Ça nous arrive tous. C’est même normal. Survient toujours un moment où nous tombons en panne d’idées neuves. On a beau se creuser les méninges, rien à faire, aucune étincelle d’intelligence ne jaillit en nous. Aucune. Absolument aucune. Et nous nous désolons, tout seuls dans notre coin…
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Que faire pour s’extraire d’une telle impasse ? J’ai une suggestion pour vous, qui me paraît on ne peut plus simple à appliquer dans votre quotidien au travail. Une suggestion tirée d’une étude qui s’appelle Individualism-collectivism and the quantity versus quality dimensions of individual and group creative performance, laquelle est le fruit du travail de : Gad Saad, professeur de marketing à l’École de gestion John-Molson à Montréal (Canada), assisté de son étudiant Louis Ho; et Mark Cleveland, professeur de marketing à l’Université de Western Ontario à London (Canada). Voici de quoi il s’agit…
Les trois chercheurs ont demandé à 128 volontaires vivant à Montréal (Canada) et à 128 autres vivant à Taipei (Taïwan) de bien vouloir se prêter à une petite expérience. Il leur fallait faire preuve de créativité pour relever deux défis:
➢ Défi numéro 1 : le sixième doigt. Imaginons que nos mains soient dotées d’un sixième doigt. Quels avantages pratiques cela représenterait-il pour nous ? Et quel serait le plus grande de ces avantages pratiques, s’il fallait n’en retenir qu’un ?
➢ Défi numéro 2 : la ville sous-marine. Imaginons qu’une ville sous-marine soit bâtie. Quels arguments touristiques pourraient convaincre les vacanciers d’y séjourner ? Et quel serait l’argument le plus convaincant, s’il fallait n’en retenir qu’un ?
Amusants, comme défis, n’est-ce pas ? À Montréal comme à Taipei, les participants ont dû s’y prendre de deux manières différentes pour les relever : certains ont dû plancher sur le premier défi tout seuls dans leur coin, et sur le second, en groupe de quatre personnes ; et inversement, les autres ont réfléchi en groupe sur le premier défi, puis de manière isolée sur le second. L’idée des trois chercheurs était de récolter des données sur cinq points particuliers liés à la créativité :
➢ Quantité. Le nombre d’idées émises.
➢ Qualité. La qualité des idées émises (évaluée par des experts indépendants).
➢ Négativité. Le nombre de commentaires négatifs prononcés durant la réflexion en groupe (ex. : «Quelle idée stupide ! Elle ne fonctionnerait sûrement pas.»).
➢ Valence de la négativité. La force des commentaires négatifs prononcés en groupe (ex. : «C’est l’idée la plus saugrenue que j’ai jamais entendue!» est nettement plus fort que «Mouais, cette idée est pas mal banale.»).
➢ Überconfiance. L’excès de confiance affiché par les membres d’un groupe lorsqu’il s’agit de comparer leur performance à celle d’autres groupes.
Avant de vous présenter les résultats de cette étude, un dernier mot. Ou plutôt, une question : à votre avis, pourquoi l’expérience a-t-elle été menée en deux lieux différents ? Voici la réponse de M. Saad : «Nous avions l’intuition que l’inventivité était liée à la culture. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés à une société collectiviste (Taïwan) et à une société individualiste (Canada), l’idée étant que la position où se situe un pays dans le continuum individualisme-collectivisme a une incidence sur la créativité dont sont capables ses citoyens».
Alors ? Les résultats ? Attendez-vous à quelques surprises de taille :
➢ Avantage aux individualistes. Lorsqu’il s’agit de réfléchir en solo pour trouver des idées neuves, les plus performants sont ceux qui vivent dans une société individualiste. C’est bien simple, les Montréalais ont ainsi trouvé 40% plus d’idées que les Taipéiens.
➢ Avantage encore aux individualistes. Lorsqu’il s’agit de réfléchir en groupe pour trouver des idées neuves, les plus performants sont ceux qui vivent dans une société individualiste. C’est bien simple, les Montréalais ont ainsi trouvé 47% plus d’idées que les Taipéiens.
➢ Avantage aux collectivistes. En ce qui a trait à la qualité des idées émises, ceux qui s’en sortent le mieux, en solo comme en groupe, sont ceux qui vivent dans une société collectiviste. C’est-à-dire que les idées des Taipéiens ont été un poil plus originales que celles des Montréalais.
➢ Moins de négativité chez les collectivistes. Chez les Montréalais, les commentaires négatifs ont fusé en groupe, et même avec virulence. Et ce, nettement plus que chez les Taipéiens.
