BLOGUE. On dit qu'efficacité rime toujours avec rapidité. Mais est-ce si vrai que ça? Et si, à toujours vouloir aller vite, on en arrivait à prendre des décisions qui n'étaient pas toujours les meilleures? Et si, par conséquent, on n'était pas aussi efficace qu'on le croyait?
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Vous voyez sûrement où je veux en venir. Nous évoluons dans un univers où il faut toujours se décider vite et bien. Je sens que le feu va passer à l'orange, j'accélère ou je freine? Une candidate au poste qu'il faut combler me semble répondre partiellement aux attentes, je l'embauche ou je continue d'en recevoir d'autres en entretien? Un sous-traitant veut changer les conditions de notre entente à son avantage, je cède ou pas? Etc. Nous avons dès lors tous le même mot d'ordre en tête : «Pas le temps d'attendre, je dois choisir maintenant».
Mais voilà, peut-être aurions-nous intérêt, parfois, à prendre notre temps. Au moins un petit peu plus. Ne serait-ce que pour s'assurer de faire le meilleur choix possible. Pas vrai?
Comment savoir, me direz-vous, quand il convient de mûrir sa décision et quand il est impératif de se décider à la seconde même? Eh bien, c'est en fait très simple. C'est ce que j'ai appris dans une étude intitulée Willingness to wait under risk and ambiguity: Theory and experiment. Celle-ci est signée par deux professeurs d'économie, Marco Della Seta, de l'Université Radboud (Pays-Bas), et Peter Kort, de l'Université Tilburg (Pays-Bas), ainsi que par un professeur de finance, Sebastian Gryglewicz, de l'Université Erasmus de Rotterdam (Pays-Bas).
Les trois chercheurs ont cherché à répondre à deux interrogations :
> Plus une décision est risquée et irréversible, plus les gens font-ils leur choix rapidement?
> Plus une décision est hasardeuse et irréversible, plus les gens prennent-ils leur temps pour faire leur choix?
Quelle distinction font-ils entre une décision «risquée» et une autre «hasardeuse»? D'après eux, une décision est risquée quand elle s'accompagne d'une probabilité déterminée à l'avance de mener à l'échec (ex.: je sais que j'ai 30% de chances de me casser une jambe si je saute du haut de ce mur). Et une décision est hasardeuse quand la probabilité d'échouer est elle-même incertaine (ex.: j'ai entre 10 et 50% de chances de me casser une jambe si je saute du haut de ce mur).
Les trois chercheurs ont tout d'abord établi un modèle économétrique visant à prédire le comportement des gens se trouvant dans de telles situations. Celui-ci permettait de voir s'il valait mieux, en général, décider vite ou pas quand il nous fallait prendre une décision risquée ou hasardeuse. Puis, ils ont vérifié la validité de leur modèle en l'expérimentant en laboratoire.
Ils ont demandé à 37 étudiants de l'Université Tilburg de se prêter à un petit jeu leur permettant de gagner de l'argent de poche. Il s'agissait de miser par ordinateur une somme d'argent fictive de manière à la faire fructifier le plus possible, et ce, en effectuant 30 mises d'affilée.
Chaque participant disposait de 10 euros au départ. Chacun savait qu'à partir du moment où il appuyait sur la touche «Enter», il avait un maximum de 3 secondes pour effectuer sa mise, en cliquant encore une fois sur «Enter». Et chacun savait que plus il laissait filer le temps, plus la somme empochée était élevée (elle progressait sous ses yeux à un rythme régulier tous les dixièmes de secondes).
Le hic? L'ordinateur pouvait mettre brutalement fin au compteur avant l'échéance des 3 secondes. Pour la moitié des participants, leurs décisions étaient «risquées», c'est-à-dire qu'ils savaient avant chaque partie la probabilité exacte que l'ordinateur y mette fin avant l'échéance, n'importe quand. Pour l'autre moitié, leurs décisions étaient carrément «hasardeuses», ne disposant que d'une fourchette de probabilités. Bien entendu, si le délai pour miser était expiré, le joueur ne gagnait rien, et perdait donc une possibilité de faire fructifier son argent.
Qu'ont tiré les trois chercheurs de cette expérience? Plusieurs choses intéressantes :
> Les résultats des tests en laboratoire ont validé le modèle économétrique qu'ils avaient concocté. Il est donc possible d'anticiper la réaction des gens quand ils ont à prendre une décision complexe et irréversible.
> Face à une décision «risquée», les gens ont tendance à prendre leur temps pour faire un choix.
> Face à une décision «hasardeuse», les gens ont le réflexe de se décider très vite. À une exception notable près, à savoir que seuls ceux qui ont naturellement le goût du risque se sentent assez à l'aise pour prendre le temps de choisir en situation «hasardeuse».
Autrement dit, moins nous avons de contrôle sur la situation dans laquelle nous nous trouvons, plus nous y réagissons vite. Alors que nous devrions faire exactement le contraire!
La conclusion de tout cela est on ne peut plus évidente…
> Quand il nous faut prendre une décision difficile et irréversible concernant une chose que nous maîtrisons bien, il nous suffit d'écouter la petite voix dans notre tête qui nous dit «Fais ça, fais ça, fais ça…». Elle sera toujours votre meilleure conseillère. Inutile de tergiverser.
> Quand la décision est difficile et irréversible, et quand de surcroît elle touche une chose que nous ne connaissons pas vraiment, alors il nous faut combattre notre réflexe de décider illico presto. Mieux vaut s'asseoir, retrouver notre calme et se mettre à chercher davantage d'informations. Car sinon, les risques de se tromper sont beaucoup trop grands pour être courus.
En passant, l'auteur latin Publilius Syrus aimait à dire : «Rien ne peut être fait à la fois précipitamment et prudemment».
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