BLOGUE DEPUIS C2-MTL. J'ai eu la chance de rencontrer Blake Mycoskie, hier, à l'occasion de l'événement C2-MTL. Qui se cache derrière ce nom bizarroïde? Nul autre que le fondateur de TOMS, vous savez, cette marque d'espadrilles colorées que les personnes branchées s'arrachent sur la planète entière depuis maintenant une demi-douzaine d'années. Oui, ce type dont Bill Clinton dit qu'il est «l'un des entrepreneurs les plus passionnants qu'il ait rencontrés», dont le magazine Forbes a fait figurer le nom parmi la liste des «40 Under 40» de 2011. Rien de moins.
Découvrez mes précédents billets
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Blake Mycoskie, donc, est un homme remarquable par la passion qui vibre en lui, une passion communicative, une passion qui réussit à faire des miracles. Et je pèse mes mots. Son histoire est somme toute très simple...
En 2006, il a travaillé comme un fou pour lancer à Los Angeles une firme de cours en ligne, il a travaillé si fort qu'il a dû prendre congé au bout de neuf mois d'efforts démesurés. Claqué, épuisé. Il a eu l'idée d'aller se ressourcer un mois en Argentine, l'occasion pour lui d'apprendre notamment le tango et le polo.
Un beau jour, il rencontre deux Américaines bénévoles, qui distribuaient des chaussures usagées aux enfants les plus démunis d'Argentine : le port de chaussures est obligatoire à l'école, si bien que les plus pauvres n'ont finalement pas accès à l'éducation. Touché par cette histoire, il s'est proposé de les accompagner, et a été littéralement bouleversé par la joie de ces gamins qui comprenaient que, grâce à ce don, ils pourraient enfin aller à l'école.
Le soir-même, il a parlé de sa vive émotion à son professeur argentin de polo, qui lui a fait remarquer que le problème avec ce don, c'est qu'il ne durait pas : les chaussures, ça s'use vite, si bien que les enfants vont vite se voir refermer les portes de l'école, et ainsi être plus tristes que jamais. «Ces dons ne font-ils finalement pas plus de mal que de bien?», a-t-il questionné.
Lourde interrogation. M. Mycoskie en a perdu le sommeil. Il voulait maintenant venir en aide à ces enfants, mais ne voyaient pas comment s'y prendre. Lui, il était un entrepreneur dans l'âme, pas un bienfaiteur de l'humanité. Il ne voyait vraiment pas comment faire, quand le lendemain matin, en prenant son café, il a trouvée une idée géniale, qui réussissait à combiner tous les éléments de l'équation : "Un pour un".
"Un pour un"? Pour chaque paire de chaussures achetée, une paire de chaussures était donnée à un enfant argentin qui en avait besoin pour aller à l'école. «Comme ça, le problème des chaussures foutues était réglé, car il était possible d'aussitôt en redonner une neuve à l'enfant, qui du coup pouvait continuer d'aller à l'école», explique-t-il.
C'est ainsi qu'a démarré l'histoire sensationnelle de TOMS : aujourd'hui, ses espadrilles se vendent chaque année par millions d'exemplaires à l'échelle du globe. Un succès qui repose sur sept principes fondamentaux :
1. Trouver son histoire
L'histoire de TOMS tient en un slogan, "Un pour un – Pour chaque paire de chaussures achetée, une paire est donnée à un enfant dans le besoin". Pour trouver la vôtre, M. Mycoskie, dans le manuel pratique inspiré de son livre "Start something that matters", suggère de procéder en quatre temps pour y parvenir :
> Lier la marque aux besoins. «Déambulez une après-midi dans votre communauté, et regardez tout autour de vous les besoins des gens, en particulier ceux des personnes défavorisées. Répertoriez-en cinq. Puis, inventez une marque pour chacun de ces besoins.»
> Quelle est votre "espadrille"? «Regardez dans vos effets personnels s'il n'y a pas un objet qui aurait a priori un potentiel commercial dans votre communauté. Moi, c'était une paire d'espadrilles. Et réfléchissez à ce qu'il suffirait de faire pour le rendre commercialisable.»
