BLOGUE. C'est parfois plus fort que nous. Nous racontons à un collègue que nous avons accepté de relever un défi professionnel périlleux, en ce sens que le risque d'échec est plus élevé qu'à l'habitude, et nous concluons notre histoire par un «Je touche du bois». Paroles que, de surcroît, nous accompagnons du geste : nous tendons vraiment la main vers le morceau de bois le plus proche pour le toucher de nos doigts.
Découvrez mes précédents billets
Rejoignez-moi sur Facebook et sur Twitter
Mon tout nouveau livre : Le Cheval et l'Âne au bureau
Pourquoi agissons-nous de la sorte? A priori pour écarter de notre chemin les mauvais augures, soit tout ce qui pourrait nous mettre des bâtons dans les roues et nous empêcher d'atteindre l'objectif visé. Mais voilà, nous ne pouvons pas nous empêcher, en même temps, de sourire de notre naïveté : est-ce que – vraiment – le fait de poser nos doigts sur du bois va changer quoi que ce soit? Non, bien sûr que non, nous disons-nous intérieurement. Et pourtant, nous continuons de le faire. Encore et toujours.
D'où mon interrogation existentielle du jour : mais pourquoi donc ne pouvons-nous pas nous empêcher de toucher du bois? Ou de cracher par terre? Ou de jeter du sel par-dessus notre épaule?
La réponse se trouve dans une étude intitulée Reversing one's fortune by pushing away bad luck. Celle-ci est signée par : Yan Zhang, professeure de marketing à l'École de commerce de l'Université nationale de Singapour (République de Singapour); et Jane Risen, professeure de science du comportement à l'École de commerce Booth à Chicago (États-Unis), assistée de son étudiante Christine Hosey. Une réponse lumineuse d'intelligence.
Ainsi, les trois chercheuses ont procédé à cinq expériences visant à déterminer l'impact de ces petits rituels superstitieux non pas sur notre sort, mais sur nous-mêmes. La première expérience va vous permettre de comprendre…
Il a été demandé à 190 étudiants de l'Université de Chicago de répondre à toute une batterie de questions personnelles, sans qu'il soit vraiment possible de savoir où l'expérimentateur voulait en venir, tant cela abordait plein de sujets différents. En fait, les seules questions pertinentes pour l'expérience étaient celles qui avaient un lien avec un sujet précis : «Craignez-vous d'avoir un accident de voiture grave d'ici les trois prochains mois?».
En effet, le but était de faire prendre conscience à chacun que, l'hiver, à Chicago, les routes sont glissantes, et donc dangereuses. Et surtout, de faire parler les participants sur ce sujet, histoire de faire naître en eux une réelle inquiétude. Chacun devait alors indiquer la probabilité qu'il croyait avoir de vivre un accident de voiture à court terme.
Puis, il a été demandé à la moitié d'entre eux de toucher le bois de la table, à cinq reprises, et à l'autre, de simplement regarder l'examinateur compter à voix haute jusqu'à 5.
Résultat? Spectaculaire :
> Moins inquiets. Ceux qui avaient touché du bois étaient nettement moins inquiets d'avoir un accident que les autres.
Les quatre autres expériences étaient du même gabarit. Elles ont permis aux trois chercheuses de découvrir que :
> Un geste bénéfique. Ceux qui repoussent la table à laquelle ils sont assis ou bien qui jettent une balle au loin craignent moins un coup du sort que ceux qui tirent la table à eux ou réceptionnent une balle qui leur est envoyée.
> La parole aussi efficace que le geste. Nul besoin de jeter réellement une balle au loin pour se sentir moins inquiet face au mauvais sort. Il est tout aussi efficace de dire qu'on jette une balle. En revanche, se contenter de ramasser la balle et de la porter au loin pour la reposer ailleurs ne diminue en rien l'inquiétude.
Qu'est-ce que signifie tout cela? Une chose fort simple, en fait :
> Les petits rituels superstitieux ont une réelle incidence sur notre niveau de stress. Il nous suffit de mimer un geste de rejet – incruster nos inquiétudes dans du bois du bout de nos doigts, cracher par terre, jeter du sel derrière nos épaules, etc. – pour véritablement nous décharger de nos peurs. Mieux, il suffit de visualiser dans notre tête ce geste de rejet pour que le même effet se produise.
«Bref, les petits rituels superstitieux sont efficaces – ce n'est pas de la magie, mais de la psychologie», dit Jane Risen, l'une des trois chercheuses.
En passant, le philosophe britannique Francis Bacon a dit dans ses Essais : «Il y a de la superstition à éviter la superstition».
Découvrez mes précédents billets
Rejoignez-moi sur Facebook et sur Twitter
Mon tout nouveau livre : Le Cheval et l'Âne au bureau