Nous souffrons tous d'un mal chronique, qui met notre existence-même en péril. Un mal qui frappe à notre insu, ou plutôt, un mal dont nous nions l'existence. Lequel? La résistance au changement.
Vous ne me croyez pas? OK, songez à la dernière réunion où un collègue a proposé une idée qui vous a hérissé le poil. Tout de suite, vous avez songé à mille raisons pour la rejeter, au lieu de regarder ce qu'elle pouvait présenter d'intéressante. Vous avez immédiatement pensé «Oui, mais...» (ex.: «Oui, mais on l'a déjà essayé, et ça n'a rien donné», «Oui, mais c'est irréaliste parce que trop coûteux», etc.) au lieu de penser «Oui, et...» (ex.: «Oui, et on pourrait l'essayer d'une toute autre façon que la dernière fois», «Oui, et on pourrait en profiter pour décrocher un nouveau budget pour en faire une réussite», etc.). Bref, vous avez freiné des quatre fers, tout simplement parce que cette idée-là était déstabilisante, pour ne pas dire épeurante, pour vous. Pas vrai?
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Le hic? C'est que la résistance au changement est un véritable fléau. Je pèse mes mots. Elle découle d'un réflexe acquis : l'être humain doit en grande partie sa survie à sa faculté de se protéger ou de fuir face à l'imprévu, et il doit cela à l'homme de cro-magnon, qui avait vite saisi que le mieux à faire lorsqu'il croisait un tigre à dents de sabre, c'était de résister en réagissant au quart de tour (soit en faisant face avec son arme, soit en courant se réfugier dans sa grotte).
Mais voilà, on peut légitimement s'interroger quant à la pertinence de ce réflexe dans notre quotidien au travail. Car notre survie passe à présent davantage par notre faculté à accepter la nouveauté, plutôt qu'à notre capacité à lui résister. Pour le réaliser, il suffit de noter le nombre incroyable d'industries, et donc d'entreprises, qui se font 'ubérisées' ces derniers temps, faute d'avoir accepté de s'adapter aux innovations radicales : regardez, entre autres, combien il est aujourd'hui difficile de trouver un lecteur de CD neuf, alors qu'il y a seulement quelques années de cela tout le monde n'écoutait de la musique qu'à l'aide de ceux-ci...
On le voit bien, notre survie est en jeu. Ni plus ni moins. Alors, comment faire pour arrêter une bonne fois pour toutes de résister bêtement au changement? Comment s'ouvrir à la nouveauté, sans pour autant accepter benoîtement tout et n'importe quoi juste parce que c'est nouveau à nos yeux? Eh bien, j'ai une excellente nouvelle pour vous aujourd'hui : je crois avoir en effet mis au jour un moyen efficace pour favoriser l'acceptation d'une innovation par une personne, une équipe ou même une entreprise. Un moyen renversant de simplicité, issu d'une étude intitulée The role of the organization structure in the diffusion of innovations et signée par : Carlos Saenz-Royo, professeur d'économie au Centre universitaire de la Défense à Saragosse (Espagne); Carlos Gracia-Lazaro, chercheur à l'Institut de bioprogrammation et de physique des systèmes complexes de l'Université de Saragosse (Espagne); et Yamir Moreno, professeur de science physique à l'Université de Saragosse (Espagne). Voici de quoi il s'agit...
Les trois chercheurs espagnols se sont dit qu'une entreprise, somme toute, c'était un réseau de connexions : on peut considérer que chaque point du réseau est un employé et que chacun de ces points peut être relié à d'autres par un trait, en fonction des liens de travail qu'il a avec les autres. Et à partir de là, ils ont voulu voir comment une information nouvelle circulait dans ce réseau.
Le principe est simple... Chaque point a sa résistance propre à la nouveauté, si bien que ceux qui ont une résistance forte vont ralentir la circulation de l'information, et inversement, ceux qui ont une résistance faible vont accélérer la circulation de l'information. De plus, chaque lien a son importance : quand le lien entre deux points est bon (ex.: les deux employés s'apprécient), l'information circule aisément, en revanche, quand il est mauvais (ex.: les deux employés sont rivaux), l'information circule difficilement. Vous voyez? Parfait.
