BLOGUE. Nous avons tous déjà entendu parler de l'intelligence émotionnelle, la fameuse IE concoctée dans les années 1990 par le psychologue américain Daniel Goleman, qui désigne notre capacité à identifier, accéder et même contrôler ses émotions et celles d'autrui. Mais avez-vous aussi entendu parler du management émotionnel? Probablement pas…
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Le management émotionnel, c'est la faculté pour un manager d'identifier et d'intégrer ses émotions et celles d'autrui à sa prise de décision. C'est du moins la définition qu'en donne son concepteur, Hiroyuki Umemuro, professeur de management à l'Institut de technologie de Tokyo (Japon).
«Traditionnellement, un manager prend une décision à l'aide de données chiffrées objectives, comme les coûts, les revenus et les profits. Et on évalue la pertinence d'une prise de décision en fonction des mêmes critères : si les revenus se mettent à chuter, c'est que la décision prise était mauvaise. Mais, on se rend maintenant compte que de tels critères ne suffisent pas vraiment pour différencier une bonne d'une mauvaise décision. Il faut également tenir compte de l'expérience émotive des personnes directement concernées par la décision, comme les membres de son équipe et les clients», explique M. Umemuro.
L'expérience émotive? Il faut comprendre par là l'impact général qu'a une décision sur une personne : par exemple, pour un client, sa joie première au moment où elle a acquis le nouveau produit de l'entreprise, ou au contraire son immense déception; et pour un employé, sa fierté de travailler sur le projet du tout nouveau produit de l'entreprise, ou au contraire sa frustration de devoir quitter le projet sur lequel il travaillait pour passer à un autre qui ne l'enchante guère. On le voit bien, de l'addition de toutes ces menues émotions déclenchées par la décision prise résulte le succès, ou l'échec, de celle-ci. Et ce n'est pas juste un chiffre comme des ventes en progression de 1,67% sur un trimestre qui peut le traduire correctement.
Maintenant, on peut se dire qu'il est bien beau d'inventer un concept comme le management émotionnel, que ça sonne bien, mais que ça sonne creux. D'où l'intérêt de l'étude intitulée Affective management and its effects on management performance, signée par M. Umemuro avec l'une de ses étudiantes à l'Institut de technologie de Tokyo, Waratta Authayarat. L'idée : voir si le fait de tenir compte du management émotionnel permet, ou pas, d'améliorer la performance de l'entreprise. Plus précisément, si le management émotionnel permet d'améliorer le rendement des capitaux propres, le rendement de l'actif total, et autres ratio cours/bénéfices.
Comment les deux chercheurs s'y sont-ils pris? C'est très simple, Mme Authayarat a mis au point ce qu'elle a appelé l'Affective Management Scorecard (AMS), qui consiste en un minutieux questionnaire sur une quinzaine d'aspects du management émotionnel. S'y trouvent des questions du genre «Dans quelle mesure considérez-vous que la culture de votre organisation tient compte des émotions des employés?» et «La direction de votre organisation se soucie-t-elle de ce qu'en pensent les employés lorsqu'elle prend une décision importante?», auxquelles on répond à l'aide de chiffres (par exemple, 1 signifie «très peu» et 5, «beaucoup»).
Puis, l'AMS a été présenté à 380 managers d'entreprises thaïlandaises cotées à la Bourse de Thaïlande, œuvrant dans différents secteurs économiques (construction, agroalimentaire, technologie, etc.). Des entreprises dont il était possible de connaître les moindres détails de leur performance économique (revenus, profits, etc.). Le but était de découvrir toute corrélation entre le management émotionnel et la performance de celles-ci.
Résultats? Accrochez-vous bien…
> Une meilleure image de marque. Ceux qui tiennent compte des émotions des clients ne voient pas leurs profits bondir immédiatement, mais voient leur image de marque se mettre à briller à leurs yeux. Et cela est vrai tant en B2C qu'en B2B.
> De meilleurs résultats financiers. Ceux qui tiennent compte des émotions des employés voient s'améliorer, entre autres, leur rendement de l'actif total, leur ratio price-to-book et leur marge bénéficiaire. C'est-à-dire que ces entreprises deviennent, grâce à cela, plus performantes sur le plan financier.
> Une importance accrue dans son écosystème. Ceux qui tiennent compte des émotions de la communauté dans laquelle ils évoluent (par exemple, la ville où se situe leur usine) prennent une place plus grande au sein de cet écosystème, ce qui a un impact direct et positif sur leur performance.
Tout cela se résume comme suit :
> Qui entend améliorer sa performance doit s'attacher à faire vibrer les autres.
Voilà. Tout est dit. On gagne toujours à tenir compte des émotions des autres, et ce, à tous les niveaux : tant pour le manager vis-à-vis des membres de son équipe que du conseil d'administration vis-à-vis de l'entreprise.
L'intérêt de cultiver le management émotionnel est de la sorte démontrée, en particulier pour ceux qui ne jurent que par les chiffres et les tableaux de données millimétrées. Il ne vous reste par conséquent plus qu'à vous y mettre…
En passant, le philosophe français Jean-Paul Sartre a dit dans son Esquisse d'une théorie des émotions : «Nous appellerons "émotion" une chute brusque de la conscience dans le magique».
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