> Quelle est votre histoire? «Pendant toute une journée, soyez vigilants à tous les messages d'entreprises qui vous ont touché. Identifiez la marque, et son message propre. Analysez la manière dont elles s'y sont prises pour communiquer avec vous. Et demandez-vous ce qu'il leur manque pour vous inciter vraiment à acheter leur produit ou service. Vous pourrez dès lors saisir l'importance d'avoir une histoire, et en imaginer une vous-mêmes pour votre propre produit, vos propres "espadrilles"»
> Quel est l'esprit de votre marque? «TOMS vient de "tomorrow", qui évoque l'optimisme et l'espoir, des clés fondamentales de l'histoire de la marque. À vous de trouver ce qui résumera le mieux l'esprit de votre marque.»
2. Surmonter ses peurs
Vous voilà riches d'une idée géniale. Il ne vous reste plus qu'à passer à l'action, et ce, en commençant par surmonter la peur qui vous gagne inévitablement. La peur de l'échec. La peur du ridicule. La peur de tout et de n'importe quoi.
> Continuer d'éviter les balles. «Un truc simple pour se convaincre que l'on est capable de relever l'immense défi qui nous attend, c'est de se souvenir d'une belle réalisation de notre part, à l'école ou encore au travail, puis de dresser la liste de tout ce qui aurait pu se produire de néfaste pour nous à cette occasion-là. On réalise alors qu'on a une capacité phénoménale d'éviter les balles qui pleuvent pourtant de partout, et qu'il n'y a pas de raison que cela soit différent dans le cas présent.»
> Devenir rationnel. «Parfois, la peur vient de notre expérience : on a l'impression de se retrouver dans une situation que l'on a déjà connue, une situation où l'on avait foiré. Parfois, la peur vient d'ailleurs. En fait, ce qu'il faut savoir de la peur, c'est qu'elle est toujours irrationnelle. Pour la combattre, il faut donc rationnaliser à mort, et chercher, par exemple, d'où elle provient. Elle s'évaporera dès lors aisément.»
> Trouver une nouvelle force. «Un autre truc, c'est de penser à d'autres marques, connues et moins connues, qui ont réussi à entrer récemment en contact avec vous. Et de réaliser, de vraiment réaliser, qu'elles ont eu, elles aussi, à surmonter leurs propres peurs.»
3. Tirer avantage de son peu de ressources
Quand on démarre en affaires, on ne bénéficie pas de grandes ressources. Il faut improviser avec ce dont on dispose. Ce qu'a justement fait TOMS à ses débuts : «J'ai mis les premières espadrilles en vente sur un site Web fait maison, en me disant qu'il y en aurait une paire vendue par-ci, une paire par-là. Je n'avais pas prévu qu'un article dans Vogue changerait tout, du jour au lendemain : le lendemain de la parution de l'article, j'ai eu une commande de 22 000 paires, comme ça, sans prévenir, alors que je n'en avais en stock qu'une centaine! Il a fallu se retourner vite fait», raconte M. Mycoskie.
> Chercher l'inutilisé. «Il y a tout autour de nous des ressources que l'on n'imagine même pas. Des ressources disponibles, souvent même gratuites. Cela peut notamment provenir de ce que rejettent les grandes entreprises, qui ne voient pas, avec leur mode de fonctionnement, comment rendre cela profitable.»
> Plus d'argent, plus d'ennuis? «Pensez-y bien, vaudrait-il mieux pour vous qu'un investisseur vous avance un million de dollars pour lancer votre marque, ou seulement 100 000 dollars issus de vos fonds propres?»
> Couper dans le gras. «Antoine de Saint-Exupéry aimait à dire que la perfection était atteinte non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à enlever.»
4. Rester simple
Les espadrilles existent depuis des centaines d'années. TOMS, en fabriquant de telles chaussures, aurait pu s'échiner à faire du neuf à partir de ce modèle ancestral, mais la marque a eu l'intelligence de ne pas tomber dans ce piège. «L'important n'est pas tant le produit que son histoire. Car c'est cette dernière qui peut procurer l'émotion qui fera toute la différence», explique le donateur de chaussures en chef de TOMS, d'un sourire ravageur.
> Ne pas réinventer la roue. «Si l'on part de l'idée qu'on veut répondre à un besoin, le mieux est de chercher à y répondre le plus simplement possible. Sans se perdre dans des réflexions alambiquées.»
