Autonomie. Le mot est en vogue depuis une poignée d'années, en matière de management. On l'entend souvent sous sa forme anglaise – empowerment –, l'idée étant de laisser de plus en plus les coudées franches aux employés afin de s'assurer d'un engagement optimal de leur part, et par suite, d'une productivité remarquable, pour ne pas dire exceptionnelle.
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Nombre d'entreprises pionnières s'y sont mises. À l'image du constructeur de motos Harley-Davidson, qui dès les années 1980, alors qu'il était au bord de la faillite, a transformé chaque employé en "intrapreneur", ce qui lui a permis de voler de succès en succès depuis. Ou bien, de la compagnie aérienne Southwest Airlines, devenue l'une des plus performantes aux États-Unis après que son président-fondateur Herb Kelleher a accordé dans les années 1990 une «grande indépendance opérationnelle» aux employés. Ou encore, du fabricant de pompes hydrauliques Semco, qui permet, entre autres, aux employés de fixer eux-mêmes leurs heures de travail, et ce, depuis les années 1980 : un investisseur qui aurait détenu 100 000 dollars de parts de l'entreprise se serait retrouvé avec une fortune de 5,4 millions de dollars, vingt ans plus tard, tant le succès de Semco a été prodigieux depuis l'instauration de sa politique managériale détonante.
C'est clair, accorder plus d'autonomie aux employés, ça peut se révéler payant, très payant même. Mais voilà, on peut légitimement se demander si les principaux intéressés – les employés – en sont pour autant plus heureux. Car leur permettre d'assumer davantage de responsabilités, ça peut être pesant, usant et déstabilisant. Ce n'est pas tout le monde qui apprécierait que son patron lui dise : «Bon. Maintenant, il va falloir que tu arrêtes de me demander sans cesse quoi faire. Prends-toi en main, trouve-toi un projet et lance-toi. Bref, débrouille-toi, tu es ton propre boss, désormais». Pas vrai?
La réponse à cette interrogation existentielle, je l'ai. Oui, je l'ai trouvée dans une étude intitulée Total participation management: Toward psychological determinants of subjective well-being at work. Celle-ci est signée par : Ryszard Stocki, professeur de psychologie organisationnelle à l'Université des sciences sociales et des lettres à Katowice (Pologne); Katarzyna Mika, étudiante en psychologie à l'Université médicale de Varsovie (Pologne); et Agnieszka Bozek, chercheuse en psychologie à l'Institut Wojtyla à Cracovie (Pologne).
Les trois chercheurs polonais ont demandé à un total de 71 employés de bien vouloir répondre à une foule de questions ayant trait, d'une part, au degré d'autonomie dont ils bénéficient dans leur quotidien au bureau, d'autre part, au sentiment de bien-être qu'ils éprouvent au travail. Ces employés œuvraient dans trois entreprises distinctes – dont les identités n'ont pas été divulguées –, mais qui toutes évoluaient dans le même secteur d'activité, celui des cosmétiques. Ce qui les distinguait vraiment, c'était leur niveau de Management participatif total (MPT).
Le MPT? C'est un concept élaboré depuis quelques années par des chercheurs en management polonais, et en particulier par le coauteur de l'étude dont il est ici question, Ryszard Stocki. De quoi s'agit-il? C'est assez simple…
M. Stocki s'est longtemps demandé pourquoi certaines entreprises connaissaient des succès foudroyants et durables à la fois, alors que toutes les autres en rêvaient et n'y arrivaient jamais. Le déclic lui est venu à la lecture de la théorie de la participation élaborée par Karol Wojtyla, plus connu sous le nom de Jean-Paul II.
Cette théorie, présentée dans son livre The acting person (1969), considère grosso modo que l'être humain ne se développe au mieux de ses capacités qu'au voisinage d'autrui, si bien que pour être vraiment heureux, il nous faut participer à un projet commun porteur d'espoir. Et le professeur de psychologie organisationnelle de cocréer le MPT, soit «l'art d'organiser et d'harmoniser les processus de management afin que chacun puisse pleinement participer à la mission commune».
Concrètement, le MPT estime que les conditions propices au plein épanouissement des employés peuvent prendre différentes formes. En voici quelques-unes :
> Les employés participent aux prises de décision;
> Les employés fixent ensemble les salaires des uns et des autres;
> Les employés fixent leurs propres horaires de travail;
> Les employés passent eux-mêmes commande du matériel dont ils ont besoin;
> Les employés sont des "intrapreneurs";
> Les employés ont librement accès aux bilans comptables de l'entreprise, et sont formés pour bien les comprendre;
> Etc.
Maintenant, revenons à l'étude. Les trois entreprises concernées avaient des niveaux de MPT différents, c'est-à-dire que l'une accordait une autonomie modérée à ses employés, une autre une autonomie élevée, et la dernière une autonomie plus élevée encore. Et il s'agissait de regarder si cela avait une incidence, ou pas, sur le sentiment de bien-être de chacun.
Résultats? On ne peut plus simples :
> Que du bonheur. Plus une entreprise à un niveau bas de MPT, moins ses employés se disent heureux au travail. C'est-à-dire que plus on laisse les employés œuvrer à leur guise, plus ils en ressentent de la satisfaction.
Bien entendu, les trois chercheurs polonais ont voulu en savoir un peu plus sur le mécanisme qui procurait un tel plaisir. Ils ont donc creusé dans leurs données et ont fini par trouver quelque chose de fort intéressant :
> Heureux parce qu'ensemble. Plus les employés sont amenés à participer à une mission commune, plus leurs besoins psychologiques fondamentaux sont rassasiés. Ces besoins psychologiques-là sont : le besoin d'indépendance; le besoin d'exprimer ses compétences; et le besoin de nouer des liens avec autrui. Autrement dit, plus on évolue parmi les autres, plus on est soi.
Voilà. Si, un jour, vous souhaitez voir vos employés plus heureux à la tâche et même plus productifs, vous savez ce qu'il vous reste à faire…
En passant, l'écrivain mexicain Carlos Fuentes a dit dans La chasseresse solitaire : «Il n'est pire servitude que l'espoir d'être heureux».
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