De nos jours, les triangles sont partout dans notre univers de travail. Sans qu'on s'en rende compte. On les trouve dans la pyramide hiérarchique. On les trouve aussi dans les réunions : le leader a tendance à se mettre en bout de table et les autres, à se ranger inconsciemment en forme de triangle par rapport à lui.
L'ennui du triangle, c'est qu'il est composé de pointes et de tensions variables entre celles-ci. Ce qui se traduit par des dysfonctionnements au sein de l'équipe (luttes de pouvoir, jalousies, etc.). Et ce qui nuit, par voie de conséquence, à l'efficacité de celle-ci.
Quelle est la forme géométrique contraire au triangle ? Tout simplement le cercle. Là, les tensions sont uniformes, et même harmonieuses. L'efficacité y est maximale.
Un cercle qui favorise l'égalité
Appliqué au concept d'équipe, le cercle favorise :
> L'égalité entre les membres de l'équipe. Imaginez-vous tous debout, en cercle. Vous voyez alors les autres autrement, comme des personnes, et non comme des individus ayant un rôle et une fonction au sein de l'entreprise. Pourquoi ? Parce que votre regard a dès lors tendance à se porter sur ceux qui vous font face et sur vos voisins immédiats, et non plus sur le boss en bout de table de réunion.
> L'esprit de communauté. En cercle, chacun a la sensation de faire partie d'un tout. Et ce, au même titre que les autres.
> Le partage. En cercle, on se sent plus proche des autres. Physiquement comme psychiquement. Ce qui amène naturellement à vouloir partager avec autrui ce que l'on a de meilleur à lui apporter.
> L'envie de s'investir. En cercle, on ressent l'envie de contribuer au succès de l'équipe. On se montre volontaire, y compris chez ceux qui préfèrent d'habitude suivre le mouvement, sans trop s'exposer personnellement.
Un concept qui intéresse des entreprises québécoises
Des entreprises pionnières fonctionnent déjà en cercle. C'est le cas de la française Favi ainsi que des américaines Gore-Tex et Whole Foods. Avec succès. Les magasins de produits naturels et biologiques de Whole Foods, qui risquaient de devoir mettre la clé sous la porte tant la concurrence était rude, ont décidé de fonctionner en cercle, dans les années 2000 ; aujourd'hui, on dénombre quelque 400 magasins employant 60 000 personnes et enregistrant des revenus annuels de 13 milliards de dollars.
Cela a inspiré des entreprises québécoises - dont je ne peux pas divulguer l'identité - qui toutes avaient un point en commun : leurs gestionnaires sentaient que les membres de leur équipe ne se donnaient pas à 100 %, et donc que l'efficacité n'était pas optimale ; et ils avaient beau faire, cela ne changeait jamais grand-chose.
Elles se sont lancées ! Oui, elles ont eu ce cran. Elles ont entamé des opérations pilotes de fonctionnement en cercle. Et d'ores et déjà, les résultats se font sentir. Des résultats franchement intéressants...
Je le vois d'ici, vous aimeriez avoir des détails sur ces opérations pilotes. Mais non, je ne peux rien dire. Néanmoins... néanmoins... néanmoins... J'ai un petit bijou à partager avec vous ! Il s'agit d'une vidéo produite par Spotify.
Spotify ? C'est une entreprise suédoise spécialisée dans la diffusion musicale en continu (streaming). Le principe est simple : les utilisateurs de son logiciel peuvent écouter les morceaux de musique de leur choix, de manière illimitée et gratuite. Seule contrainte : l'obligation d'écouter de la publicité, de temps à autre. Pour éviter cela, une astuce : devenir un abonné Premium, en payant une certaine somme d'argent tous les mois. Le succès est retentissant : Spotify compte aujourd'hui plus de 10 millions d'abonnés payants dans le monde (à noter que Spotify s'implantera bientôt au Canada).
L'intérêt de cette vidéo ? Elle décrit par le menu la façon dont les employés de Spotify oeuvrent tous les jours. Une façon particulière, comme vous l'avez deviné : en cercle !
