BLOGUE. J’ai une profonde admiration pour Venkatesh Rao. Qui ça? Venkatesh Rao, le blogueur de Ribbonfarm.com et auteur de Tempo : Timing, tactics and strategy in narrative-driven descision-making. Pourquoi? Pour plein de raisons, la première étant qu’il a concoté un principe génial, le Principe de Gervais…
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J’ai eu la chance de rencontrer Venkatesh Rao, il y a un mois de cela, à New York, lors d’un événement organisé par le magazine The Economist. Là, il a brièvement présenté son Principe, et je dois avouer que j’en suis resté scotché sur mon siège, tant c’était drôle et… pertinent! Voici grosso modo de quoi il s’agit…
Depuis 2005, M. Rao est un fan absolu de The Office, vous savez, la série télévisée de la chaîne américaine NBC qui se présente comme un faux-documentaire hilarant sur la vie de bureau, et ce depuis huit saisons. Il n’a pas raté un seul épisode depuis, c’est plus fort que lui. Il en est même devenu tellement accro qu’il a fini par se demander pourquoi. Réponse : «The Office n’est pas une série de gags enchaînés n’importe comment, mais bel et bien une réflexion poussée sur le management», m’a-t-il confié.
Il s’est alors mis à y réfléchir sérieusement, et a trouvé dans une premier temps que la série télévisée lui évoquait furieusement les pensées foudroyantes du dessinateur Hugh MacLeod et celles du Dilbert de Scott Adams, les deux étant épouvantables pour l’humanité au travail. Puis, il a mis la main sur un dessin de MacLeod intitulé Company hierarchy, qui donne son interprétation de la hiérarchie en vigueur en entreprise :
- Les sociopathes, soit la poignée de hauts-dirigeants qui trônent tout en haut de la pyramide hiérarchique;
- Les ignorants (clueless, en anglais), soit l’ensemble des managers, qui constituent le milieu de la pyramide;
- Les losers, c’est-à-dire tous les autres.
Et la lumière fut!
Ainsi, M. Rao s’est dit qu’on pouvait vraiment regarder l’ensemble des employés d’une entreprise sous cet angle, et peut-être en tirer des enseignements qui jusqu’à présent nous avaient échappé. Il a dès lors appliqué les grandes lignes de The Organization Man, le best-seller des années 1950 du sociologue William Whyte, à la pyramide du pouvoir de MacLeod. «Whyte était extrêmement pessimiste. Il considérait que les hauts-dirigeants (les sociopathes) livraient une guerre acharnée contre les managers (les ignorants) pour dominer l’entreprise, et que c’étaient ces derniers qui finissaient toujours par gagner. Il avait tort, mais pas de la manière qu’on peut croire…», a-t-il expliqué.
L’auteur de Tempo en a déduit que la pyramide de MacLeod évoulait au cours du temps. Une évolution clyclique en 5 étapes :
1. Les sociopathes donnent naissance à l’entreprise;
2. Les sociopathes recrutent des losers pour lancer le cycle;
3. L’entreprise grandissant, les sociopathes embauchent des ignorants afin que les losers ne partent pas voir ailleurs;
4. L’entreprise grandissant encore, des sociopathes s’en vont sous d’autres cieux et les losers les moins idiots aussi, si bien que les ignorants deviennent largement majoritaires;
5. L’entreprise finit par mourir d’un coup, victime de sa boulimie d’ignorants.
Puis, les sociopathes lancent ailleurs un nouveau cycle… C’est sans fin.
Du coup, les caractéristiques des trois catégories d’employés deviennent un peu plus précises :
- Les sociopathes entrent et sortent des entreprises à volonté, sans aucune contrainte, et sont libres de faire ce qu’ils veulent pour atteindre le sommet de la pyramide. Ce faisant, ils s’assurent de promouvoir ceux qui risquent le moins de leur nuire.
- Les ignorants n’ont pas les compétences nécessaires pour évoluer librement au sein de l’entreprise. Ils nouent un lien de fidélité fort avec celle-ci, même si des signaux leurs indiquent que ce n’est pas réciproque. Ils s’accrochent à leur poste autant que faire se peut, y compris lorsqu’ils constatent les défections des sociopathes et des losers. Ils représentent ceux qui risquent le plus d’être licenciés en cas de difficulté.
- Les losers cherchent plus leur bien-être dans la vie qu’au travail. Ils ne sont pas plus loyaux envers l’entreprise que ne le sont les sociopathes. Cela étant, ils sont fidèles à certains de leurs collègues. Les moins idiots d’entre eux finissent par changer d’employeur, les autres se faisant parfois promouvoir parmi les sociopathes.
D’où le Principe de Gervais, du nom du coauteur de The Office, Ricky Gervais :
«Les sociopathes, avant tout soucieux de leurs propres intérêts, veillent à promouvoir les losers ultra-performants parmi les ignorants et les losers sous-performants parmi les sociopathes, tout en laissant tranquilles les losers se complaisant dans leur médiocrité.»
«Le Principe de Gervais diverge de celui de Peter en ce sens que celui de Peter stipule que tous les employés sont promus jusqu’à leur seuil d’incompétence, alors que celui de Gervais estime que cela ne concerne que les losers. Quant au Principe de Dilbert, qui considère que les moins compétents sont toujours promus à des postes de manager, il est, lui aussi, erroné, car le Principe de Gervais prévoit le contraire : seuls les plus compétents des losers sont promus», m’a-t-il dit.
Impressionnant, vous ne trouvez pas? Je vous invite maintenant à prendre quelques minutes de réflexion, histoire de voir si ce curieux Principe de Gervais ne s’appliquerait pas à l’entreprise où vous évoluez…
Maintenant que vous avez des frissons dans le dos, vous vous demandez certainement ce qu’il va advenir de votre carrière. M. Rao y a pensé, bien entendu, et voici en résumé ses prédictions :
- Le sociopathe. Auparavant, il était un loser sous-performant. Comme le loser moyen, il a reconnu qu’il n’était pas à sa place, mais contrairement à lui, il a pris des risques calculés pour trouver le moyen de se faire promouvoir, du moins avant de se faire virer. Une fois en haut de la pyramide, il applique scrupuleusement le Principe de Gervais, jusqu’à ce qu’il change d’entreprise.
- L’ignorant. Auparavant, il était un loser ultra-performant, signe caractéristique d’idiotie. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a été promu dans la masse des ignorants. Là, il va se complaire dans sa situation, jusqu’à ce qu’une catastrophe survienne.
- Le loser. Il va finir par avoir une promotion, voire une très belle promotion, mais n’en sera pas plus heureux pour autant. La chose la plus rationnelle à faire pour lui est donc de partir ailleurs ou d’en faire le moins possible.
Qu’en pensez-vous? Venkatesh Rao a-t-il vu juste? Ou bien, est-il complètement à côté de la plaque?
Scott Adams énonce d’ailleurs dans Le Principe de Dilbert : «Tu as beau être intelligent, tu passes la plupart de ton temps à être un imbécile»…