BLOGUE. Avez-vous déjà songé, un jour, à présenter votre démission? J’imagine que oui, le contraire serait étonnant. Maintenant, l’intéressant dans cette réflexion est de savoir ce qui vous a retenu de le faire (rares sont ceux qui passent à l’acte…). La peur de l’inconnu? La peur de ne pas réussir à rebondir? La peur encore de prendre une mauvaise décision que vous regretterez des années durant? Vraisemblablement un peu de tout ça, n’est-ce pas?
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Pourtant, on peut très bien percevoir la décision de démissionner comme un acte de courage. Oui, comme une décision mûrement réfléchie qui laissera tout le monde pantois devant tant de brio. Nombreux sont ceux qui auraient aimé le faire tout comme vous, mais n’ont jamais eu le cran de le faire. Ce qui fait toute la différence, ce sont les raisons de votre démission. Si vous faites un tel choix, c’est parce que vous avez de bonnes raisons. Le hic? Il n’est jamais aisé de les trouver, ces fameuses «bonnes raisons».
Je l’ai compris en parcourant un article très intéressant sur le sujet, intitulé The ethics of resigning et signé par Patrick Dobel, professeur à la Graduate School of Public Affairs de l’University of Washington. Cet article paru dans le Journal of Policy Analysis and Management fait le tour des raisons valables pour présenter sa démission, que l’on évolue en politique ou en entreprise…
Ainsi, M. Dobel considère que l’on est justifié de présenter sa démission lorsque son intégrité est affectée par la situation que l’on vit au travail. Son intégrité? Il est ici question du lien moral existant entre l’employé et l’employeur qui veut que l’un doit aider l’autre à vivre et grandir, dans la plus parfaite réciprocité, d’après le professeur américain. Si ce lien moral, ou cette promesse tacite si vous voulez, est égratigné, alors l’employé peut avoir une ou des raisons valables de mettre fin à l’entente convenue avec son employeur. Trois catégories de rupture de promesse sont mises au jour par le professeur de l’University of Washington…
1. Raisons personnelles
Des raisons purement personnelles peuvent amener l’employé à considérer qu’il convient de réfléchir au lien qui l’unit avec son employeur. On peut penser aux suivantes :
> Stress. La charge de travail qui lui est demandée est si lourde que la simple idée d’aller au boulot devient pénible. Le sénateur Sam Nunn ne s’est pas représenté à des élections, après avoir déclaré aux médias : «Chaque nuit, je fais des cauchemars. Au réveil, j’ai des maux d’estomac. Au moment d’entrer dans mon bureau, j’ai des vertiges. Il était grand temps pour moi de tout laisser tomber».
> Fatigue professionnelle. Le secrétaire à la Défense George Marshall, quand il a présenté sa démission au président Truman, a déclaré qu’il était «épuisé et incapable de continuer à assumer (ses) tâches».
> Routine. Après une carrière de 30 années en politique, Morris Udall a abandonné d’un coup tous ses mandats, en disant qu’il était «lassé» et qu’il ne parvenait plus à être «assez rigoureux dans (son) travail».
> Chute de performance. Le signe avant-coureur est décelable lorsqu’on ne veut plus – ou ne parvient plus – à remplir de menues tâches. Car cela indique que l’on se sent moins impliqué dans ce que l’on fait, et que graduellement on va chercher à en faire de moins en moins, au lieu de vouloir tout faire pour connaître un succès éclatant.
Bien entendu, on pourrait trouver d’autres raisons personnelles, si l’on y réfléchissait plus longuement. Mais on peut tout de suite passer aux autres, en particulier celles qui sont liées à la moralité…
2. Dilemmes moraux
Un employé, surtout s’il occupe un poste à responsabilités, peut se retrouver, un jour, dans une impasse professionnelle en raison d’un dilemme moral. Une situation insoutenable dont la seule sortie de secours semble être la démission.
> Éthique. Si l’on ne dispose pas des moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs – ou si ceux-ci sont réduits en cours de route – pour des motifs discutables sur le plan éthique, alors la personne concernée peut considérer l’éventualité de jeter l’éponge.
> Pression indue. Le ou les supérieurs hiérarchiques peuvent exiger de leur employé de commettre un acte illégal, ou du moins contrevenant à l’éthique. En 1973, le procureur Archibald Cox a donné l’ordre au président Nixon de lui remettre tous les enregistrements effectués en cachette par lui-même dans le bureau ovale. Nixon a refusé, prétextant que cela risquait de nuire à la sécurité des Etats-Unis, en cette période de vives tensions entre Israël et ses voisins arabes. Et Cox a insisté.