> Revenir à la base. «N'oublions jamais que Jacob Davis, l'homme qui a contribué à inventer le jeans, aux côtés de l'homme d'affaires Levi Strauss, est devenu célèbre pour une raison fort simple : il voulait trouver un moyen simple d'empêcher les pantalons de couler, vu que l'efficacité des ceintures laissait à désirer.»
> Recourir à l'intelligence collective. «Au lieu de vous casser la tête sur tout et sur rien, faites appel à l'intelligence des autres. Cela vous aidera à surmonter des difficultés qui, en réalité, n'en étaient même pas.»
5. Fonder le socle de la confiance
La confiance est un élément crucial de la réussite, d'après M. Mycoskie. Et pour la gagner, que ce soit auprès des employés, des partenaires ou des clients, il faut adopter un style de leadership qui y soit propice. Lequel? À chacun de l'identifier, via par exemple ces différents points :
> Un lien fragile. «Pensez à votre école, ou bien à votre employeur. Ou même au café où vous avez l'habitude d'aller. Est-il arrivé un moment où le lien de confiance que vous entretenez avec l'un d'eux s'est rompu? Et si oui, en quoi cela a-t-il changé votre comportement à son égard?»
> L'exemple du don. «Il vous est sûrement déjà arrivé de faire un don à un organisme de bienfaisance. Réfléchissez aux raisons pour lesquelles vous avez donné à celui-ci, et pas à un autre. Et demandez-vous ce qui ferait que vous alliez plus loin avec cet organisme, par exemple ce qui ferait que vous le vantiez à des amis ou deveniez l'un de ses membres bénévoles.»
> Un autre leadership. «Imaginez un instant que vous n'êtes plus celui qui est à la tête de tout, mais simplement celui qui est au service des autres. Que vous n'êtes plus le leader qui ordonne et contrôle, mais le leader qui sert les autres, qui leur vient en aide dans l'accomplissement de leurs tâches. Cela ne renforcerait-il pas la confiance entre chacun?»
6. Donner autrement
M. Mycoskie a vu des enfants et des parents littéralement pleurer de joie en recevant les chaussures neuves. «Je n'ai jamais connu d'émotion aussi intense que le simple geste de donner», souligne-t-il. Et d'ajouter : «Donner, c'est faire du bien, c'est se faire du bien, mais c'est également faire de bonnes affaires».
> Dons et profits. «Demandez-vous si certains organismes de bienfaisance ne seraient pas plus efficaces si elles visaient, outre les dons, à faire des profits. Cela ne les inciterait-il pas à faire les choses autrement, plus efficacement parfois?»
> Créer des partisans. «Quand la marque donne, c'est tout le monde qui donne : les employés, les partenaires et les clients. Chacun d'eux devient alors un fier partisan de la marque.»
> Éveil des consciences. «Votre histoire mettra au jour un drame qui était méconnu de la plupart. Ce qui peut susciter un vaste élan de solidarité. Ce qui peut aussi amener d'autres personnes à s'inspirer de vous pour, à leur tout, faire du bien autour d'eux.»
7. Faire le dernier pas
«Le dernier pas, c'est celui qui nous force à plonger. Il semble le plus difficile à faire, mais en fait, c'est le plus simple : il est déjà fait, il a été fait au moment où l'on a fait le tout premier. Il suffit de se dire qu'on n'a plus le choix, qu'il faut y aller, et que de toutes façons on ne sera jamais complètement prêt», dit-il.
> L'inconnu. «Vous ne savez pas trop ce qui vous attend. Tant mieux! Dîtes-vous que vous allez beaucoup apprendre dans les jours et les semaines qui viennent.»
> Amis. «L'aventure dans laquelle vous vous lancez va vous amener à vous faire beaucoup d'amis.»
> Carpe Diem. «Restez calmes dans la tempête. Prenez même le temps de savourer ce que vous êtes en train de vivre. Car vous vivez un moment unique.»
Voilà. Fascinant, n'est-ce pas? Et dîtes-vous que c'est ainsi à chaque conférence de C2-MTL, et qu'il vous reste encore deux journées pour venir y faire un tour.
Découvrez mes précédents billets