BLOGUE. La semaine dernière, c’était le 25e anniversaire du festival Burning Man, dans le désert de Black Rock, au Nevada. Non, je n’y étais pas, pourtant j’aurais dû, car il ne s’agit pas d’un rassemblement d’illuminés bariolés de toutes les couleurs, mais bel et bien d’un événement, disons, philosophique. Oui, les principes fondateurs de Burning Man sont des plus inspirants – si, si! – pour qui se pique de management et de leadership…
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Je m’explique… Burning man a été lancé en 1986 par Larry Harvey dans l’idée d’organiser une fête artistique débridée, avec ses amis et les amis de ceux-ci, un soir, sur la plage de Baker Beach, en face du Golden Gate Park de San Francisco. Vu la popularité de cette fête, il a été décidé les années suivantes de se déplacer dans un lieu gigantesque, même si improbable : un désert. Et là, la fête a pris une tout autre tournure. Les Burners ont dû créer des installations temporaires – les Art Camps –, assez fonctionnelles pour pouvoir y vivre plusieurs journées. Résultat : les notions de management et de leadership sont devenues incontournables pour assurer le bon déroulement de l’événement, qui réunit durant huit jours quelque 50 000 personnes.
Un code de conduite a vite été instauré, sans quoi la fête aurait vite été gâchée par un anarchisme galopant. Ce code repose sur 10 principes régissant la vie et les activités durant le festival :
1. L’inclusion solidaire. Tout un chacun est le bienvenu.
2. La pratique du don. Pas de monnaie sur le lieu du festival, aussi est-il encouragé de faire plus que du troc (ce qui se faisait lors des premiers festivals), du don. L’idée est d’offrir aux autres ce que l’on a, sans escompter recevoir en retour quelque chose de valeur égale.
3. La décommercialisation. Aucune transaction financière n’est acceptée, à quelques exceptions près (les tickets d’entrée, les boissons comme le café et le chai, les toilettes mobiles, etc.).
4. L’auto-suffisance radicale. Les Burners sont responsables de leur propre subsistance au milieu du désert. L’idée est que chacun est ainsi amené à vivre une expérience physique extrême, et donc à découvrir ses ressources intérieures, à s’en servir et à se reposer sur elles.
5. L’expression de soi radicale. Le festival est l’occasion d’exprimer son talent artistique, quel qu’il soit.
6. L’effort en commun. Coopération et collaboration sont des valeurs essentielles à tout Burner qui se respecte.
7. La responsabilité civique. Le respect de la loi (américaine, en l’occurrence) est impératif durant le festival.
8. Le zéro déchet. Le respect de l’environnement doit être entier, lui aussi. Chacun est donc tenu de nettoyer les lieux avant son départ.
9. La participation. Les spectateurs n’ont rien à faire là. Chacun se doit de se comporter en acteur de la fête.
10. L’immédiateté. L’important pour les Burners, c’est de vivre pleinement l’instant présent.
On le voit bien, Burning Man n’a rien à voir avec les clichés que véhiculent certains à son sujet, comme quoi il ne s’agit que d’un rassemblement d’hippies attardés, d’artistes alternatifs ratés et autres débauchés exhibitionnistes. Il est ici question d’une toute nouvelle façon de voir le management et le leadership, qui consiste à gérer les autres en commençant par se gérer soi, et ce avec une immense ouverture d’esprit. Rien de moins.
Par exemple, prenons le premier point, qui invite chaque membre de l’équipe à être bienveillant avec autrui, quel qu’il soit. Certains vont dire qu’il n’y a là rien de neuf, que chacun est tenu d’agir de la sorte avec ses collègues, mais je suis désolé, il s’agit plutôt d’un sous-entendu, jamais d’une règle clairement édictée. En réalité, on assiste plutôt à une attitude sans hostilité déclarée, mais latente : «Le petit nouveau, va-t-il m’obliger à changer ma routine de travail? Va-t-il chercher à me prendre ma place? Etc.» sont des interrogations qui surviennent à l’esprit de nous tous dans de telles situations, n’est-ce pas? De surcroît, on parle là de «bienveillance», c’est-à-dire plus qu’un accueil poli, mais inquiet ou indifférent, au nouveau venu. La bienveillance évoque, à mon sens, un intérêt réel pour l’autre et le souci de l’aider à s’épanouir dans l’environnement qui est le vôtre, et le sien aussi maintenant.
