BLOGUE. Cela vous est sûrement déjà arrivé. Vous vous êtes allègrement embarqué dans une rue que vous ne connaissiez pas et vous êtes retrouvé coincé dans une impasse. Vous avez alors peiné pour faire demi-tour et sortir de là. Même chose au travail : on vous a confié une mission impossible, à tout le moins un dossier si complexe qu'il vous était difficile de vous en sortir tout seul avec les moyens du bord, si bien que vous avez dû vous résigner à appeler à l'aide, voire à trouver une "astuce" pour sauver les meubles. Pas vrai?
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Une fois sorti du pétrin, vous vous êtes juré de ne pas vous y faire reprendre. Que la prochaine fois que vous flairerez un coup tordu, vous vous méfierez et aurez la sagesse de dire «non merci» d'emblée. Et puis? Vous vous êtes, bien malgré vous, retrouvé une fois de plus dans la même situation.
La question est : «Comment faire pour s'extirper de ce cercle vicieux?». La bonne nouvelle, c'est qu'il y a une réponse à cette interrogation existentielle, logée dans l'étude Breaking free: Understanding leadership entrenchment and disruptive strategies signée par Jagdip Singh, professeur de marketing à l'École de management Weatherhead (États-Unis), assisté de son étudiante Sherry Sanger. Celle-ci montre qu'il y a une méthode simple pour s'échapper d'une impasse professionnelle…
Ainsi, les deux chercheurs ont noté qu'un récent sondage révélait que seulement 28% des cadres dirigeants américains estimaient que la stratégie adoptée par leur entreprise était «bonne». La grande majorité (60%) pensait carrément qu'elle était «mauvaise». Quant au reste, que les bonnes décisions stratégiques étaient «peu fréquentes». En conséquence, près de 3 cadres dirigeants américains sur 4 se trouvent contraints d'appliquer des mesures en lesquelles ils ne croient pas une seconde! Et vivent un enfer quotidien, puisqu'ils doivent agir en reniant leurs convictions!
Intrigués, M. Singh et Mme Sanger ont voulu vérifier les résultats de ce sondage, et si ceux-ci se révélaient exacts, comprendre le mécanisme cognitif qui permet à ces personnes de faire chaque jour le contraire de ce qu'ils pensent qu'il faudrait accomplir. Ils ont pour cela effectué des entrevues fouillées avec 23 vice-présidents du marketing de différentes entreprises, tant des PME que des multinationales. Puis, ils ont analysé en détail toutes les données recueillies.
Ils ont corroboré le fait que se retrouver dans une impasse est aujourd'hui monnaie courante :
> Impasses organisationnelles. Les impasses sont nombreuses et protéiformes au sein-même de l'entreprise…
– Résistance au changement. Les collègues n'aiment pas trop l'idée de changer leur façon de travailler, surtout lorsque celle-ci a porté fruits jusqu'à présent.
– Consensus. La nécessité d'obtenir le consentement de tous bloque certaines décisions qui pourtant ne peuvent attendre.
– Hubris du succès. Chez les Grecs, l'hubris désignait tout ce qui, dans le comportement de l'être humain, était considéré par les dieux comme démesure et orgueil. Ici, on peut voir l'hubris du succès comme l'enflure de l'ego des hauts-dirigeants, pour ne pas dire du PDG, laquelle se traduit souvent par des décisions «venues d'en haut» qui reposent davantage sur la passion enflammée que sur la froide raison.
– Pression du court-terme. Les résultats à atteindre sont toujours à brève échéance, rarement à moyen ou long terme, ce qui pénalise nombre de projets pourtant porteurs.
– Noyau dur. Toutes les réflexions sur les projets d'avenir sont menées en fonction du «noyau dur» des activités de l'entreprise, c'est-à-dire sur ce qui représente l'essentiel de ses activités et revenus. Le reste, même si son potentiel est conséquent, ne suscite guère d'intérêt.
