J'en ai une bien bonne pour vous, aujourd'hui : "Deux œufs sont dans une poêle; le premier dit «Qu'est-ce qu'il fait chaud ici!»; le second se retourne et crie «Aaahhh!!! Un œuf qui parle!»".
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Vous ne la trouvez pas drôle? Pas grave, j'en ai une autre : "Comment s'y prend-on pour faire sortir un lapin de son terrier? C'est simple, il suffit d'imiter le cri de la carotte".
Bon. Je ne vous fais toujours pas rire avec mes bonnes blagues? Et je viens, d'un seul coup, de descendre dans votre estime? À des profondeurs abyssales? Parfait. C'est exactement ce que je voulais.
Il nous est tous arrivé, un beau jour, de sortir une blague à l'improviste, et de consterner nos collègues. Leurs mines contrariées ont été notre seule récompense, alors que nous nous attendions à déclencher une hilarité générale. Et nous avons eu l'air bête.
Certains – peu nombreux – savent s'en remettre sans trop de casse, l'air de rien. D'autres – la plupart d'entre nous – ne savent plus où se mettre, parfois même des heures ou des jours durant. C'est que le rouge de la honte leur colle aux joues pendant ce qui leur paraît une éternité. Et ils s'en veulent d'avoir déclenché ce qu'ils croient être une catastrophe irréparable.
La question saute aux yeux : une blague ratée au bureau prête-t-elle vraiment à conséquence? Autrement dit, notre relation avec les autres va-t-elle en être modifiée pour longtemps, ou pas?
Impossible de répondre à une telle interrogation, me direz-vous. Car cela dépend de trop de facteurs à la fois. Eh bien, détrompez-vous. Il est possible de le savoir, grâce à une étude intitulée The experience of failed humor: Implications for interpersonal affect regulation. Laquelle est le fruit du travail de : Michele Williams, professeure de comportement organisationnel à l'Université Cornell (États-Unis); et Kyle Emich, professeur de management à l'École de commerce Fordham (États-Unis).
Les deux chercheurs ont demandé à 127 volontaires de répondre à un questionnaire en ligne, lequel visait à évaluer leur émotivité et leur sens de l'humour. La semaine suivante, ceux-ci ont dû recopier à la main soit des blagues vraiment drôles, soit des blagues ratées, avant de répondre à un nouveau questionnaire, qui portait sur les mêmes points.
Voici ce que cette petite expérience leur a permis de noter :
> Émotions négatives. Ceux qui avaient en tête des blagues ratées ont ressenti des émotions négatives (honte, culpabilité, etc.), ce qui n'a pas été le cas des autres.
> Piètre estime de soi. Ceux qui avaient en tête des blagues ratées ont vu leur estime d'eux-mêmes chuter d'un coup, ce qui n'a pas été le cas des autres.
> Repli sur soi. Ceux qui avaient en tête des blagues ratées ont ressenti le besoin de couper temporairement les ponts avec autrui, et donc de se replier sur eux-mêmes, ce qui n'a pas été le cas des autres.
On le voit bien, l'impact est nettement plus important qu'on ne l'imagine a priori. «Le coût n'est pas qu'individuel, il se répercute directement sur l'équipe elle-même, ce que trop peu de managers réalisent», dit Mme Williams. Et de souligner : «Il ne s'agit pas là d'un simple embarras passager, mais d'un véritable révélateur d'une dynamique d'équipe déficiente, due, par exemple, à la crainte omniprésente de l'échec, ou encore au manque de confiance entre les uns et les autres».
Avant de pouvoir affirmer une telle chose, Mme Williams et son collègue ont davantage creusé les données recueillies lors de l'expérience. Et ils ont découvert ceci :
> Attitude pénalisante. L'auteur d'une blague ratée change de comportement au sein de son équipe, au point de lui être moins utile. Deux exemples concrets : il perd en créativité; et il lui est plus difficile de prendre une bonne décision.
La bonne nouvelle, c'est qu'ils ont, par la même occasion, identifié ce qui pouvait atténuer les effets d'une blague ratée sur son auteur. Une trouvaille, comme vous allez le voir, fort utiles aux managers :
> Approche individuelle. Les managers peuvent atténuer les effets individuels d'un ratage lamentable d'un de leurs employés (comme une blague ratée) rien qu'en prônant certaines valeurs. Lesquelles? Mme Williams et M. Emich préconisent notamment de valoriser davantage la prise de risque, pour ne pas dire l'échec (sachant que celui-ci est toujours riche d'enseignements lorsqu'on l'ausculte comme il se doit…). Ou encore, davantage la responsabilisation, ce qui peut se faire en encourageant chacun à prendre en mains la réalisation de certains projets et en le rassurant sur le fait qu'en cas de pépin tous les autres viendront aussitôt l'épauler.
> Approche collective. Les managers peuvent atténuer les effets collectifs d'un ratage lamentable d'un de leurs employés (comme une blague ratée) rien qu'en prônant certaines valeurs. Lesquelles? Ça peut être, d'après les deux chercheurs, la tolérance : chaque membre de l'équipe est ainsi incité à ne pas céder au réflexe de juger ce qui lui semble sortir de la norme, mais plutôt de se montrer tolérant à son égard. Ou bien, mieux encore, la compassion : chaque membre de l'équipe est ainsi invité à se dire que, lui aussi, un beau jour, trébuchera et appréciera alors l'aide des autres pour se relever.
Voilà. Une blague ratée au bureau, ça n'a l'air de rien à prime abord, mais ses effets sont en vérité dramatiques. Du moins, si l'on n'y prend pas garde. Alors? Que faire au juste, le jour où vous trébucherez devant tout le monde? Eh bien, profitez-en pour regarder la réaction des uns et des autres : celle qui pouffe parce que vous êtes ridicule à ses yeux, celui qui se mord les joues en guise de compassion muette pour vous, ou encore celle qui parvient à trouver le mot juste pour vous sentir moins honteux. Et attachez-vous à l'avenir à cultiver les traits de ceux qui ont le mieux agit. Personnellement comme collectivement.
En passant, l'écrivain français François-René de Chateaubriand a dit dans Mémoires d'outre-tombe : «Plus le visage est sérieux, plus le sourire est beau».
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