BLOGUE. La Syrie est à feu et à sang. Le Liban est sur le point de rebasculer dans la guerre civile, par l'effet de contagion de la violence. Et – qui sait? –, d'autres pays voisins pourraient entrer dans la danse macabre, comme la Jordanie, par exemple. La question saute aux yeux : y a-t-il un moyen d'arrêter cette spirale de l'horreur?
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La réponse, la voici : oui, il y a un moyen. Un moyen connu, mais complexe à mener à bien. Il s'agit de la médiation. C'est ce qui ressort de l'étude intitulée Leadership change and mediation in civil war, signée par Carmela Lutmar, professeure de management à Princeton (États-Unis), et Lesley Terris, professeure de sciences politiques au Centre interdisciplinaire Herzliya (Israël). Celle-ci montre en effet que la médiation est un procédé efficace pour mettre fin de manière durable à une guerre civile, mais à certaines conditions…
Ainsi, les deux chercheuses ont plongé dans les livres et autres analyses fouillées sur les guerres civiles et ont relevé quelques chiffres fort intéressants :
> Entre 1989 et 2001, on a enregistré 111 conflits militarisés dans le monde entier. Parmi ceux-ci, seulement 7 concernaient un conflit entre deux États souverains. Autrement dit, la grande majorité des conflits actuels n'ont plus rien à voir avec les guerres d'antan, où deux pays se tapaient dessus jusqu'à ce que le plus fort l'emporte. Non, aujourd'hui, les conflits concernent des guerres atypiques, comme la guerre civile.
> Entre 1940 et 1990, 55% des conflits entre deux États souverains ont été résolus grâce à la médiation. Ce pourcentage tombe à 20% quand il s'agit de guerres civiles.
Mmes Lutmar et Terris ont alors voulu en savoir plus sur les raisons pour lesquelles la médiation fonctionne moins bien pour les guerres civiles. Et par suite, sur ce qui permettrait d'améliorer leur efficacité dans un tel cas. Elles ont pour cela analysé quantité d'écrits et de bases de données sur les guerres les plus récentes, à l'image des recherches de DeRouen sur les efforts de médiation dans quelque 150 guerres civiles qui ont eu lieu entre 1946 et 2004 un peu partout sur la planète, ou encore d'enquêtes réalisées par LexisNexis et autres Keesing's World sur le sujet.
Elles ont découvert que les guerres civiles présentaient quatre particularités que n'ont pas les guerres classiques et qui font que la médiation peine à réussir :
1. Les parties en conflit doivent vivre ensemble, une fois la paix revenue. Trouver un terrain d'entente durable est par conséquent nettement plus difficile que dans le cas où deux pays en guerre reviennent, à la fin, chacun chez eux, derrière leurs frontières.
2. S'il y a médiation, c'est que le gouvernement en place n'a pas su résoudre tout seul le problème qui a provoqué le conflit avec les rebelles. Une fois la paix revenue, le gouvernement va donc irrémédiablement souffrir d'un manque de crédibilité aux yeux du peuple. C'est pourquoi il arrive que des gouvernements fassent tout leur possible pour éviter une médiation.
3. Dès qu'il y a médiation, une certaine forme de légitimité est apportée aux rebelles. Ces derniers sont, lors des négociations, présentés sur un pied d'égalité avec le gouvernement. Or, nombre de gouvernements préfèrent ne pas accorder une telle faveur à leurs opposants les plus farouches.
4. Enfin, les médiations échouent souvent parce que l'une des parties n'est pas sincère dans les négociations entreprises par le médiateur. C'est-à-dire que l'un des deux ne joue pas le jeu, profitant sournoisement des discussions pour, par exemple, renforcer ses troupes et accroître sa force de frappe.
Ce n'est pas tout! Les deux chercheuses ont trouvé une autre raison fréquente de l'échec de la médiation : le timing. De fait, rien ne sert d'entamer des discussions si les deux parties en conflit n'y sont pas disposées. Il faut par conséquent faire intervenir un médiateur ni trop tôt ni trop tard. Et ce détail-là les a intéressées au plus haut point. Pourquoi? Parce que si le timing est bon, alors toutes les chances sont du côté du médiateur. Si bien qu'il suffirait, vraisemblablement, de mieux manier l'art du timing pour résoudre davantage de guerres civiles.