À ses débuts en 2008, Spotify fonctionnait suivant la méthode Scrum. Une méthode réputée agile, que l'on peut résumer comme suit :
> Transparence. La communication se doit d'être transparente entre tous, en particulier entre le manager et les membres de son équipe.
> Vérification. À intervalles réguliers, on vérifie l'avancement des travaux de l'équipe. Au besoin, on corrige le tir.
> Adaptation. Le gestionnaire et son équipe recourent à différentes techniques pour s'adapter à chaque difficulté qui se présente. Comme la «réunion de planification d'avant-sprint», la «mêlée quotidienne» et la «revue de sprint».
Le hic ? Ça ne fonctionnait pas bien. La mayonnaise ne prenait pas avec les employés de Spotify. Si bien que la direction s'est dit que «les règles, ça a du bon, jusqu'au moment où il devient nécessaire de les enfreindre». Autrement dit, Spotify a pris la décision d'inventer son propre type de gestion.
Résultat ? La vidéo l'explique clairement, et je vous invite fortement à la regarder dans son intégralité (http://bit.ly/1Bgy4tn). Quant aux personnes pressées, voici de quoi les mettre en appétit...
Place à l'escouade
Fini l'équipe, place à l'escouade. Chez Spotify, on ne fonctionne plus en équipe, mais en escouade. La nuance ? Une escouade est :
> petite : elle est composée au maximum de 8 personnes ;
> responsable : elle est tenue responsable de l'atteinte de la mission qui lui est confiée ;
> libre : elle décide elle-même de la solution à apporter aux problèmes qui croisent son chemin ;
> bienveillante : elle vient en aide à toute autre escouade qui a besoin de ses lumières.
> le «leader» : Chez Spotify, le leader n'est pas à proprement parler un leader. C'est plutôt quelqu'un dont le rôle est d'expliciter aux membres de l'escouade le problème à résoudre, un problème défini et adopté par l'ensemble des membres de l'escouade. Puis, il doit se mettre au service des autres pour leur permettre d'atteindre l'objectif fixé d'un commun accord. Et c'est tout. On ne devrait donc plus l'appeler «leader», mais plutôt «catalyseur» ;
> le membre de l'escouade : le rôle de chaque membre de l'escouade est de collaborer avec les autres afin de trouver la meilleure solution au problème à résoudre.
L'autonomie avant tout
Chez Spotify, l'autonomie est ce qui fait la force de l'escouade. Car cela lui permet d'être :
> motivée : quand on est autonome, on prend soi-même les décisions qui nous concernent. Cela peut certes effrayer, au départ, mais assez vite on y prend goût. C'est qu'être maître de son destin est un moteur puissant de la motivation ;
> rapide : quand on est autonome, on n'a pas besoin de consulter une pléthore de boss pour prendre une décision. On la prend soi-même, et on fonce. C'est tout.
Une mission à remplir
Chez Spotify, chaque escouade a une mission à remplir. Pour s'assurer que les membres de l'escouade s'y attachent bien, il leur est demandé deux choses :
> stratégie : lorsqu'ils décident ensemble d'une mission, ils doivent faire en sorte qu'elle corresponde à la stratégie globale de l'entreprise ;
> tactique : ils doivent veiller à progresser de manière continue vers l'objectif fixé, si bien qu'ils doivent déterminer des micro-objectifs et s'assurer de les atteindre, tous les trimestres.
Semer la graine du changement
«On peut voir une escouade comme un musicien jouant dans un groupe de jazz. Chacun joue à merveille de son instrument, avec en tête le souci de jouer en harmonie avec les autres et l'envie d'interpréter ensemble le morceau à la perfection. Quand les musiciens sont excellents, le résultat est fabuleux, surtout lorsqu'il convient d'improviser», résume Henrik Kniberg, consultant en management et réalisateur de la vidéo.
Voilà. Peut-être ai-je réussi à instiller en vous la graine du changement. Celle qui vous amènera, un beau jour - qui sait ? -, à fonctionner en cercle.
En passant, le philosophe britannique Francis Bacon disait : «Il est plus sage de changer beaucoup de choses qu'une seule».