BLOGUE. Vous êtes jeune, vous avez un beau diplôme en poche, vous fourmillez de projets, vous avez envie d’exprimer tout votre potentiel dans un emploi qui vous plait, vous avez même un peu d’ambition (même si vous avez la décence de ne pas trop le montrer). Bref, vous avez la vie devant vous. Mais voilà, nous sommes englués dans une crise économique planétaire, une énième récession est à nos portes, et vous vous dites que rien de bon ne pourra vous arriver sur le plan professionnel. Pas vrai?
Découvrez mes précédents posts
Plus : suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
La question est dès lors la suivante : «Avez-vous raison d’être pessimiste pour votre carrière?». Oui, faut-il en venir à l’idée qu’il vaut mieux être «réaliste», et tout voir en noir? Eh bien, accrochez-vous bien, j’ai la réponse à ces interrogations existentielles! Vraiment. Je l’ai dénichée dans une étude intitulée Shaped by booms and busts : How the economy impacts CEO careers and management style et signée par deux professeurs de la MIT Sloan School of Management, Antoinette Schoar et Luo Zuo. Celle-ci met au jour le fait que l’évolution de notre carrière dépend en grande partie de la situation économique que l’on a connu quand on a commencé à travailler. Et par suite, qu’il est parfaitement possible de prédire – oui, je dis bien de «prédire» – ce que sera votre progression professionnelle…
Les deux chercheurs ont eu la curiosité de se demander si, en général, les PDG qui avaient débuté leur carrière en période de récession avaient un profil professionnel différent de celui de ceux qui ont commencé à travailler dans une période d’accalmie, pour ne pas dire de croissance économique. Pour cela, ils ont effectué un gros travail de recherche. Ils ont fouillé dans différentes banques de données, comme l’Executive Compensation (Execucomp), qui regorge d’informations sur les PDG des firmes du S&P 1500, et comme le Biography in Context, et ce, pour les années allant de 1992 à 2010. Ils ont aussi eu accès à nombre d’informations provenant de Bloomberg et de Forbes. Et ils se sont ainsi retrouvés avec des dossiers extrêmement complets sur un échantillon de 2 058 PDG, dont 21% avaient eu leur premier job en période de récession.
De manière général, les PDG en question avaient mis en moyenne 22 années pour devenir PDG, poste qu’ils avaient occupé pour la première fois à l’âge de 47 ans. Avant d’atteindre ce poste, ils avaient travaillé dans deux industries différentes et avaient occupé six postes différents. Mais le plus intéressant n’était pas là : ces moyennes statistiques dissimulaient de grandes disparités…
De fait, Mme Schoar et M. Zuo ont vite noté d’importantes différences entre ceux qui avaient connu la récession en partant et les autres. Par exemple, les «PDG de la récession» ont pris moins de temps pour atteindre le poste ultime (1,5 année de moins) et ils avaient alors 1 an de moins que les autres. Idem, ils ont aussi occupé moins de postes avant de devenir PDG. Et ils ont été moins «mobiles», en ce sens qu’ils ont souvent progressé au sein de la même industrie, voire de la même entreprise.
En creusant davantage, les deux chercheurs ont découvert que les débuts professionnels des PDG de la récession étaient particuliers. Ceux-ci ont généralement démarré dans de petites firmes, alors que les autres ont eu tendance à faire leurs débuts dans de grandes sociétés cotées en Bourse, et parfois même celles-ci du «Top 10» (IBM, GE, P&G, Ford, GM, AT&T, etc.). Quand ils ont fini par intégrer une société cotée en Bourse, les PDG de la récession en ont rejoint une qui affichait des revenus nettement inférieurs, à savoir 25% moindres.
Le même phénomène s’est reproduit quand ces personnes ont fini par devenir PDG. Par exemple, les PDG de la récession se sont retrouvés à la tête d’une entreprise dont la taille était 20% plus petite que celle des autres. Quant à leur rémunération, elle était, elle aussi, plus modeste, d’environ 17%. À noter que leur rémunération n’était pas plus faible parce qu’il dirigeait une firme plus petite, car l’écart s’est maintenu tout au long de la progression professionnelle des uns et des autres!
«Autrement dit, nos résultats indiquent que les managers qui commencent leur carrière en période de récession économique ont tendance à évoluer au sein de la même entreprise, et non en sautant d’un poste à l’autre et d’une boîte à l’autre. Cela leur permet de devenir PDG plus tôt. Le hic, si l’on veut, c’est qu’ils atteignent ce poste dans des sociétés qui ne sont pas toujours «prestigieuses» et qu’ils n’ont pas alors des salaires «mirobolants»», indiquent les deux chercheurs dans leur étude.
