BLOGUE. Il vous est sûrement arrivé, un jour, d’entrer dans une pièce et d’y sentir une ambiance lourde. Très lourde. Chacun se regarde en chiens de faïence, ou évite le regard des autres. Personne ne sourit. Tout le monde a le sentiment qu’un éclair va jaillir de nulle part et mettre le feu partout. Et qu’avez-vous alors fait? Rien.
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Oui, vous n’avez rien fait pour diminuer la tension qui régnait dans l’air. Vous vous êtes dit, comme nous le faisons tous en pareille situation, que cela passera tout seul, ou bien que si ça doit péter, eh bien, ça pètera. Bref, vous vous en êtes lavé les mains. Ce qui est une grave erreur, comme je l’ai appris dans une étude fort intéressante, intitulée Types, sources, costs & consequences of workplace conflict et signée par deux professeurs de management de l’Institute of Management Sciences de Peshawar (Pakistan), Muhammad Riaz et Fatima Junaid.
Ainsi, les deux professeurs pakistanais se sont plongés dans les principales études de ces dernières décennies portant sur les conflits au bureau et en ont tiré des enseignements susceptibles de nous éviter nombre d’écueils, à l’avenir. Ils ont pour cela commencé par dresser la liste de tous les types de conflits envisageables et par les ranger dans deux catégories :
> Conflits affectifs. Il s’agit des conflits entre deux entités – individus, groupes, organisations – dont les caractères et les émotions sont incompatibles. On peut penser à la jalousie, à la peur, au ressentiment, à la frustration, etc.
> Conflits substantifs. Ils surviennent lorsque les deux entités se disputent à propos de leurs champs de compétence ou de leurs missions respectives. Il est ici surtout question de «territoire».
Bien entendu, il peut arriver que certains types de conflit entrent dans les deux catégories à la fois : par exemple, deux collègues peuvent se chicaner parce qu’ils postulent pour un même poste (substantif), et ce, avec en arrière-fond une jalousie inconsciente de l’un par rapport à l’autre depuis que celui-ci s’est acheté une splendide voiture sport (affectif).
Puis, les deux chercheurs ont identifié quatre sources de conflit potentielles. À savoir :
> Source intrapersonnelle. On peut être en conflit avec soi-même, notamment lorsqu’on souffre à cause des tâches qui nous sont demandées, ou encore du manque de marge de manœuvre pour mener à bien son mandat. Cela se produit généralement lorsqu’on occupe un poste qui ne nous convient pas.
> Source interpersonnelle. Les conflits entre deux personnes sont monnaie courante. Ils peuvent survenir entre deux collègues, mais aussi entre un employé et son supérieur hiérarchique.
> Source intragroupe. Bien souvent, le conflit se produit dans ce cas entre le leader et les membres de son équipe. Et ce, pour trois raisons potentielles : le leader ne traite pas tous les membres de l’équipe sur le même pied d’égalité; les membres de l’équipe se liguent contre le leader; ou des membres de l’équipe font sécession et forment un sous-groupe agissant en-dehors de l’autorité du leader.
> Source intergroupe. Quand l’organisation a une structure complexe, à tel point que les champs de compétence et les mandats des uns et des autres ne sont pas clairement définis, des équipes finissent par se marcher sur les pieds.
Maintenant que les conflits de bureau sont catalogués et leurs sources répertoriées, la logique de la démarche des deux chercheurs veut que l’on s’intéresse aux coûts de ces conflits. C’est ce qu’ils ont fait, ce qui nous donne l’occasion de découvrir pourquoi il ne faut jamais laisser perdurer une situation tendue…
> Coût pour l’organisation. Une étude menée en 2008 par le Charter Institute of Personnel & Development auprès de quelque 5 000 employés d’Europe et d’Amérique du Nord a mis au jour le fait que la mauvaise gestion de conflits de bureau faisait perdre entre 0,9 et 3,3 heures de travail par semaine à toute l’organisation! Comment cela? Surtout par la hausse de l’absentéisme et du présentéisme.
> Coût pour l’employé. Stress, perte de confiance en soi, frustration, anxiété, etc. Les maux individuels sont innombrables. Si rien n’est fait, cela peut virer à la maladie, et donc à des absences du bureau répétées.
> Coût pour le client. Une étude menée en 2009 par Arnold Buss, professeur de psychologie de l’University of Texas at Austin, montre que tout conflit de bureau amène une baisse de la qualité du produit ou du service offert par l’entreprise. Et cette baisse est très dommageable si l’entreprise évolue dans un secteur hypercompétitif.
Impressionnant, n’est-ce pas? Vous comme moi, nous imaginions bien qu’un conflit de bureau était néfaste, mais – soyons honnêtes – nous ne réalisions pas vraiment que cela pouvait aller aussi loin… Les deux professeurs pakistanais se sont d’ailleurs amusés à dresser la liste les conséquences possibles, validées par différentes études. Une liste qui fait froid dans le dos :
Chute du moral des troupes; baisse de la productivité; roulement du personnel excessif; baisse de la qualité de la production; incapacité à respecter les deadlines; hausse des coûts de supervision; vols et autres sabotages commis par les employés; augmentation des problèmes psychologiques; diminution de la collaboration; comportement inadéquats; fractionnement des activités; chute de la crédibilité des managers; insatisfaction de la clientèle; baisse des revenus et des profits; etc.
Cela étant, une bonne nouvelle transparaît en filigrane dans l’étude de M. Riaz et de Mme Junaid. Laquelle? Le fait que les conflits peuvent être… une bonne chose!
Oui, oui, vous avez bien lu. Une bonne chose. Car le problème d’un conflit ne résulte pas de son apparition – des conflits, il y en aura toujours, c’est humain… –, mais de son pourrissement. Si l’on intervient vite et bien, le conflit peut être résolu, et mieux, permettre d’apporter des améliorations à ce qui ne fonctionnait pas correctement.
Pour preuve, plusieurs études de Karen Jehn, professeure de management de la Melbourne Business School (Australie), indiquent que des conflits d’intensité modérée «favorisent la discussion et le débat» et «aident les groupes à atteindre un niveau de performance supérieur». Et ce, parce que c’est l’occasion de discuter de points de vue divergents et d’envisager des solutions dont personne n’avait jusqu’alors discuté ouvertement.
Voilà… Les conflits sont naturels, reste à avoir l’intelligence d’en tirer profit. Ou plutôt, à avoir le cran de regarder la réalité en face, même si elle parait a priori déplaisante, puis de s’attaquer au fond du problème avec lucidité et fermeté. Autrement dit, la prochaine fois que votre sixième sens vous dira qu’il y a de la tension dans l’air, prenez une grande respiration et lancez à la cantonade : «Bon, c’est quoi le problème, au juste?»
En passant, le penseur français du 17e siècle Fénelon a dit dans Les Aventures de Télémaque : «Le vrai courage ne se laisse jamais abattre»…
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