Vous le savez bien, nous sommes en pleine période d'évaluations de fin d'année. Une période où l'on revient sur le passé pour se projeter dans le futur. Une période que certains voudraient voir comme motivante, mais qui la plupart du temps est vécue comme stressante. Bref, disons-le carrément, une période pénible à vivre, tant pour le manager que pour les membres de son équipe.
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D'où ma joie lorsque je suis tombé sur une étude intitulée The empirical analysis of target ratcheting under self-evaluation, signée par Caroline Lee, professeure d'économie à l'École de commerce de l'Université Yonsei à Séoul (Corée du Sud). Pourquoi? Parce que celle-ci traite d'un sujet trop rare à mon goût : l'autoévaluation des employés. Un sujet qui peut changer bien des choses au sein d'une équipe…
La chercheuse a réussi à mettre la main sur une base de données fort intéressante, soit l'ensemble des autoévaluations des programmes de R&D soutenus par le gouvernement sud-coréen, lesquels sont supervisés par le ministère de la Stratégie et de la Finance. Le système est le suivant : les responsables de ces programmes de recherche scientifique sont chargés de s'autoévaluer tous les ans, en indiquant les résultats obtenus durant l'année écoulée et les résultats visés pour l'année à venir. Le ministère, de son côté, étudie – et questionne, au besoin – chaque année un tiers des autoévaluations, sachant que l'année suivante, ce sera un autre tiers, et l'année d'après, le dernier tiers.
Cliquez ici pour consulter l'étude
Mme Lee s'est penchée sur trois années, à savoir 2009, 2010 et 2011. Elle a analysé chacune de la centaine d'autoévaluations effectuées par an, tant quantitativement que qualitativement, ainsi que la réaction que cela a suscité du côté du ministère. Puis, elle a regardé si ces autoévaluations tombaient, ou pas, dans les travers connus depuis belle lurette des évaluations habituelles.
Les travers? Nombre d'études montrent en effet que les évaluations habituelles – le boss évalue son employé en fonction de sa performance passée et fixe en conséquence ses nouveaux objectifs – tombent dans le piège de l'effet de cliquet.
L'effet de cliquet correspond à un mécanisme qui empêche tout retour en arrière, qui force implicitement à aller de l'avant. Une image vaut mille mots… Prenons un consommateur qui se procure un iPad, ou tout autre gadget électronique dernier cri. Il a logiquement du mal par la suite à s'en passer, et encore plus à revenir à l'appareil qu'il utilisait auparavant.
Appliqué à l'évaluation professionnelle habituelle, l'effet de cliquet se traduit surtout par le fait que le boss a tendance, la plupart du temps, à surélever les objectifs de l'employé, et ce, même si ce dernier n'a pas tout à fait atteint ceux qu'il lui fallait atteindre auparavant. Oui, les bosses ont en général beaucoup de mal à revoir à la baisse des objectifs.
D'ailleurs, pour la petite histoire, le terme d'effet de cliquet est né du défunt système économique soviétique. En URSS, les responsables d'entreprise savaient que, quelle que soit leur performance, les prochains objectifs trimestriels seraient toujours démesurément élevés par rapport aux précédents. Du coup, ils agissaient tous, ou à peu près, de la même manière : ils ne faisaient aucun effort pour améliorer la productivité de leur entreprise, ni même pour réduire les coûts, parce qu'ils étaient totalement démotivés ; leur seul réflexe était de presser l'humain comme l'on presse un citron pour en tirer tout le jus qu'il contient, ce qui, on l'a bien vu, ne menait nulle part à long terme.
Bien. Revenons maintenant à l'étude. Qu'a découvert Mme Lee? Trois choses cruciales :
> Un effet persistant. L'effet de cliquet se produit également pour l'autoévaluation. Car celui qui s'autoévalue a en tête le fait que, tôt ou tard, un boss va en prendre connaissance et poser des questions à ce sujet. À noter un détail remarquable : dans le cas où celui qui s'autoévalue est hyper motivé par son travail, il se fixera de lui-même des objectifs toujours plus ambitieux, même s'il a eu du mal à atteindre, voire raté de peu, les plus récents.
> Priorité au qualitatif. Quand celui qui s'autoévalue a dépassé les attentes, il a le réflexe de se fixer de nouveaux objectifs globalement plus ambitieux. Cela étant, il ne dose pas de la même manière les objectifs qualitatifs et les objectifs quantitatifs. Il a tendance à mettre alors davantage l'accent sur le qualitatif que sur le quantitatif.
> Une prudence excessive. Quand celui qui s'autoévalue se fixe de nouveaux objectifs, ceux-ci sont globalement un peu moins élevés que ce qu'ils auraient dû être. Qu'est-ce à dire? Tout bonnement que celui qui s'autoévalue a le réflexe de se donner des objectifs qu'il est quasiment sûr d'atteindre plutôt que de se donner des objectifs qui seraient un peu plus ambitieux tout en restant réalistes. Il vise une coche en-dessous, histoire de s'éviter un échec. Bref, il fait preuve d'un peu trop de prudence.
Intéressant, n'est-ce pas? Quand un employé s'autoévalue, cela présente deux avantages notables pour l'entreprise, d'après moi :
> Responsabilisation. De lui-même, il va se fixer des objectifs de plus en plus élevés. Quand il est déjà hyper motivé par son travail, il fera preuve d'ambition. Et quand il l'est moins, il se montrera prudent, dans l'espoir de ne pas décevoir. Dans tous les cas de figure, le fait de se fixer soi-même des objectifs permet de se responsabiliser.
> Motivation. De lui-même, il va se soucier de la qualité de ses résultats à venir. Car il sait que cela lui permettra de donner un sens à son travail, et que cela aura de nombreuses répercussions positives pour l'entreprise (satisfaction accrue des clients, etc.). Ce qui aura pour conséquence d'accroître sa motivation.
Cela étant, il ne faut pas écarter le bémol que représente le fait que celui qui s'autoévalue fait montre, en général, d'un peu trop de prudence lors de l'élaboration de ses prochains objectifs. D'où mon conseil :
> Tentez une petite expérience. Profitez de la période d'évaluation actuelle pour inciter vos employés à se fixer eux-mêmes certains de leurs objectifs pour l'année à venir. Des objectifs qui, par exemple, concernent des points secondaires : les nouveaux objectifs, plus modestes que si vous vous en étiez vous-même occupé, ne pourront pas ainsi nuire à la performance globale de l'employé en question. Et dans un an, regardez si l'attitude générale de votre employé n'a pas changé, du genre «moins de stress ressenti», «visiblement plus heureux au travail» et autres «prend davantage d'initiatives».
En passant, l'écrivain français Henry de Montherlant a dit dans Service inutile : «La confiance est une des possibilités divines de l'Homme.»
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