BLOGUE. Nous avons tous entendu parler d’énormes succès qui ne tenaient qu’à un gros coup de chance. Un exemple : l’invention du Post-it de 3M. Spencer Silver, un chercheur de 3M, met au point au début des années 1970 un bout de papier doté d’un adhésif qui se colle et se décolle sans laisser de trace, et range son invention dans un tiroir, n’y voyant aucune utilité. Quatre années plus tard, un collègue membre d’une chorale d’église, Arthur Fry, la retrouve et a l’idée de s’en servir comme de marque-pages pour ses partitions de musique. Le Post-it ne sera commercialisé qu’en 1980, le temps de convaincre la haute direction de 3M de l’utilité réelle de ce nouveau produit.
Découvrez mes précédents posts
Plus : suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Idem, nous ne cessons d’entendre parler d’entrepreneurs qui doivent leur succès à une vision hors du commun et à des efforts surhumains. Et nullement à la chance. Se pose dès lors une question fondamentale : à quoi tient réellement le succès? À un peu de chance? À beaucoup de chance? À aucune chance du tout – mis à part quelques exceptions –, et donc au talent prodigieux de ceux qui voient leur travail porter fruits?
Question à laquelle il est impossible de répondre, croyez-vous peut-être. Eh bien, détrompez-vous, car la réponse existe. Et elle est même surprenante. Elle figure en toutes lettres dans une étude passionnante, intitulée Luck and entrepreneurial success et signée par trois professeurs de finance, à savoir Diego Liechti et Claudio Loderer, tous deux de l’Institut für Finanzmanagement de l’Université de Berne (Suisse), et Urs Peyer, de l’Insead (France). Une étude qui permet de découvrir que la chance joue un rôle crucial dans tout ce que nous entreprenons…
Les trois chercheurs ont procédé en plusieurs étapes, chacune visant à affiner les découvertes faites. Ils sont ainsi partis d’un sondage qu’ils ont mené en 2007 auprès de 63 202 personnes établies en Suisse. Un questionnaire a été adressé à 40 000 entrepreneurs choisis au hasard dans le registre commercial helvète, à cette condition près qu’ils répondaient tous à un critère : ils avaient fondé leur entreprise entre 2002 et 2006. Un même questionnaire a aussi été envoyé au hasard à 23 202 personnes qui étaient soit manager, soit employé. En tout 8 245 personnes y ont répondu, dont plus du tiers étaient des entrepreneurs.
Le questionnaire visait à évaluer la perception que ces personnes avaient de leur succès professionnel et du rôle éventuel que la chance y avait joué. Il était tourné de telle sorte qu’il était possible de déceler des facteurs qui ont pu jouer dans le succès rencontré, à l’insu de la personne elle-même : son expérience professionnelle, ses goûts, sa personnalité, sa passion pour le travail, etc.
Résultat? À tomber à la renverse! Les personnes interrogées ont considéré que ce qui expliquait leur succès – ou leur infortune – professionnelle… demeurait un mystère! Ils ne s’expliquaient pas, pour quelque 90% d’entre eux, pourquoi parfois les événements tournaient en leur faveur, et parfois, en leur défaveur. Et ils attribuaient donc tout cela à la chance…
Ce résultat, on s’en doute bien, a laissé perplexes nos trois chercheurs. La méthodologie adoptée était-elle mauvaise? Ou était-ce bel et bien les bons résultats? Ils se sont creusé les méninges, et ont fini par se dire qu’il y avait là probablement un fond de vrai, mais que la notion de succès était trop floue. De fait, c’est quoi, au juste, le succès? Obtenir un bon résultat? Faire mieux que les autres? Sur-performer? Bref, chacun a sa propre définition du succès, surtout le concernant…
Que faire pour surmonter cette difficulté? Les trois chercheurs ont alors eu l’idée de procéder autrement, en se basant plutôt sur des données chiffrées. Ils ont directement demandé aux entrepreneurs qui avaient participé au sondage de 2007 de leur fournir des chiffres clés de leurs activités, comme les ventes, les revenus, leur salaire, etc. Et avec celles-ci, ils ont concocté trois instruments de mesure de la performance, à partir de différents logarithmes. L’intérêt de cette démarche, c’est qu’elle réduit considérablement l’importance de la «perception» de la performance, et donc le flou entourant la notion de succès.
Résultat, cette fois-ci? Je vous le donne en mille : les entrepreneurs considèrent que leur succès tient pour un tiers à la chance! Les deux autres tiers concernent, par ordre d’importance, le fait de travailler dur, l’expérience, le talent, le niveau d’éducation et le réseau de contacts professionnels. MM. Liechti, Loderer et Peyer en déduisent que le succès d’une personne repose surtout sur :
– ses compétences;
– ses contacts;
– la chance.
Encore plus intéressant, les trois chercheurs sont allés plus loin dans leur recherche, en s’interrogeant sur l’impact que peut avoir notre vision du rôle de la chance sur notre performance. Dit autrement, le fait de croire en la chance nous aide-t-il, ou nous nuit-il, dans ce que nous entreprenons?
Palpitant, non? Pour ma part, je trouve fascinant que ces chercheurs aient eu la curiosité d’inverser leur interrogation de départ. D’autant plus que cet exercice intellectuel est riche d’enseignements, comme vous allez le voir…
Ils ont scruté à la loupe toutes les données qu’ils avaient en mains et ont constaté – grâce surtout aux éléments fournis par ceux qui étaient manager ou employé, lors du sondage de 2007 – que plus une personne croit que la chance joue un rôle déterminant dans le chemin vers le succès, moins elle est portée à se lancer dans une carrière d’entrepreneur. Et inversement.
Pourquoi cela? Parce que ça les décourage d’entreprendre quoi que ce soit de «risqué», si c’est la chance qui doit déterminer si cela se révèlera être un succès ou un lamentable échec. Tout simplement. Trop croire en la chance les décourage totalement.
Par conséquent, on peut retirer de cette étude que, dans la vie quotidienne comme au travail, mieux vaut ne pas croire en la chance, même si l’on sait au fond de nous-même qu’elle joue un rôle considérable. Car sinon, on n’osera pas, on n’innovera pas, on ne fera rien qui nous fera vibrer. Mieux vaut croire en soi, et miser sur son réseau de contacts pour se donner toutes les chances de réussite.
Le compositeur français Hector Berlioz aimait à dire, non sans humour : «La chance d’avoir du talent ne suffit pas; il faut encore le talent d’avoir de la chance»…
Découvrez mes précédents posts