BLOGUE. De vous à moi, puis-je vous poser une question dérangeante? OK, je me lance : «Trouvez-vous franchement qu'il ressort grand-chose de vos réunions de brainstorming?» Ne vous inquiétez pas, je connais déjà la réponse…
Découvrez mes précédents billets
Rejoignez-moi sur Facebook et sur Twitter
Mon tout nouveau livre : Le Cheval et l'Âne au bureau
Maintenant, pourquoi ces réunions-là ne débouchent-elles quasiment jamais sur rien de trippant? Peut-être est-ce surtout une question de méthode. Oui, de la méthode que nous utilisons en général pour dénicher et débattre d'idées neuves. Cette réflexion m'est venue en découvrant une étude intitulée Innovation in multi-stakeholder engagement, signée par : Sami Mahroum, directeur, innovation et initiatives politiques, à l'Insead d'Abou Dabi (Émirats arabes unis); Simon Bell, professeur, innovation et méthodologie, à l'Université Ouverte de Milton Keynes (Grande-Bretagne); et Nasser Yassin, professeur, gestion et politique de la santé, à l'Université américaine de Beyrouth (Liban). Une étude fascinante…
Les trois chercheurs ont tenté d'affiner une nouvelle méthode de brainstorming, concoctée en 2009 par le même Simon Bell, en collaboration avec Stephen Morse, lequel est connu pour être l'inventeur de la puce électronique Intel 8086, sans laquelle l'informatique telle qu'on la connaît aujourd'hui n'aurait jamais vu le jour. Cette méthode porte le nom de "Triple tâches" (Triple Task, en anglais).
De quoi s'agit-il? D'une façon originale d'innover en groupe. Une façon – je pense – vraiment intéressante. En trois temps.
> Tâche 1
On forme un groupe de personnes ayant la mission de trouver une solution à un problème spécifique. Ce groupe ne devrait pas avoir plus d'une dizaine de personnes (s'il y a beaucoup de participants, on peut former deux ou trois groupes).
De ce groupe, on extrait une personne. Celle-ci jouera le rôle du facilitateur. Lors de la tâche 1, le facilitateur doit se contenter d'observer le groupe, sans intervenir, ni dire quoi que ce soit.
Le groupe doit dès lors, dans une période de temps donnée, effectuer trois travaux successifs :
- Dessin collaboratif. Les participants doivent, tous ensemble, dessiner sur une grande feuille de papier l'histoire du problème rencontré. C'est-à-dire qu'ils doivent indiquer, exclusivement sous forme de dessins, les traductions concrètes du problème dans leur quotidien au travail. Puis, ils doivent donner un sens à tous ces dessins, en les liant les uns aux autres pour raconter une histoire qui a du sens (par exemple, partir du moment précis où apparaît le problème pour finir par les conséquences de celui-ci).
- Visions du changement. Toujours sous forme de dessins, les participants doivent répondre à l'interrogation suivante : «Qu'est-ce qui pourrait être fait pour atténuer, voire résoudre, le problème?». L'idée n'est pas de trouver LA solution, mais plutôt d'en suggérer plusieurs, peu importe si elles sont réalistes ou pas. Il ne faut surtout pas freiner la créativité des uns et des autres à ce moment-là.
- Approche raisonnée du changement. Enfin, les participants doivent décrire, sous forme de dessins, les étapes concrètes et successives selon lesquelles il faudrait procéder pour mener à bien le ou les changements suggérés.
> Tâche 2
Le facilitateur entre ici en action. Il fait part de ses commentaires aux participants, en fonction d'une grille d'analyse dénommée CECM :
- C pour Comportement. Il s'agit d'indiquer comment s'est globalement comporté le groupe durant la tâche 1. La grille permet d'indiquer si, entre autres : chacun a vraiment participé dans un esprit positif, ou pas; les participants ont eu plus tendance à dire "Je" ou "Nous"; etc.
- E pour Engagement. Il s'agit d'indiquer la réaction du groupe face à la complexité du problème rencontré. Par exemple, les uns et les autres se sont-ils montrés résolus à le résoudre, ou plutôt découragés?
- C pour Contextualisation. Il s'agit d'indiquer comment le groupe s'est adapté à la situation. Par exemple, les uns et les autres ont-ils fait preuve d'ouverture d'esprit par rapport aux suggestions émises, ou ont-ils eu plutôt tendance à tuer dans l'œuf les idées naissantes?
- M pour Management. Il s'agit d'indiquer comment s'est autogéré le groupe. Par exemple, un leader naturel est-il apparu, et cela a-t-il été bénéfique, ou pas, à la réflexion commune?
> Tâche 3
Chaque participant, hormis le facilitateur, doit remplir un questionnaire d'une vingtaine de questions. La première série de questions porte sur ce que le participant a pensé du travail effectué par le groupe, et la seconde, sur ce qu'il a pensé de sa contribution personnelle.
L'intérêt des tâches 2 et 3? C'est simple : aider à faire mieux la prochaine fois. Car les commentaires du facilitateur et l'analyse des données recueillies grâce aux questionnaires individuels – effectuée par le facilitateur ou par le groupe lui-même, s'il en a le temps – peuvent permettre d'identifier les points faibles, ce qui a fait, si l'on veut, que le groupe n'avait pas réussi à identifier la meilleure solution au problème rencontré.
Ce n'est pas tout. L'étude de MM. Mahroum, Bell et Yassin permet en effet d'apporter une amélioration au processus du Triple tâches. Je m'explique…
Les trois chercheurs ont invité 30 personnes à recourir au Triple tâches pour résoudre leur problème. Il y avait 10 membres du personnel d'une école d'Abou Dabi, 10 dirigeants de celle-ci et 10 parents d'élève. La mission : établir une nouvelle grille d'évaluation de la performance scolaire.
La réflexion s'est faite sur deux journées. Le premier jour, les trois groupes formés comportaient tous des membres des différentes catégories de participants (personnel, dirigeants et parents). Le second, les groupes ont été reconfigurés pour être homogènes (le groupe du personnel, celui des dirigeants et celui des parents).
Résultats? Le second jour, les groupes ont été nettement plus efficaces parce que :
> les enseignements tirés des tâches 1 et 2 de la veille ont porté fruits;
> l'homogénéité des groupes a rendu les échanges plus fluides et plus clairs, et donc facilité la réflexion commune.
«Quand cela est possible, il est par conséquent bénéfique de débroussailler le terrain avec des groupes hétérogènes, puis de finaliser le travail avec des groupes homogènes», indiquent les trois chercheurs dans leur étude.
Autrement dit :
> Qui entend innover autrement doit recourir au Triple tâches, en procédant en deux temps. D'abord, en formant un groupe hétérogène qui remplira les tâches 1, 2 et 3. Puis, en formant un groupe homogène doté d'une partie des membres du groupe hétérogène, qui remplira à son tour la tâche 1. De là devrait sortir LA bonne solution au problème rencontré.
En passant, l'écrivain français Henry de Montherlant aimait à dire : «L'hésitation est le propre de l'intelligence».
Découvrez mes précédents billets
Rejoignez-moi sur Facebook et sur Twitter
Mon tout nouveau livre : Le Cheval et l'Âne au bureau