Le hic? C'est plus facile à dire qu'à faire. Pourtant… Oui, Mmes Lutmar et Terris ont déniché la perle rare au fil de lectures. Elles ont peut-être bien trouvé un truc génial pour manier au mieux cet art périlleux. Lequel? Eh bien, ce qu'elles appellent la théorie du Nouveau Leader.
La théorie du Nouveau Leader? Elle se résume au fait que l'avènement d'un nouveau leader à la tête d'une des parties en conflit est une occasion en or pour entamer de nouvelles négociations, en particulier via la médiation. Grosso modo, un tel événement représenterait le timing idéal pour trouver le moyen de renouer avec la paix. Et ce, pour de multiples raisons :
> Le nouveau leader n'est pas tenu par les promesses de son prédécesseur. Il peut donc faire des concessions que l'autre n'aurait jamais acceptées de faire.
> Le nouveau leader est en général symbole de changement aux yeux du peuple. Il peut donc envisager des solutions jusqu'alors rejetées, comme la médiation.
> Le nouveau leader bénéficie presque toujours d'une courte période de grâce, durant laquelle il peut se permettre de prendre des décisions impopulaires, mais qui seront acceptées, voire oubliées, à la longue, par le peuple.
> Le nouveau leader est souvent plus jeune que son prédécesseur, et donc plus "flexible" envers la solution à trouver au conflit.
> Enfin, les rebelles n'ont en général guère de raisons d'en vouloir personnellement au nouveau leader, en tout cas moins de raisons qu'ils en avaient pour son prédécesseur. Ils peuvent donc voir son arrivée d'un bon œil, ce qui représente une occasion à saisir au plus vite, avant que cela ne se dégrade.
Fortes de cette théorie, les deux chercheuses ont scruté à la loupe les guerres civiles qui ont trouvé une fin grâce à la médiation et qui ont vu l'arrivée d'un nouveau leader juste avant les discussions finales. Résultat? Des enseignements lumineux :
> Quand le nouveau leader survient du côté du gouvernement, le timing est parfait pour la médiation, car l'ouverture aux discussions avec les rebelles est alors maximale.
> Quand le nouveau leader survient du côté des rebelles, l'inverse se produit : c'est le pire timing possible. Pourquoi? Pour plusieurs raisons, la principale étant que le nouveau chef des rebelles n'a en général pas pour priorité de faire la paix, mais de s'imposer à l'ensemble de ses troupes.
> Plus le leader des rebelles est en poste longtemps, plus il s'ouvre à une médiation.
> Plus les groupes rebelles sont nombreux, et donc les chefs nombreux, plus les chances d'une médiation de voir le jour sont minces.
Que retirer de tout cela à l'échelle de votre travail? De votre façon de diriger votre équipe? C'est très simple. Imaginons qu'un conflit survienne parmi les vôtres, même un conflit mineur. On peut voir cela comme une mini-guerre civile : deux camps se forment, d'une part les forces loyales au boss, d'autre part, les forces rebelles, menées par un leader occasionnel. Si le conflit s'envenime, mieux vaut alors songer à la médiation, c'est-à-dire demander à quelqu'un d'externe d'intervenir pour rétablir le dialogue et trouver une solution satisfaisante pour tous. Oui, quelqu'un d'externe comme un manager issu d'une autre division, un dirigeant d'une autre entreprise, voire un consultant rompu à cet exercice.
Et si cela ne fonctionne guère, il pourrait être sage d'appliquer la théorie du Nouveau Leader. Par exemple, on pourrait imaginer que le boss se retire du conflit et délègue toute son autorité à une autre personne, bien entendu dans le seul cadre du dossier en question. Cela lui permettrait de ne pas perdre la face après les éventuelles concessions faites par son délégué, et même de réussir à avaler sans trop de mal des pilules amères qu'il aurait sinon refusé catégoriquement de considérer.
Intéressant, n'est-ce pas? Je suis sûr que vous avez déjà en tête des images de conflits survenus au bureau qui auraient pu être bien résolu, si l'on avait eu recours à la médiation. À une médiation parfaitement "timée". Pas vrai?
En passant, le poète latin Lucain a dit dans Pharsale : «Dans une guerre civile, la victoire même est une défaite».
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