Ce n’est pas tout! Mme Schoar et M. Zuo ont fait d’autres trouvailles, on ne peut plus intéressantes, à mon goût. Ils ont, en effet, trouvé que les PDG de la récession avaient un style de management qui leur était propre, une fois les leviers du pouvoir en mains :
> Ils sont en général plus prudents, et donc moins audacieux, que les autres;
> Ils sont très respectueux des directives données par le conseil d’administration;
> Ils dépensent moins dans la R&D et font moins de placements de capitaux, en général;
> Ils ont plus le souci d’avoir une saine gestion financière;
> Ils ont moins besoin de capitaux pour mener à bien leurs projets.
Le mot clé, ici, est «prudence», à mon avis. Oui, ces PDG-là font preuve d’une grande prudence dans tout ce qu’ils entreprennent. Ils regardent d’un œil suspicieux tout ce qui entend innover, bousculer les habitudes, aller vite, ou encore frapper fort.
Pourquoi? Difficile à dire… Néanmoins, les deux chercheurs avancent l’idée qu’ils ont été marqué à vie par la récession de leurs débuts professionnels : quand l’économie va mal, ils savent combien les temps sont durs, combien la prise d’initiative peut aisément échouer, combien le moindre ratage peut avoir de lourdes conséquences. Ils ont connu, et même bravé, la tempête, et ils vont tout faire, leur vie durant, pour ne plus avoir à connaître cela une nouvelle fois.
Maintenant, ramenons tout cela à notre échelle. Ou plutôt, faisons-le pour vous-même, oui, pour votre propre cas. En 2008-2009, nous avons été en récession, presuqe toute la planète l’a d’ailleurs été. Depuis, la crise perdure, sans donner le moindre signe de vouloir prochainement finir. Les temps sont donc particulièrement durs pour ceux qui débutent leur carrière. Que va-t-il leur arriver dans les 20 prochaines années? Ce qui suit, si l’on en croit les résultats de cette étude :
> Ils vont finir par trouver un emploi dans une petite boîte;
> Ils vont longtemps rester dans celle-ci, ne voyant pas vraiment de possibilité d’en sortir pour briller ailleurs;
> Le fait de rester longtemps dans la même boîte va les empêcher de se faire remarquer par d’autres boites, qui auraient pu dynamiser leur carrière;
> Ils vont peu à peu progresser dans la hiérarchie de leur entreprise, en guise de récompense pour leur fidélité;
> Ils vont se faire débaucher une fois, grâce à leurs réseaux de contacts (LinkedIn, etc.);
> Ils vont continuer d’assumer de plus en plus de responsabilités et se faire remarquer pour leurs décisions prudentes, souvent couronnées d’un succès certain, mais modeste;
> Ils vont finir par devenir un haut-dirigeant de la boîte, voire le PDG, et continuer d’agir «avec sagesse».
Qu’en pensez-vous? Croyez-vous réellement que votre vie professionnelle va se dérouler de cette façon? J’imagine que la plupart d’entre vous êtes en train de bondir, prêts à envoyer des courriels indignés. Et je les comprends. Mais bon, c’est ce qui s’est déjà produit pour nombre de PDG actuels, et cela risque bel et bien de se reproduire avec la nouvelle génération qui entre sur le marché du travail. Que cela les enchante ou pas…
Bien entendu, il va sans dire qu’il ne s’agit ici que de statistiques, c’est-à-dire d’une tendance significative pour un grand groupe de personnes, laquelle ne peut être appliquée stricto sensu à un individu en particulier. Vous êtes une personne à nulle autre pareille. Par conséquent, libre à vous de vous distinguer de la masse des autres et de faire mentir, dans votre cas, les statistiques : oui, faites preuve d’audace en une période où les timorés sont à l’honneur, vous n’en brillerez que davantage. Pensez d’ailleurs à des exemples comme Larry Page et Sergey Brin, pourtant des PDG de la récession…
L’écrivain français Henry Beyle, dit Stendhal, a d’ailleurs dit : «Nous naissons tous originaux : nous plairions tous par cette originalité, si nous ne nous donnions des peines infinies pour devenir copies et fades copies»…
Découvrez mes précédents posts