BLOGUE. À votre avis, qu'y a-t-il de pire, dans la vie, que d'être invisible? Oui, que le fait que les autres soient totalement indifférents à vous, à ce que vous êtes, à ce que vous faites? Pour les animaux sociaux que nous sommes, une telle expérience est terrible, voire traumatisante. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la sanction choisie par l'être humain pour punir les siens est bien souvent la prison, c'est-à-dire le retrait de tout contact possible avec la société.
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D'où notre soif de reconnaissance. D'où notre besoin d'être apprécié, pour ne pas dire aimé. Le hic? C'est que personne ne connaît la recette secrète permettant de déclencher de telles émotions chez autrui, la recette du légendaire "philtre d'amour". Quoique…
J'ai mis la main sur une étude intitulée In pursuit of understanding what drives fan satisfaction, qui dévoile, me semble-t-il, des trucs intéressants à ce sujet. Celle-ci est signée par deux professeurs de l'Université technique de Hambourg (Allemagne), Christian Ringle (management) et Siegfried Gudergan (marketing), ainsi que par Marko Sarstedt, professeur de marketing à l'Université Louis-et-Maximilien de Munich (Allemagne), et par Sascha Raithel, professeur de management et de marketing à l'École de management de Munich (Allemagne). Elle montre qu'il y a des moyens précis pour déclencher des émotions passionnées chez autrui.
Ainsi, les quatre chercheurs allemands ont décidé de se pencher ensemble sur ce qui déclenchait, en général, la satisfaction d'un consommateur, et surtout, sur ce qui transformait un consommateur en fan. Pour cela, ils ont choisi le domaine du soccer : ce sport suscite des passions incroyables, débordantes d'amour comme de haine pour telle ou telle équipe, voire pour tel ou tel joueur. En Allemagne, par exemple, un fan du Bayern de Munich adorera son équipe et détestera celle du Hambourg SV, ou encore il ne jurera que par Mario Gomez, le meilleur buteur du Bayern en 2011-12, avec 26 buts à son actif, et se rira de celui du Hambourg SV, Mladen Petric, avec ses maigres 7 buts.
MM. Ringle, Gudergan, Sarstedt et Raithel ont, pour commencer, lu tout ce qu'ils ont pu sur ce qui faisait que des fans de soccer étaient fiers de l'être. Des études sociologiques, des recherches de marketing, des magazines sportifs, etc. Puis, ils ont interrogé de manière poussée 10 fans finis de grands clubs de soccer allemands. Ils ont grâce à cela réussi à répertorier 108 facteurs qui semblaient jouer dans la satisfaction d'un fan, comme la présence d'une star dans l'équipe, la performance de l'équipe, la personnalité de l'entraîneur, le niveau de sécurité dans le stade, le passé du club et autres offres spéciales faites par le club aux vrais fans. Des facteurs qu'ils ont tenu à faire valider par un haut-dirigeant d'un club de soccer de la Bundesliga.
Après ça, ils ont concocté un long questionnaire destiné aux fans de soccer allemands et l'ont mis en ligne. Au total, 495 personnes l'ont rempli. Cela leur a permis d'affiner leur liste, qui a été réduite à 17 facteurs pouvant jouer sur le niveau de satisfaction d'un fan à l'égard de son équipe. Une fois de plus, ils ont fait valider cette liste réduite par un haut-dirigeant de club, et même par un petit focus group.
Ce n'est pas tout! Les quatre chercheurs ont procédé à un sondage auprès de 1 054 fans de soccer, dans l'optique de déterminer l'importance de chacun des 17 facteurs retenus. Et ils ont alors recouru à une sorte de filtre mathématique – le PLS – pour regarder si les données recueillies étaient pertinentes, ou pas. Une méthode si efficace qu'elle permet de revenir en arrière dans la démarche entreprise, et donc de vérifier si des 108 premiers facteurs décelés certains n'avaient pas été écartés à tort.
Résultats? Seulement quatre facteurs sont véritablement déterminants aux yeux d'un fan :
> Le stade. C'est le facteur primordial. Les fans aiment que le terrain de jeu soit impeccable, que les gradins soient agréables, qu'on s'y sente en sécurité tant à l'intérieur qu'à ses abords, que la vue du jeu soit bonne, et même que l'acoustique soit de qualité. Le stade doit être un espace où l'on peut vivre pleinement sa passion, sans frein.
> L'équipe. C'est le deuxième facteur le plus important. Les fans veulent avant tout s'identifier à l'équipe, et donc à ses joueurs, en particulier à sa ou ses stars. La composition de l'équipe est l'objet de toutes leurs discussions, si bien qu'une bonne communication à ce sujet permet aux dirigeants d'une équipe de procurer une grande satisfaction aux fans.
> La gestion du club. Les fans veulent que leur club chéri se porte bien, et même de mieux en mieux. Ils savent que la performance de l'équipe dépend beaucoup de la façon dont elle est gérée et dirigée. Ils attachent par conséquent une grande importance à chacun des faits et gestes de la haute-direction.
> L'attention apportée aux fans. Être fan, c'est non seulement vouloir intégrer une élite, mais aussi afficher son appartenance à celle-ci. Et ce, en claironnant partout les avantages que cela lui procure. C'est pourquoi les fans sont si sensibles aux faveurs – petites comme grandes – qui leur sont accordées par le club.
Les quatre chercheurs allemands ont pris le soin de regarder, à l'aide d'une analyse matricielle, lesquels de ces quatre facteurs présentaient le plus d'intérêt pour les dirigeants de club, c'est-à-dire lesquels offraient les plus grands "retours sur investissement". Ils ont découvert que l'idéal était d'agir sur :
> La perception que les fans ont du stade. Améliorer sans cesse les installations, et surtout le faire savoir, paraît a priori bien peu de choses, mais cela aura un impact spectaculaire auprès des fans.
> La gestion du club. Montrer une plus grande transparence dans la façon de gérer l'équipe et le stade, et surtout veiller à le faire savoir aux fans de manière privilégiée, représente également d'immenses avantages pour qui veut renforcer l'amour de ses fans.
Voilà. Maintenant, que retirer de tout cela, à votre échelle? Eh bien, plusieurs choses que je vais vous laisser trouver par vous-même, et en particulier trois que je soulignerais :
1. La passion a besoin d'un cocon où grandir. Si le lieu où se développe l'amour n'est pas idoine, il risque de vite se flétrir.
2. La passion est une affaire de perception. Les fans doivent avoir la sensation que vous êtes ouverts à eux, entièrement ouverts à eux seuls, pour qu'ils sentent que leur amour est payé en retour.
3. La passion tient aux petites attentions. Il suffit d'un rien pour ranimer la flamme de l'amour, mais pourvu que ce rien en suive un autre à brève échéance.
Et vous? En voyez-vous d'autres? Bien entendu, je vais vous laisser appliquer tout cela à votre quotidien par vous-même. Car cela peut être décliné aussi bien aux membres de votre équipe qu'à vos proches, sans parler de tous ceux à qui vous faites bénéficier de vos produits et services.
En passant, le poète roumain Mihai Eminescu a dit dans ses Pensées : «Les passions abaissent, la passion élève».
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