BLOGUE. Si vous le rencontriez en personne, tomberiez-vous sous le charme de Silvio Berlusconi? Vous savez, cet ex-premier ministre italien qui a fini par quitter son poste en novembre 2011, poursuivi par les scandales, notamment de mœurs.
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Les Italiens, eux, semblaient séduits, puisque Berlusconi détient à ce jour le record de longévité à la présidence du Conseil des ministres (plus de neuf années). Et ce, en dépit de ses barzellette, ses "gaffes" multiples et répétées au sujet, entre autres, des femmes, des homosexuels et des étrangers, du genre «Il vaut mieux avoir la passion des belles femmes qu'être gay», ou le lapsus «Elle est une belle chatte», à propos de Margaret Thatcher.
Pour beaucoup, le succès politique de Berlusconi demeure un mystère insondable. Pierre Musso, qui a longtemps travaillé sur la popularité du Cavaliere, a estimé dans un article du Monde que celle-ci découlait de trois facteurs :
> Politique. Berlusconi a su personnifier l'union des partis de droite.
> Symbolique. Il a instauré un "État entreprise" qui prônait la culture du travail et de la famille.
> Technique. Il a adapté les techniques du marketing à la politique, et ainsi abordé les Italiens non comme des citoyens, mais comme des consommateurs.
Tout cela est sûrement exact, mais peut-être pas suffisant. S'y ajoute, à mon avis, un autre facteur, le fait qu'il a une personnalité à nulle autre pareil, celle – quoi qu'on en dise – d'un grand leader. Une étude en rend compte, intitulée Follow my eyes: The gaze of politicians reflexively captures the gaze of ingroup voters. Celle-ci est le fruit du travail de six chercheurs du département de psychologie de l'Université La Sapienza de Rome (Italie) : Marco Tullio Liuzza, Valentina Cazzato, Michele Vecchione, Filippo Crostella, Gian Vittorio Caprara et Salvatore Maria Aglioti. Elle montre que le leadership est en grande partie une question de regard…
Une trentaine d'Italiens se sont prêtés à une expérience très simple. Ils ont tout d'abord répondu à un questionnaire visant à déterminer s'ils étaient politiquement de gauche ou de droite, puis ont été répartis en deux groupes égaux en fonction de ce critère.
Puis, chacun a dû s'installer dans un cubicule, à 57 cm d'un écran de télévision. Leur mission : fixer du regard un point noir jusqu'au moment où celui-ci change de couleur ; s'il devenait rouge, il fallait faire dévier son regard vers la gauche ; s'il devenait bleu, vers la droite.
L'astuce, c'était que le point noir était placé pile entre les deux yeux d'un portrait de politicien qui regardait droit devant lui. En tout, quatre portraits ont été utilisés :
> Silvio Berlusconi (droite), qui à l'époque de l'expérience (2009) était premier ministre.
> Bruno Vespa (droite), chroniqueur politique.
> Antonio di Pietro (gauche), politicien, à l'époque chef de l'opposition.
> Romano Prodi (gauche), politicien, à l'époque ex-premier ministre.
Du coup, lorsque le point noir changeait de couleur, cela était inconsciemment considéré comme un "ordre" donné par le leader, un "ordre" auquel il est difficile de résister, tant nos yeux sont prompts à réagir au moindre changement.
Enfin, les participants ont répondu à une batterie d'autres questions liées à leurs habitudes en matière de politique (intérêt pour celle-ci, influence réelle de celle-ci, émotions par rapport à celle-ci, etc.). Toutes ces questions permettaient, en particulier, d'identifier ce que les chercheurs ont appelé les "affinités" entre les participants et les figures politiques retenues pour l'étude. Autrement dit, l'aura des quatre leaders choisis.
Résultats? Forts intéressants, comme vous allez vous en rendre compte…
> Les participants de droite ont nettement sur-réagi quand il s'agissait de Berlusconi (droite) et de Vespa (droite), et ont clairement sous-réagi face à Prodi (gauche).
> Les participants de gauche ont franchement sous-réagi lorsqu'ils étaient face à Berlusconi (droite), et un peu moins face à Vespa (droite). Et ils n'ont pas particulièrement réagi devant les leaders de gauche, Prodi et Di Pietro.
On peut présenter ces mêmes résultats d'une autre manière :
> Berlusconi ne laisse personne indifférent : il fascine les électeurs de droite, tout en étant détesté par ceux de gauche. Les mots "fascine" et "détesté" ne sont pas trop forts, car l'amplitude des émotions déclenchées est beaucoup plus grande que chez les trois autres leaders retenus pour l'étude.
> Autre point notable : ceux de droite sont fascinés par leurs leaders, ce qui n'est pas le cas de ceux de gauche. Les six chercheurs attribuent ce phénomène au fait que plus on a le sentiment de faire partie intégrante d'un groupe (ici, politique), plus on est amené à le supporter : à l'époque, la droite italienne était soudée derrière Berlusconi, alors que la gauche était éclatée en une myriade de partis et mouvances.
On le voit bien, le sentiment d'appartenance au même groupe que le leader considéré joue un rôle prépondérant dans l'admiration que l'on peut avoir pour celui-ci. Du moins, pourvu que le leader soit à la tête d'un groupe perçu comme fort et uni.
Ce sentiment d'appartenance est même la clé du succès pour tout leader qui se respecte. Car il correspond à une émotion liée à de nombreuses autres, comme la fidélité, l'obéissance, la confiance, etc. Et parce qu'il permet de passer outre certains "menus" défauts, comme cette fâcheuse manie des barzellette.
On peut résumer le tout d'une seule phrase :
> Si vous voulez voir votre aura de leader grandir, ralliez les autres non pas à votre personne, mais à votre groupe.
En passant, une dernière boutade du Cavaliere, racontée par lui-même à un moment où la gauche lui faisait des misères : «Il y a un embouteillage sur l'autoroute. Un automobiliste baisse la vitre et demande à un type qui passe à pied entre les bagnoles : "Qu'est-ce qu'il se passe?". Le type répond : "Un groupe de terroristes a pris en otage Berlusconi et réclame une rançon de 10 millions; sinon, ils vont l'asperger d'essence et le cramer vivant. Nous sommes en train de faire une collecte". L'automobiliste demande : "Combien vous avez récolté?". Réponse : "50 litres de super et 10 briquets".»
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