Ce n'est pas tout. Il faut également tenir compte d'une autre chose, fondamentale : la structure du réseau. Car il y a de multiples formes de réseau possible :
> Structure hiérarchique. Elle est formée d'un point en haut de la pyramide (le PDG) et de plein d'autres en-dessous de lui, par strates de plus en plus larges. L'essentiel des liens vont du haut vers le bas. C'est la structure d'entreprise la plus classique qui soit, celle qui a prédominé au XXe siècle.
> Structure en treillis. Elle est formée d'un point prédominant (le PDG) et de plein d'autres disposés autour de lui de manière partiellement ordonnée : certains points (ses lieutenants) sont logiquement reliés à lui, mais au-delà, les liens entre les différents points (les employés) ne suivent pas de logique apparente (par exemple, certains points devraient être reliés entre eux, mais ne le sont pas). C'est la structure d'entreprise la plus courante de nos jours, reconnaissons-le.
> Structure aléatoire. Elle est formée de points interreliés de manière aléatoire, sans aucune logique apparente, suivant le modèle mathématique mis au point à cet effet par Paul Erdös et Alfred Rényi. C'est une structure qu'on retrouve, entre autres, dans nombre de start-ups.
> Structure sans échelle. Elle est formée de points dont un petit nombre d'entre eux ont nettement plus de connexions que les autres. Ces points-là sont de véritables influenceurs. C'est là une structure qui correspond à celle, entre autres, des médias sociaux et des écosystèmes, et qu'on retrouve dans nombre de grandes entreprises.
> Structure en étoile. Elle est formée d'un point qui est relié à tous les autres points, ces derniers n'étant aucunement reliés les uns aux autres. C'est la structure du travailleur autonome, par exemple.
> Structure complète. Elle est formée de points qui sont tous reliés les uns aux autres. C'est la structure de nombre de très petites entreprises (TPE).
Fascinant, n'est-ce pas? Je suis sûr que vous avez identifié le type de structure de votre propre équipe ou entreprise. Poursuivons...
Les trois chercheurs espagnols ont ensuite mis au point un modèle de calcul économétrique permettant de simuler la réaction des différents réseaux à l'arrivée d'une nouvelle information. Un modèle de calcul qui considère qu'un point peut soit relayer l'information, soit la bloquer, et surtout, qu'il peut être amené à changer d'attitude dans deux cas de figure particuliers :
> La pression sociale. Lorsque les autres points auxquels il est relié adoptent majoritairement l'attitude contraire à la sienne, il finit par accepter de changer de comportement.
> L'épreuve du temps. Lorsqu'un point finit par réaliser lui-même que son attitude n'est pas la bonne, c'est-à-dire lorsque le temps finit par lui apporter la preuve de son erreur, il accepte de changer de comportement.
Résultats? Accrochez-vous bien, parce que, l'air de rien, ils sont carrément fabuleux :
> Avantage aux structures hiérarchique et en treillis. Les structures hiérarchique et en treillis sont celles où circule le plus aisément une information nouvelle, c'est-à-dire celles où la résistance à la nouveauté est globalement la moins élevée.
Autrement dit, le sort d'une nouveauté dépend directement de la structure de l'organisation dans laquelle elle voit le jour. Si la structure est harmonieuse et bien structurée, elle aura plus de chances de pousser et grandir que si la structure est désordonnée, voire cahotique. Bref, la nouveauté préfère l'ordre au désordre.
> Le rôle clé des initiateurs. La taille du réseau importe peu concernant la fluidité de la circulation de l'information nouvelle. Ce qui compte vraiment, c'est en vérité la réaction spontanée des premiers points à l'avoir reçue : s'ils se montrent ouverts à la nouveauté, celle-ci va vite circuler dans l'ensemble du réseau; en revanche, s'ils affichent une franche résistance, l'information aura beaucoup de mal à se rendre un peu partout dans le réseau.