➢ Moins d’überconfiance chez les collectivistes. Les Taipéiens n’ont guère affiché d’excès de confiance relativement à leurs idées, alors que cela a été nettement plus le cas du côté des Montréalais. Que ce soit en solo ou en groupe.
Que retenir de tout cela ? Ceci, à mon avis :
➢ Avantage final aux collectivistes. Les personnes issues d’une culture individualiste excellent lorsqu’il s’agit d’émettre un grand nombre d’idées neuves. Le hic ? La qualité des idées ainsi émises n’est pas toujours au rendez-vous. Mieux vaut, par conséquent, recourir à des personnes issues d’une société collectiviste, dont les idées neuves sont en général plus novatrices. D’autant plus que le processus d’idéation se fait alors dans un meilleur état d’esprit : moins de commentaires négatifs, voire blessants, entre autres. Sans parler du fait que les individualistes affichent une confiance en eux-mêmes qui est déplacée, puisqu’au final leurs idées sont moins bonnes que celles des autres !
Comment expliquer cet avantage des collectivistes ? «Vraisemblablement par une caractéristique culturelle propre aux sociétés collectivistes : la propension à être axé sur la réflexion plutôt que sur l’action, à avoir le réflexe de réfléchir sérieusement avant d’opter pour une ligne de conduite», explique M. Saad.
Le professeur de John-Molson a mis là le doigt sur un point primordial, je pense : l’important, c’est de mettre l’accent non pas sur l’action, mais sur la réflexion. C’est-à-dire de ne pas briser l’élan créatif d’un groupe par des considérations oiseuses liées à la pertinence ou la faisabilité de telle ou telle idée, de ne surtout pas juger chaque idée émise, mais bel et bien de laisser chaque participant libre de rebondir sur les idées des autres pour aller encore plus haut et plus loin.
Ainsi, ce qui permet aux collectivistes de briller davantage que les individualistes en matière de créativité, ce sont les facteurs suivants :
➢ Une approche respectueuse des idées neuves. Lorsque quelqu’un émet une idée, peu importe qu’elle soit bonne ou nulle. Ce qui compte, c’est ce que les autres vont en faire. Car c’est toujours du choc de deux idées – plus ou moins originales – que peut naître une idée véritablement neuve.
➢ Une approche respectueuse des autres. S’empêcher de juger les idées émises, c’est également s’empêcher de juger leurs auteurs. Et donc, de lancer des commentaires superflus, pour ne pas dire déplorables. Car il suffit souvent d’un mot de travers pour tétaniser une personne, et donc pour lui faire perdre l’envie de contribuer au succès de la tâche entreprise en commun. À noter, à ce sujet, un autre point crucial : s’empêcher de juger les idées émises, c’est également s’empêcher d’autojuger les siennes, et donc de s’autocensurer ; un réflexe dévastateur que nous avons – malheureusement – tous, ou à peu près.
➢ Une approche respectueuse de l’œuvre commune. Pour avoir des idées vraiment originales, il convient enfin de ne pas faire preuve d’überconfiance, de ne pas s’autoféliciter, de ne pas s’autocongratuler. On a le droit, bien entendu, d’être satisfaits de nous-mêmes lorsqu’on pense avoir eu une séance de brainstorming efficace, mais il faut toujours avoir en tête qu’on aurait pu mieux faire, et donc qu’il faudrait peut-être songer à se revoir tous ensemble dans les prochains jours, histoire de tenter d’aller encore plus haut et plus loin. Oui, on peut être fiers, mais à condition de toujours se montrer humbles.
Voilà. Si vous souhaitez voir votre équipe briller plus que jamais par sa créativité, il vous suffit de modifier votre mentalité au moment de vous réunir. Prenons un exemple concret… Il arrive souvent que l’un des participants à une séance de brainstorming réfléchisse à l’avance au défi créatif à relever, et trouve une idée qui lui paraît géniale. Et il va se donner un objectif secret : faire passer son idée lors de la réunion, au détriment de celles des autres, en se disant que cela sera, de surcroît, bon pour son image puisque tout le monde dira par la suite qu’il a de «super bonnes idées». Or, on vient de voir que ce n’est jamais en réfléchissant tout seul dans son coin qu’on peut dénicher une idée vraiment géniale. Jamais. Par conséquent, cette personne-là – on ne peut plus individualiste – se doit de changer d’attitude, pour s’ouvrir davantage aux idées des autres au moment de la réunion. C’est aussi simple que ça.
En passant, l’écrivain hongrois Jozsef Eötvös a dit dans Le Chartreux : «Seul l’égoïste n’a pas de consolation sur Terre».
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