Autre exemple : l’effort en commun. Chaque Burner doit coopérer et collaborer avec les autres, dans la mesure de ses moyens. C’est ainsi que sont dressées d’incroyables installations architecturales ou artistiques en plein désert, sous un soleil de plomb, en dépit des tempêtes de sable. La contribution spontanée de chacun aux projets d’autrui permet la réalisation de constructions spectaculaires, voire d’œuvres remarquables. On aurait pu croire a priori que ces généreux élans de sympathie se traduiraient par une cacophonie monumentale, mais il n’en est rien, de toute évidence. Non, accorder une pleine autonomie aux membres de la communauté ne débouche pas sur l’abandon de projets intéressants, mais bel et bien par la concrétisation de projets communs qui, sans cet état d’esprit particulier, n’auraient jamais vu le jour.
Je vous invite à analyser de la sorte chacun des 10 principes fondateurs de Burning Man, et de regarder si certains d’entre eux ne pourraient pas être appliqués à votre propre équipe, à votre entreprise, ou à vous-même. Cet exercice ne vise pas, bien entendu, à vous convaincre des bienfaits de l’Utopie, mais à prendre du recul sur vos habitudes managériales. Bien fait, il devrait vous faire découvrir des pistes d’amélioration…
Une anecdote tirée du magazine Psychology Today est éclairante à ce sujet… Un Burner déambulait dans le désert, tout seul, à l’écart des Art Camps. Il est tombé sur un cellulaire sur lequel était collé un petit bout de papier où il était inscrit «Parle à Dieu». Il prend l’appareil, et dit «Allo?». Un silence. Puis, une voix masculine lui répond : «Respire». «Vas-y, respire en même temps que moi. Comme ça. Ça te fera le plus grand bien. Tu te sentiras moins anxieux, de ton futur comme de ton passé. Respire. Comme ça…» Et le Burner s’est mis à respirer lentement, très lentement, à fermer un temps les yeux, et à se détendre. Respirer lui faisait vraiment le plus grand bien.
Cette anecdote illustre à merveille le 10e principe du code de Burning Man, à mon avis le plus important de tous. Ce 10e principe tient en un mot : «L’immédiateté». L’important est de savourer l’instant présent, et lorsque celui-ci est pénible, d’en toujours dégager le côté positif. Une étude menée par des chercheurs de l’University of Georgia, Whitney Heppner et Michael Kernis, montre à quel point il est avantageux d’avoir une telle approche de la vie…
L’expérience était la suivante… Des personnes devaient intégrer un groupe de personnes passionnant (déterminé en fonction de leurs goûts personnels), et pour ce faire, obtenir le vote de plus de la moitié des membres de celui-ci. Elles effectuaient une courte présentation, de cinq minutes, puis devaient attendre le résultat du vote à l’écart. Fait important, auparavant, ces mêmes personnes devaient participer à ce qu’elles croyaient être un autre test : la moitié d’entre elles devaient déguster lentement de succulents raisins, et en déterminer le goût et la texture ; l’autre moitié ne devait rien faire d’autre que de patienter durant ce temps-là.
À chaque fois, les personnes étaient rejetées du groupe. Pourquoi? Parce que tel n’était pas l’objet de l’étude, mais plutôt ce qui suivait : les chercheurs proposaient alors aux personnes ainsi rejettées de crier tout ce qu’ils voulaient au visage d’une tierce personne, si elles pensaient que ça les soulagerait de leur frustration. Que s’est-il produit? Ceux qui avaient savouré du raisin n’ont pas vu l’intérêt d’agir de la sorte, et les autres, si.
Par conséquent, savoir vivre pleinement le moment présent est une qualité primordiale pour qui vit en société. «Cela diminue l’influence de l’ego et atténue le lien entre l’estime de soi et les événements dérangeants qui peuvent survenir dans notre environnement. Cela développe également l’empathie, c’est-à-dire que nous sommes plus à l’écoute d’autrui et même de soi», expliquent les deux chercheurs dans leur étude.
Ma suggestion est dès lors la suivante : et si, dès aujourd’hui, vous vous décidiez à être plus attentif à l’immédiateté… Peut-être commenceriez-vous à devenir un meilleur leader…
«Le sage ne s’afflige jamais des maux présents, mais emploie le présent pour en prévenir d’autres.» Qui a dit ça? William Shakespeare.
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