Autrement dit, une nouveauté ne peut pas voir le jour si elle est implantée dans un terreau qui ne lui convient pas. Pour lui donner toutes les chances de pousser et de grandir, il convient de la partager dès le départ dans un sous-ensemble du réseau réputé pour son ouverture aux idées neuves, vu que chacun de ses points se fera un plaisir de la regarder de près et d'en parler aux autres si jamais elle parvient à susciter leur intérêt.
> Plus l'information nouvelle circule, plus elle est bien accueillie. Plus une information est longtemps cloisonnée à une petite partie du réseau, plus elle risque de rencontrer de la résistance ailleurs, lorsqu'elle parviendra enfin à en sortir. Et inversement, plus elle circule librement dès le départ, plus les chances sont fortes qu'elle soit accueillie positivement par chacun des points du réseau.
Autrement dit, l'idéal pour qu'une nouveauté soit acceptée, c'est de la partager avec le plus grand nombre, dès le départ. Et non pas, comme on le voit si souvent, de la restreindre à un petit groupe pilote, soit-disant pour vérifier s'il s'agit là d'une nouveauté fructueuse ou foireuse. C'est que toute nouveauté a besoin d'un terreau vaste et fertile pour pousser et grandir, et risque de mourir si on la laisse trop longtemps en pot.
> La nuisance de la pression sociale. Plus la pression sociale est forte sur un point, plus celui-ci aura le réflexe de lui résister, jusqu'au moment où il finira par se rallier. En conséquence, la pression sociale nuit à la bonne circulation de l'information nouvelle, car «la probabilité d'imiter les autres décroît à mesure que s'élève la pression sociale, en particulier dans les réseaux les moins harmonieux, soit ceux qui sont autres que les structures hiérarchique et en treillis».
Autrement dit, rien ne sert de faire pression à plusieurs sur un employé opposé à la nouveauté qui lui est présentée, car cela ne fait que ralentir les chances que celle-ci soit globalement acceptée par l'ensemble du réseau : mieux vaut, en ce cas, consacrer ses efforts à la faire connaître de ceux qui lui seront a priori favorables, lesquels se feront par la suite un plaisir de la partager avec d'autres.
> La nuisance de la densité du réseau. Plus le réseau est dense, moins l'information nouvelle circule bien. C'est-à-dire que plus il y a de liens entre les différents points du réseau, plus l'information peine à se rendre partout. Pourquoi? Tout simplement parce que, comme on l'a vu, la pression sociale nuit à la bonne circulation de l'information.
Autrement dit, plus on noue de liens entre les uns et les autres, plus on augmente le risque de créer des opposants à la nouveauté. Du coup, l'idéal n'est pas de densifier le réseau de connexions dans l'espoir de favoriser l'adoption d'une nouveauté, mais de l'harmoniser, et au besoin de l'ordonner si jamais il est vraiment cahotique.
Voilà. Je vous l'avais dit, cette étude est riche en enseignements. Maintenant, que convient-il de retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :
> Qui entend surmonter sa propre résistance au changement, ou celle de son équipe, ou même de son entreprise, se doit d'harmoniser son réseau de connexions. Le mot important est ici 'harmoniser', je le souligne. Il lui faut ainsi identifier le type de structure de son réseau, puis regarder quels sont les déséquilibres dont il souffre (ex.: «Je suis surtout en contact avec les gens du marketing, et presque jamais avec ceux de l'expédition.»). Enfin, il convient de remédier aux mals identifiés, sachant qu'il faut non pas chercher à densifier son réseau de connexions, mais bel et bien à nouer des liens avec les 'bonnes' personnes, à savoir celles qui permettront de rendre le réseau harmonieux. Une fois ceci fait, vous verrez que la résistance au changement - ou, si vous préférez, à toute forme d'idée neuve - tombera d'elle-même, devenue obsolète comme par magie!
En passant, le publicitaire britannique David Ogilvy aimait à dire : «Ecouragez l'innovation! Le changement est notre force vitale, la stagnation notre glas».
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