Quand je lis quelque chose, je m'entends le lire dans ma tête. Oui, j'entends une voix qui lit à voix haute chacun des mots, chacune des phrases du texte sous mes yeux. Une voix qui est ma voix, du moins telle que je l'imagine. Comme vous, en ce moment-même, à la lecture de ce début de billet du blogue «En Tête». Pas vrai?
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Ce phénomène porte un nom : la parole intérieure. Il se produit dès que nous nous mettons à penser. Parfois de manière volontaire – lorsqu'on dénombre des objets, ou lorsqu'on entame une réflexion soutenue, par exemple –; parfois de manière involontaire – lorsque notre esprit vagabonde, entre autres.
Curieux phénomène, n'est-ce pas? Vous comme moi, nous parlons dans notre tête. Une voix entre en scène, sans prévenir, à notre insu. Et l'air de rien, elle s'impose à nous. En jaspinant en nous. En devisant en nous. En susurrant en nous.
L'interrogation existentielle saute aux yeux : pourquoi cette petite voix dans notre tête est-elle si présente? Et surtout, est-ce pour le mieux? En effet, n'arrive-t-il pas des moments où elle nous amène à prendre de mauvaises décisions? Par exemple, lorsque nous nous mettons à ruminer, sans pouvoir nous arrêter de remuer tout ce tas de d'idées boueuses en nous?
Bref, cette petite voix dans notre tête est-elle bénéfique, ou bien néfaste, à notre performance au travail? Et le cas échéant, y aurait-il moyen d'en tirer un meilleur parti?
Ces questions, je me les suis longtemps posées. Sans trop m'y attarder, c'est vrai, car elles me semblaient a priori oiseuses. Et voilà que je suis tombé sur un article d'Actualités UQÀM traitant de ce sujet! L'accent y était mis sur Lucile Rapin, chercheuse postdoctorante, linguistique, de l'Université du Québec à Montréal, car elle avait collaboré à une étude intitulée What is that little voice inside my head? Inner speech phenomenology, its role in cognitive performance, and its relation to self-monitoring.
Cette étude était également signée par trois professeures de neuroscience cognitive à l'Université Pierre-Mendès-France (France) – Marcela Perrone-Bertolotti, Monica Baciu et Hélène Loevenbruck – ainsi que par Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherches en neuroscience à l'Inserm (France). Elle consistait à faire la synthèse d'une cinquantaine d'années de recherche sur le phénomène de la parole intérieure. Et ce qu'il en est ressorti est fabuleux…
L'un des passages de l'étude – le plus passionnant à mes yeux – porte spécifiquement sur l'influence de la voix intérieure sur la performance cognitive de chacun de nous. Voici ce qu'il y est explicité :
> La parole intérieure nous aide à passer d'une tâche à l'autre. En 2003, les chercheurs Michael Emerson et Akira Miyake ont découvert que la petite voix à l'intérieur de notre tête nous permettait de bien nous représenter mentalement la tâche à venir, et donc à mieux faire la transition entre la tâche actuelle à la suivante. Car, si on l'empêche d'intervenir (cela est possible expérimentalement, en la "parasitant" comme l'on peut parasiter un son), passer d'une tâche à une autre entraîne pour nous un effort intellectuel considérable. Ce qui nuit directement à notre performance cognitive.
> La parole intérieure nous aide à résoudre des problèmes. En 2006, les chercheurs Christian Olivers et Sander Nieuwenhuis ont noté que, grâce à la petite voix à l'intérieur de notre tête, nous faisons plus attention à ce qui se passe autour de nous. Et ce, y compris lorsqu'elle intervient de manière involontaire : nous sommes plus efficaces lorsque nous rêvassons en accomplissant une tâche routinière (par exemple, quand on pense à nos vacances tout en agrafant les photocopies d'un rapport) que lorsque nous sommes juste concentrés sur cette tâche-là, sans penser à quoi que ce soit d'autre! Et en 2010, le chercheur Bernard Baars est allé un peu plus loin, en mettant au jour le fait que cette petite voix-là, même lorsqu'elle est involontaire, nous permet de mieux nous adapter au changement, aussi infime soit-il. Ce qui est primordial pour résoudre un problème, ou encore pour apprendre quelque chose.
> La parole intérieure peut nous trahir. Il peut arriver que la petite voix à l'intérieur de notre tête ne cesse de jacasser. Elle se met à bavarder, à bavarder, à bavarder sans arrêt. Elle broie du noir, et monopolise toutes nos pensées. Et c'est le cauchemar, la rumination sans fin, à l'image de l'interminable nuit d'insomnie de Jean Valjean, victime d'une tempête dans son crâne. La conséquence? Notre performance cognitive est aussitôt laminée, comme l'ont montré en 2012 les chercheurs Wilhelm Hofmann, Brandon Schmeichel et Alan Baddeley.
Voilà. C'est tout. Ça peu paraître peu, mais c'est en réalité beaucoup, tant il est difficile d'étudier ce phénomène particulier. «Il reste encore beaucoup de questions sans réponse, parce qu'il n'y a aucun corrélat externe pour analyser le phénomène dans toute sa complexité», a indiqué Mme Rapin.
Que retenir de tout cela? C'est fort simple, je pense :
> Qui entend être plus performant dans son travail se doit d'être plus attentif à la petite voix à l'intérieur de sa tête. Plus attentif lorsqu'il lui faut effectuer un changement, de manière générale, et passer d'une tâche à une autre, en particulier. Plus attentif lorsqu'il lui faut résoudre un problème, simple comme complexe. Plus attentif, enfin, lorsque des idées noires commencent à se faufiler dans les méandres de son crâne, et lorsqu'il lui faut réagir au quart de tour pour éviter qu'elles ne l'envahissent.
En passant, le poète florentin Dante Alighieri disait : «Toujours l'homme chez qui une pensée germe sur une autre pensée s'éloigne de son but, parce que l'une affaiblit l'élan de l'autre».
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