BLOGUE. À votre avis, vaut-il mieux surveiller de près les membres de son équipe, ou au contraire leur lâcher la bride? Autrement dit, croyez-vous que les souris dansent dès que le chat a le dos tourné, ou qu'il ne s'agit là que d'un dicton ridicule? Certains penseront qu'il n'y a pas de réponse possible à une telle interrogation, et qu'il convient d'agir au cas par cas. Blah blah blah.
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Une étude passionnante apporte des lumières à ce sujet, intitulée Discretion, productivity, and work satisfaction. Elle est signée par trois professeurs d'économie : Björn Bartling et Ernst Fehr, tous deux de l'Université de Zurich (Suisse), ainsi que Klaus Schmidt, de l'Université Louis-et-Maximilien de Munich (Allemagne). Il en ressort essentiellement des pistes intéressantes pour qui entend booster la productivité de son équipe…
Ainsi, les trois chercheurs se sont intéressés à ce qu'on appelle les High-performance work systems (HPWS), qui correspondent grosso modo à un éventail de pratiques favorisant la productivité des employés. Un éventail qui est souvent présenté sous la forme de cinq bonnes pratiques, soit :
1. Un style de leadership qui diffuse le pouvoir au sein de l'organisation;
2. Une attention constante portée à la stratégie et aux résultats;
3. Un partage intelligent de l'information;
4. Un design organisationnel basé sur l'équipe;
5. Un juste programme de récompenses.
Bien entendu, les HPWS peuvent prendre de multiples formes, en tenant compte d'autres points que les cinq que je viens de citer, ou bien en n'accordant pas la même importance aux différents points retenus. Mais, ils présentent tous trois constantes, d'après MM. Bartling, Fehr et Schmidt :
1. Ils invitent à laisser les employés faire preuve d'initiative;
2. Ils invitent aussi à peu contrôler les employés;
3. Ils invitent enfin à bien rémunérer les employés.
Le hic? Si on lâche trop la bride des employés, tout en les payant bien, certains – si ce n'est la plupart! – vont en profiter pour tirer au flanc, voire carrément faire d'autres choses que ce pour quoi ils sont payés. Ce serait là, du moins, un réflexe rationnel.
D'où l'interrogation légitime des trois chercheurs : quelle est la situation optimale de tout HPWS? C'est-à-dire, quelles conditions doit-on fixer pour qu'un nouveau système de travail favorise la productivité des employés, et non incite ceux-ci à se tourner les pouces?
Pour en avoir une idée, MM. Bartling, Fehr et Schmidt ont mis au point un modèle de calcul économétrique visant à évaluer la réaction d'un employé fictif dans certaines conditions de travail établies en fonction des HPWS. Cet employé a à décider de l'effort qu'il va fournir pour ce qui lui est demandé d'accomplir, en tenant compte de plusieurs critères, comme sa capacité d'atteindre l'objectif fixé, sa rémunération, sa liberté de manœuvre, le poids de la hiérarchie sur ses épaules, etc.
Puis, ils ont inséré leur modèle de calcul dans un ordinateur, ce qui leur a permis d'identifier le moment où un HPWS devient optimal. Il suffit, en fait, qu'ils réunissent quatre critères :
> Il faut lâcher la bride aux employés tant que ceux-ci sont productifs.
> Il faut que le leader vérifie l'atteinte des objectifs passés des employés, pas ceux qui sont présents. Ça signifie qu'il ne doit pas faire sentir de pression sur la mission dans laquelle sont lancés les membres de son équipe, mais qu'il informe ces derniers que, prochainement, il leur demandera des comptes sur ce qu'ils ont déjà accompli.
> Il faut que les employés sachent que leurs efforts seront récompensés comme ils le méritent.
> Il faut que les employés sachent qu'ils sont bien payés.
Histoire de vérifier si leurs trouvailles avaient du sens, les trois chercheurs ont regardé quelques données clés de deux géants du commerce de détail américains, Sam's Club, une filiale de Walmart, et Costco.
«Chez Sam's Club, les rémunérations sont minimales pour les employés de magasin, aucun programme d'assurance santé ne leur est offert, la prise d'initiative est découragée et le taux de roulement du personnel est élevé», d'après l'étude. En revanche, c'est tout le contraire chez Costco : de meilleures payes, un programme d'assurance santé pour 85% du personnel, la prise d'initiative est fortement encouragée et le taux de roulement est très faible. CQFD.
Ce n'est pas tout! MM. Bartling, Fehr et Schmidt se sont servis d'un précieux outil statistique pour vérifier un autre point : le fait d'utiliser un HPWS permet-il d'accroître la rémunération et même le bien-être au travail des employés? L'outil utilisé est le Panel socio-économique allemand (GSOEP), qui regroupe tous les ans une foule d'informations détaillées sur plus de 22 000 Allemands. Des informations sur, entre autres, les revenus, la satisfaction au travail, le niveau d'éducation, etc. Et deux des questions ont notamment retenu l'attention des chercheurs : «Pouvez-vous décider vous-même de la façon d'accomplir vos tâches de travail?» et «Votre performance au travail est-elle contrôlée de près?».
Ils ont regardé quelles corrélations pouvaient exister entre les constantes des HPWS et les deux points qui les intéressent, la rémunération et le bien-être au travail. Résultats? Sans équivoque : la corrélation est positive et forte pour les deux.
Par conséquent, on peut en déduire des règles on ne peut plus intéressantes, soit :
> Si l'on veut accroître la productivité d'un employé, il faut lui lâcher la bride. Mais pas complètement, bien entendu. Juste assez pour qu'il se sente libre de ses mouvements, mais pas libre au point de gambader où bon lui semble.
> Quand on lâche la bride d'un employé, il faut lui faire miroiter une carotte. Une belle carotte, adaptée à ses besoins et à sa personnalité. Sinon, il va vite se démotiver.
> Quand on lâche la bride d'un employé, il faut aussi qu'il oublie le poids du cavalier. Le leader doit donc faire sentir sa présence le moins possible, et n'intervenir que lorsque cela est vraiment nécessaire.
Bref, quand on lâche correctement la bride d'un employé, on voit bondir non seulement la productivité de celui-ci, mais aussi son bien-être au travail. C'est aussi simple que ça.
En passant, le philosophe français Pierre Bayle a dit dans ses Pensées diverses sur la comète : «La joie est le nerf de toutes les affaires humaines».
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