BLOGUE. Imaginons que vous ayez une mauvaise nouvelle à annoncer à votre équipe. Ou plutôt, que vous deviez adopter une mesure que vous savez d'avance impopulaire. La question est : comment s'y prendre au mieux?
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Une réponse intéressante peut être : en dorant la pilule, c'est-à-dire en faisant accepter une chose désagréable au moyen d'aimables paroles. C'est du moins ce que tend à montrer une étude intitulée Attractive names sustain increased vegetable intake in schools et signée par Brian Wansink, professeur de marketing à l'École d'économie appliquée et de management Charles-Dyson (États-Unis), David Just, professeur de management à la même École, et Collin Payne, professeur de marketing à l'Université d'État du Nouveau-Mexique.
Ainsi, les trois chercheurs ont voulu répondre à trois interrogations :
> Des noms attrayants donnés à des légumes peuvent-ils inciter des enfants à en prendre à l'école?
> Si effet il y a, celui-ci est-il durable?
> Enfin, peut-on généraliser les résultats de cette étude?
Ils ont alors procédé à deux expériences amusantes. Dans la première, 147 enfants âgés de 8 à 11 ans issus de différents milieux socio-économiques new-yorkais se sont vus proposer, le midi, à la cafétéria de leur école, d'avoir en plus et gratuitement des carottes dans leur assiette. Et ce, à trois reprises durant une même semaine. Cela étant, tous les enfants n'étaient pas logés à la même enseigne. Certains se sont vus offrir «des carottes qui donnent la vision aux rayons-X» ; d'autres, des carottes présentées sobrement comme «le spécial du jour» ; d'autres encore, de bêtes carottes, sans aucun qualificatif particulier.
Résultat? Un vif succès pour les carottes magiques : 66% des carottes qui permettaient soi-disant de voir comme avec des rayons-X ont été mangées ; 32% de celles qui étaient le «spécial du jour» ; et 35% des autres. Autrement dit, rien que le fait d'affubler les carottes d'un nom attrayant a permis d'en doubler la consommation.
Dans la seconde, l'expérience a été menée à une échelle plus large. Elle a duré deux mois. Elle concernait trois légumes : le brocoli qui donne un punch d'enfer, les haricots verts totalement flyés et les fameuses carottes qui donnent la vision aux rayons-X. Et elle portait sur 1 552 écoliers établis à New York.
Les trois chercheurs ont vu les résultats de la première expérience confirmés à plus large échelle. Et ils ont constaté que l'effet était durable, vu qu'à chacun des 40 repas servis les écoliers étaient en moyenne 16% plus prompts à prendre des légumes quand ceux-ci portaient des noms rigolos.
Une interrogation vient immédiatement à l'esprit : ce qui est valable pour des enfants peut-il aussi l'être pour des adultes? De fait, on peut raisonnablement estimer que l'esprit critique d'un adulte est bien plus aiguisé que celui d'un enfant qui croit peut-être encore au Père Noël. D'ailleurs, aucun d'entre nous ne se laisserait prendre au truc des carottes qui donnent la vision aux rayons-X. La réponse semble donc être négative : non, les résultats de cette étude ne sont pas applicables aux adultes. Et pourtant…
Oui, et pourtant nous sommes plus crédules qu'on le pense. Dans une étude intitulée How descriptive food names bias sensory perceptions in restaurants et menée en 2005 par Wansink, Van Ittersum et Painter, il a été montré que le simple fait de donner, à une cafétéria d'entreprise, le descriptif des aliments composant les plats santé offerts permettait de faire progresser le nombre de fois où ceux-ci étaient choisis de 28%. Bref, enfants comme adultes sont sensibles, et même très sensibles, aux mots dès lors qu'on leur propose quelque chose qu'ils ne choisiraient jamais de gaieté de cœur.
En conclusion, dorer la pilule est efficace. Vraiment efficace. Beaucoup plus efficace que ce qu'on imagine a priori. Il suffit de trouver le mot juste, et l'idée passe toute seule. Mieux, elle a un impact durable sur les personnes concernées.
Bien entendu, pas question ici de dire n'importe quoi et d'essayer de faire gober à des employés, par exemple, qu'une carotte peut réellement donner un pouvoir de super-héros. Vous iriez droit à la catastrophe. Non, il faut user de mots «aimables» pour susciter l'adhésion. Et à force de répéter le message, vous arriverez sûrement à le faire passer définitivement.
En passant, le philosophe allemand Walter Benjamin a dit dans Sens unique : «Convaincre est infécond».
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