Le président des États-Unis a alors demandé à Elliot Richardson, le tout nouveau procureur général, de retirer le dossier des mains de Cox. Il a fait passer le message par son chef de cabinet Alexander Haig, qui a reçu pour toute réponse : «Je ne peux pas faire ça». Richardson était déchiré par la situation où il était : il devait la progression fulgurante de sa carrière à Nixon, mais il savait aussi qu’il n’y avait aucun motif valable pour écarter Cox. Haig est revenu à la charge, en disant : «Vous virez Cox, puis vous démissionnez». Mais là encore, Richardson a refusé : un tel geste aurait gravement nui à son image, d’autant plus qu’il était pressenti comme un candidat républicain potentiel pour les prochaines présidentielles. Il a donc tenu ferme, et tout le monde connaît la suite de l’histoire.
3. Efficacité réduite
Lorsqu’on n’a pas les ressources nécessaires pour mener à bien un projet, il est peut-être temps de réfléchir à la pertinence de rester au poste que l’on occupe. Quelles ressources, au juste?
> Ressources matérielles. Elles font défaut quand l’équipe dont on dispose et le matériel qui va avec ne permettent pas de répondre à vos besoins.
> Soutien hiérarchique. Il s’agit de l’appui que doivent vous donner vos supérieurs hiérarchiques, voire le PDG lui-même si le projet dont vous avez la charge est de taille.
> Attaques paralysantes. Si l’on fait l’objet de critiques virulentes, à l’interne ou à l’externe, alors on n’est plus en mesure de répondre aux attentes.
La liste, une fois de plus, est longue, en matière d’efficacité réduite à un point tel que la démission devient une option.
Grâce au travail de M. Dobel, je pense qu’il est désormais plus facile d’y voir clair, quand l’idée noire de la démission commence à vous trotter dans la tête. Deux scénarios sont dès lors envisageables : vous trouvez une ou des raisons suffisantes pour prendre la décision de présenter votre démission; ou au contraire, vous n’y voyez pas de raison suffisante de réellement démissionner, et décidez de… contre-attaquer!
Contre-attaquer? Le professeur de l’University of Washington émet à cet égard une suggestion qui me paraît intéressante : vous pouvez menacer de démissionner afin de remédier à la situation infernale que vous connaissez. Subtil!
Selon lui, menacer de démissionner peut permettre de :
> Faire passer un message. Votre supérieur hiérarchique prend connaissance du problème que vous rencontrez et, du même coup, comprend que c’est à lui d’agir s’il ne veut pas se retrouver lui-même directement concerné par ce problème, si jamais vous veniez à partir.
> Protéger votre intégrité. Ce point est crucial, si l’on en croit l’analyse de M. Dobel. En menaçant d’aller voir ailleurs, vous indiquez à tous que vous avez une éthique et que vous refusez d’y renoncer. Tout le monde ne pourra qu’en être admiratif, même ceux à qui votre décision déplait dans l’immédiat.
> Affirmer votre pouvoir. Toute menace est l’expression d’une forme de pouvoir. Ici, vous affirmez à autrui que vous avez le pouvoir de partir, et donc de compromettre un projet important, celui dont vous avez la charge. Face à ce danger, vos supérieurs hiérarchiques se devront de prendre vite une décision, celle qui leur causera le moins de tort (à vous de faire ces calculs au préalable…).
> Accroître temporairement votre marge de manœuvre. Votre menace correspond également à une sorte de déclaration d’indépendance. Désormais, vous êtes donc plus libre d’agir à votre guise, sans tenir compte des interdits imposés par autrui.
> Trouver une issue inespérée. Le fait de mettre le problème sur la table peut favoriser l’émergence d’une solution toute simple, à laquelle vous n’aviez pas pensé une seconde.
Cela étant, pour qu’une telle menace fonctionne, il faut impérativement que quatre conditions soient réunies :
1. La menace doit être crédible.
2. Vous devez être quelqu’un de respecté et de respectable.
3. Votre éventuel départ doit être une véritable nuisance pour votre supérieur hiérarchique, voire pour votre entreprise.
4. Les raisons pour lesquelles vous voulez démissionner doivent être claires et limpides pour tout le monde.
De quoi méditer, non?
En passant, l’écrivain et politicien français Maurice Druon a dit dans Le Pouvoir : «C’est toujours sur une démission collective que les tyrans fondent leur puissance»…
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