d'un lieutenant correspondait à celui qu'ont en général ses concitoyens de la même région russe envers les autres dans la vie quotidienne ; ce qui lui a permis de déterminer l'éventuelle asymétrie de confiance entre les deux.
Résultats? Les voici :
> Méfiance. Lorsque le PDG n'a pas vraiment confiance envers l'un de ses lieutenants, la performance de l'entreprise en prend un méchant coup. Pourquoi? «Parce que le lieutenant en question se sent frustré et désappointé, et est ainsi amené à sous-performer», indique l'étude. À noter que l'impact est d'autant plus fort que l'écart des niveaux de confiance est grand et que cet écart n'est pas clairement avoué et assumé par les deux principaux intéressés.
> Confiance réciproque. Lorsque le niveau de confiance du PDG envers son lieutenant est le même que celui du lieutenant envers son PDG, c'est-à-dire lorsque la confiance est équilibrée entre les deux, alors la performance de l'entreprise n'accuse aucun impact négatif particulier dû à ce point-là.
> Überconfiance. Lorsque le niveau de confiance du PDG envers son lieutenant dépasse celui du lieutenant envers son PDG, c'est-à-dire lorsque le premier a tendance à accorder une confiance quasi-aveugle au second, alors la performance de l'entreprise n'accuse aucun impact négatif particulier dû à ce point-là.
Autrement dit, se montrer a priori méfiant amène l'autre à sous-performer ; en revanche, se montrer confiant, voire excessivement confiant, ne résulte pas par le moindre impact négatif. Contrairement à ce que nous aurions pu croire. Contrairement, en fait, à ce que nous croyons tous. En effet, il est faux de croire que si on lâche la bride aux autres, ils vont systématiquement en profiter pour nous planter un couteau dans le dos. Bien au contraire, ils vont profiter de la confiance qui leur est accordée d'emblée, et donc de la liberté qui leur est donnée, pour prendre des initiatives, dans l'idée d'apporter un plus à l'entreprise dans laquelle ils évoluent.
Oui, ils vont chercher à en faire plus. Alors, bien sûr, toutes ces initiatives ne se traduiront pas toujours par un succès. Il y aura dans le lot des échecs, forcément. Des échecs plus ou moins graves. Mais - il convient de le souligner -, tout cela n'aura globalement aucun impact négatif, comme l'a mis au jour le travail de Mme Kulchina.
Par conséquent, on a tout à gagner à faire confiance aux autres. Mieux, à se montrer überconfiant à leur égard. Et tout à perdre à se méfier d'eux. Quant à ceux qui ont en tête des exemples de managers qui ont lâchement profité de la grande confiance qui leur était accordée, j'aimerais juste leur indiquer que cela n'est certes pas agréable à vivre pour ceux qui sont directement en contact avec de tels individus, mais que les conséquences globales de leurs mauvais agissements n'ont, au fond, que peu d'impacts sur la performance de l'entreprise - et, soyons positifs, disons-nous bien que, tôt ou tard, ils finissent par se faire prendre la main dans le sac, et à en payer le prix fort.
Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :
> Qui entend voir son équipe ou son entreprise performer comme jamais se doit d'accorder la plus grande confiance qui soit envers chacun. Parce que cela évitera les frustrations et autres désappointements dus à la méfiance affichée du leader, et les sous-performances qui s'ensuivent. Et surtout parce que cela donnera du baume au coeur de chacun, avec à la clé une envie folle d'exprimer tous ses talents au travail.
En passant, le navigateur français Éric Tabarly a dit dans ses Mémoires du large : «La confiance est un élément majeur : sans elle, aucun projet n'aboutit».
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