– Esprits bornés. La compréhension des autres du secteur où l'on travaille (ici, le marketing) est limitée, voire nulle. Ce qui rend les idées neuves liées à celui-ci difficiles à communiquer.
> Impasses personnelles. Notre propre façon d'évoluer dans l'entreprise et de penser nous mène à des voies sans issue…
– Méconnaissance de l'entreprise. Ne sachant pas vraiment qui fait quoi, on ne parvient pas à trouver notre chemin dans notre univers de travail.
– Poids du savoir. Nos connaissances, surtout si elles sont pointues, nous empêchent de bien juger tout ce qui les contredit. Et donc, les idées neuves apportées par autrui.
– Poids du passé. Nos succès antérieurs ne nous permettent pas d'aborder correctement la nouveauté.
– Dépendence à autrui. Le fait de trop dépendre des autres pour faire nos choix nous limite par leurs propres limites.
– Über-réflexion. Trop réfléchir et trop analyser les tenants et les aboutissants d'un projet nous font perdre l'essentiel de celui-ci.
– Sens de l'urgence. Nous croyons – à tort – qu'il nous faut vite décider, ce qui peut mener à la catastrophe.
– Manque d'objectivité. Nos raisonnements sont alors biaisés.
Après ça, les deux chercheurs ont regardé comment ces mêmes personnes s'y prenaient pour s'échapper d'une impasse, en général. Voici leurs trouvailles :
> Impasses organisationnelles. Plusieurs moyens existent…
– Raconter une histoire. Pour bien communiquer une idée, il convient de la présenter sus la forme d'une histoire, d'un récit simple et captivant. Cela permet de capter l'attention d'autrui et de lui faire comprendre des choses qu'autrement il aurait du mal à saisir.
– Faire visualiser pour prouver. On le sait bien, une image vaut mille mots. Et mieux qu'une image, un prototype.
– Se faire des alliés. Avant de présenter votre idée tout de go, mieux vaut en parler ici et là à différentes personnes impliquées dans le projet. Leurs réactions vous permettront d'affiner votre idée et votre argumentation. Et vous pourrez même vous faire ainsi des alliés au moment de la présentation.
– Utiliser des données solides. Quelques chiffres "bétons" peuvent parfois suffire pour convaincre les autres.
– Chercher de l'aide ailleurs. Au lieu de fonctionner en vase clos, vous pouvez très bien songer à chercher d'autres talents susceptibles de vous aider à votre avancer votre projet.
> Impasse personnelle. Dans ce cas de figure, vous pouvez penser à…
– Corriger votre myopie. C'est-à-dire porter un regard neuf sur ce que vous faites et sur ce que font les autres, y compris ceux qui œuvrent en-dehors de votre champ de vision habituel. Cela peut permettre de mieux comprendre l'environnement dans lequel on évolue et d'identifier la bonne direction à prendre.
– Aller voir ailleurs. Vivre une expérience professionnelle dans un autre milieu que le vôtre vous ouvre de nouvelles perspectives.
– Confronter vos idées aux faits. Vos croyances sont-elles toujours les bonnes? Et si vous aviez le courage de le vérifier objectivement…
– Écouter au lieu de parler. Le principe est d'éviter de tuer dans l'œuf les idées d'autrui.
– Changer de point de vue. Mettez-vous à la place de l'autre. Vraiment. Faites l'exercice de penser comme lui, et vous aurez la surprise de découvrir des failles dans vos croyances.
– Prendre votre temps. Donnez-vous une journée de plus avant de trancher. Il paraît que la nuit porte conseil...
Voilà. Vous disposez désormais de trucs éprouvés pour éviter les impasses, que celles-ci proviennent de votre entreprise ou de votre propre fait. Et si jamais vous vous faites surprendre malgré tout, vous disposez également d'astuces pour faire un demi-tour plein d'élégance.
En passant, Stanislaw Jerzy Lec a dit dans ses Nouvelles pensées échevelées : «Il n'est point d'impasse là où on peut faire marche arrière».
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