La procrastination, cette fâcheuse manie de repousser au lendemain ce qu’on pourrait faire le jour-même, tout le monde connaît. Mais la précrastination, avez-vous déjà entendu parler de ça ? Non, je suis prêt à en mettre ma main au feu.
La précrastination, c’est un terme qui a été inventé cette année par une équipe de chercheurs dirigée par David Rosenbaum, professeur de psychologie à l’Université d’État de Pennsylvanie (États-Unis). Un terme défini comme suit : «Tendance à terminer, ou à tout le moins à commencer, une tâche aussi vite que possible, même si cela nécessite des efforts conséquents». Autrement dit, c’est la manie inverse de la procrastination : dès qu’il nous faut accomplir une tâche, nous nous y mettons tout de suite, peu importe ce qu’il nous en coûte.
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Pour que vous puissiez mieux saisir, je vais vous décrire l’expérience qui a permis à M. Rosenbaum et son équipe de mettre au jour ce curieux phénomène, présenté dans l’étude intitulée Precrastination : Hastening subgoal completion at the expense of extra physical effort.
Ainsi, il a été demandé à 27 volontaires d’accomplir quelque chose de très simple, à savoir porter un seau partiellement rempli d’eau jusqu’au bout d’un couloir. Des conditions particulières étaient imposées :
– Deux seaux. Il y avait deux seaux également remplis d’eau dans le couloir. L’un à main droite, toujours le plus proche du bout du couloir. L’autre à main gauche, toujours éloigné du bout du couloir, et donc le plus proche du point de départ. (Note : les distances des seaux par rapport au fond du couloir ont varié à huit reprises, histoire de regarder si cela influençait les résultats, ou pas.)
– Un choix. La tâche consistait à ne s’occuper que d’un seul seau. Celui de son choix.
– Une main. Si le participant décidait de s’occuper du seau à sa droite, il lui fallait utiliser seulement sa main droite. Idem, si le participant décidait de s’occuper du seau à sa gauche, il lui fallait utiliser seulement sa main gauche. (Note : 90% des participants étaient droitiers.)
Cette expérience a presque l’air ridicule, n’est-ce pas ? Pourtant, elle a donné un résultat carrément renversant :
– La proximité avant tout. La très grande majorité des participants ont systématiquement choisi de transporter le seau le plus proche d’eux jusqu’au fond du couloir ! Même si cela leur imposait d’utiliser la main gauche alors qu’ils étaient droitiers. Et même si cela revenait à porter cette charge sur plus de mètres que s’ils avaient choisi l’autre seau.
La question saute aux yeux : ces participants-là étaient-ils tous des crétins ? Car ça rime à quoi de faire exprès, quand on a le choix, d’accomplir la tâche la plus usante ? C’est complètement absurde.
Éberlués par ce résultat inattendu, M. Rosenbaum et son équipe n’ont eu d’autre recours que de demander aux participants ce qui les avait pris. Et ils ont obtenu la même réponse de chacun: «Ben, je voulais en finir au plus vite».
Là, les chercheurs de l’Université d’État de Pennsylvanie se sont gratté la tête. On ne peut plus perplexes. Jusqu’au moment où ils ont eu une illumination : les participants souffraient d’un mal encore non identifié, la précrastination. Ils avaient un besoin viscéral de mener à bien une tâche au plus vite, quitte à payer pour cela un prix élevé, de manière quasi absurde.
Pourquoi ? Oui, pourquoi nous arrive-t-il, à nous aussi, d’aller souvent au plus pressé, sans vraiment réfléchir aux coûts que cela peut représenter pour nous ? Les chercheurs ont émis une hypothèse qui me semble intéressante, mais qui n’est pas encore validée : notre cerveau a une priorité constante, qui est de vider sa mémoire du superflu, si bien que lorsqu’il nous faut accomplir une tâche sans intérêt à nos yeux, il donne l’ordre au corps de l’accomplir au plus vite, peu importe l’effort que cela demandera. Les participants avaient dit qu’ils voulaient s’en débarrasser au plus vite, sans réfléchir, sans réaliser qu’en vérité leur cerveau leur avait ordonné d’agir de la sorte pour lui-même se dégager l’esprit de cette idée inutile d’apporter un seau d’eau au fond d’un couloir. C’est aussi bête que ça.
Pour en avoir le cœur net, les chercheurs ont procédé à une dernière variante de l’expérience. Cette fois-ci, le seau à main gauche était plein et le seau à main droite était vide. Que s’est-il alors passé ? Eh bien, le cerveau a fini par protester, et 70% des participants se sont fait violence en finissant par choisir le seau de droite, aprèes un temps d'hésitation. C’est que le coût demandé était alors démesuré. Ce qui signifie par conséquent que notre tendance à précrastiner connaît – fort heureusement – une limite, qui correspond au moment où le cerveau se résoud à ne pas aller au plus pressé pour se simplifier la vie.
Que retenir de tout ça? Ceci, à mon avis :
> Qui entend mettre fin à sa manie de précrastiner, c'est-à-dire de courir toute la journée dans tous les sens pour accomplir mille choses les unes après les autres sans compter ses efforts, se doit de prendre l'habitude de souffler un peu. Oui, il lui faut faire une habitude de réfléchir ne serait-ce que deux secondes avant de se lancer dans une nouvelle tâche – surtout lorsqu'elle lui paraît facile à mener à bien –, afin de laisser le temps nécessaire à son cerveau de vérifier qu'on ne va pas agir de manière absurde pour l'accomplir.
Deux secondes, c'est amplement suffisant pour le cerveau, ne vous inquiétez pas pour ça : il devinera la meilleure attitude à adopter sans avoir besoin pour cela d'un raisonnement conscient. Le meilleur choix vous apparaîtra comme par magie, du simple fait qu'il proviendra de votre inconscient. Et le tour sera joué!
En passant, Ésope a dit dans ses Fables : «Mieux vaut tenir que courir».
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