BLOGUE. Aujourd'hui, l'un des termes à la mode en matière de management est le mot «diversité». Celui-ci englobe un paquet de choses disparates : la disparité des sexes (ex.: le nombre de femmes qui occupent des postes de haute-direction), la disparité des ethnies (ex.: le nombre de personnes d'origine asiatique au sein de l'entreprise), etc. Et bien entendu, tout le monde s'entend pour dire que plus la diversité est grande, meilleur c'est, quel que soit le domaine concerné.
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Mais voilà, est-ce si vrai que cela? La diversité n'a-t-elle que du bon? Et si oui, quels bénéfices apporte-t-elle véritablement? Ces interrogations, trois professeurs de finance ont osé se les poser, à savoir : Yiwei Fang, de l'École de commerce Stuart (États-Unis) ; Bill Francis, de l'École de management et de technologie Lally (États-Unis) ; et Iftekhar Hasan, de l'Université Fordham (États-Unis). Le fruit de leur travail est présenté dans l'étude intitulée More than connectedness: Heterogeneity of CEO social network and firm value. Cette dernière y donne des réponses on ne peut plus instructives…
Ainsi, les trois chercheurs ont eu accès à la base de données dénommée BoardEx de la firme Management Diagnostics. Cette base contient une foule d'informations sur les hauts-dirigeants des grandes entreprises américaines et européennes, en particulier des données démographiques (ex.: date de naissance, sexe, nationalité, etc.), des données professionnelles (ex.: postes occupés, firmes, etc.), des données scolaires (ex.: diplômes, universités, etc.), des données géographiques (ex.: pays fréquentés pour le travail,…), et même des données sociales (ex.: clubs, associations professionnelles, etc.).
Surtout, cette base recèle une précieuse information : les liens existants entre les différentes personnes qui y sont enregistrées. Par exemple, les liens professionnels (quand elles ont travaillé dans une même équipe,…), les liens scolaires (quand elles ont usé les mêmes bancs d'université,…), ou encore les liens sociaux (quand elles ont participé à la même opération de bienfaisance,…).
Mme Fang et MM. Francis et Hasan ont ainsi choisi de scruter à la loupe les liens existants des PDG de 2 879 entreprises américaines, entre 2000 et 2010. Ils ont commencé par regarder si leurs réseaux de contacts étaient diversifiés, ou pas. Et là, ils ont fait une trouvaille intéressante : tous les PDG n'ont pas un réseau de contacts diversifié. En fait, seulement certains d'entre eux en ont un, soit :
> Les PDG œuvrant dans le secteur de la technologie;
> Les PDG travaillant pour des multinationales;
> Les PDG nommés par un conseil d'administration qui est composé lui-même de personnes aux profils diversifiés.
Maintenant que les trois chercheurs avaient une meilleure idée du profil des PDG aux réseaux diversifiés et de celui de ceux qui ne disposaient pas de réseau diversifié, ils ont concocté un modèle de calcul économétrique permettant de voir s'il existe, ou pas, une corrélation entre ces profils et les profits engrangés par l'entreprise. Plus précisément, les trois professeurs de finance ont voulu savoir s'il y avait un lien de cause à effet entre le design du réseau de contacts du PDG et les gains empochés par les actionnaires de l'entreprise qu'ils dirigent.
Résultat? Impressionnant : «La corrélation entre un réseau de contacts diversifié du PDG et les gains des actionnaires est forte et positive», indique l'étude. C'est-à-dire que plus le PDG a des contacts diversifiés, mieux se porte l'entreprise, et mieux aussi ses actionnaires.
Certains contacts diversifiés sont plus "enrichissants" que d'autres. Les trois chercheurs ont découvert que :
> Les plus payants sont les contacts professionnels hétérogènes. Ça signifie que plus un PDG a de contacts dans d'autres secteurs que celui dans lequel il évolue, plus l'entreprise engrange de profits.
> Les autres contacts sont un peu moins payants, mais intéressants tout de même : les contacts démographiques et les contacts scolaires. C'est-à-dire que les actionnaires ont tout intérêt à ce que le PDG aient beaucoup de contacts de personnes qui ne lui ressemblent pas (sexe, lieu de naissance,…) ainsi que de personnes qui n'ont pas fréquenté les mêmes écoles que lui (MBA,…).
> Les contacts les moins payants de tous sont ceux liés à la géographie.
Par conséquent, l'idéal pour une entreprise et ses actionnaires, c'est que le PDG soit ouvert d'esprit, et mieux que ça, aime passer son temps avec des personnes qui n'ont a priori rien à voir avec lui. Un PDG aime prendre une bière avec un artiste peintre, manger sur le pouce le midi en compagnie d'un garagiste, suit trois fois par semaine les cours d'un moine zen, ou encore consacre tous ses congés à des sorties avec son club d'ornithologie? Tant mieux! C'est le signe que les profits vont inévitablement suivre. Du moins, nettement plus qu'un même PDG qui, lui, passerait son temps libre à ne voir que des collègues et autres partenaires d'affaires, et à ne parler que du boulot.
Pourquoi? Oui, pourquoi la diversité est-elle si profitable à tout le monde? Mme Fang et MM. Francis et Hasan avancent trois explications dans leur étude :
1. Créativité. Multiplier les rencontres hétéroclites permet de décupler les occasions de rencontrer des idées neuves, ce qui favorise la créativité et l'innovation. Le PDG est de la sorte vite informé des dernières tendances, et donc plus à même de les transposer dans son propre secteur. Il peut innover avant ses concurrents, et ainsi être le premier à mettre la main sur des occasions d'affaires en or.
2. Ventes. Multiplier les rencontres hétéroclites peut aussi permettre d'accroître les ventes, notamment à l'étranger. Le fait de rencontrer des personnes de toutes sortes d'ethnies permet de sentir les besoins particuliers des uns et des autres, ce qui peut faciliter la percée de marchés étrangers.
3. Stratégie. Multiplier les rencontres hétéroclites peut enfin permettre d'effectuer de meilleures décisions d'investissement. Pourquoi? Tout bonnement parce que le PDG a l'occasion d'avoir plus d'informations que d'autres, des informations obtenues, comme on dit, "par la bande". Des informations qui font, parfois, toute la différence.
Bref, rien ne vaut la diversité. À vous, maintenant, d'en tirer parti…
En passant, l'écrivain français du 17e siècle Antoine Houdar de la Motte a dit dans ses Fables : «C'est un grand agrément que la diversité. Nous sommes bien comme nous sommes : donnez le même esprit aux hommes, vous ôtez tout le sel de la société».
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