BLOGUE. Imaginons que votre équipe doive faire face à un défi impressionnant et imprévu. Que son existence même soit en jeu. Oui, que l’enjeu soit si grand que vos équipiers – et vous-même – ayez l’impression de vous retrouver brutalement en plein Mission : Impossible. Supposons encore que le défi ne vous fait pas paniquer, au contraire, un peu à l’image de Tom Cruise. Comment agiriez-vous pour le relever?
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J’imagine que votre premier réflexe serait, comme dans le film, de vous assurez que vos équipiers sont les meilleurs pour remplir la mission, de mettre au point une stratégie géniale, puis de la mettre en oeuvre à la vitesse de l’éclair, avec une redoutable efficacité. Pas vrai? Eh bien non, ce n’est pas vrai, une fois de plus…
En effet, quand on regarde ce qui se produit en général lorsqu’une équipe est confrontée à un gros pépin, on voit rarement les événements se dérouler comme dans Mission : Impossible. Des doutes surgissent; des envies de défection se font sentir dans les rangs; les supérieurs hiérarchiques mettent davantage de pression sur l’équipe, croyant que cela va contribuer à resserrer les rangs; la solution miraculeuse se fait attendre; personne n’ose passer à l’action, de peur de se tromper et d’en payer le prix; etc. Bref, tout le monde sait qu’on va droit dans le mur et croise les doigts pour en ressortir le moins amoché possible.
Pourtant, il y a moyen d’agir efficacement face à l’adversité, même si l’on n’est pas un héros de film. Ce moyen, je l’ai déniché dans une étude très intéressante intitulée Designing for complexity : Using divisions and hierarchy to manage complex tasks et signée par Yue Maggie Zhou, professeure de logistique à la Robert Smith School of Business de l’University of Maryland. Celle-ci met au jour la méthode idéale pour s’attaquer de front – soi et son équipe de travail – à un problème si complexe qu’on en tremble rien qu’à y penser…
Ainsi, la chercheuse s’est plongée dans tout ce qui a déjà été écrit sur le sujet, des années 1960 à aujourd’hui, et en a tiré plusieurs enseignements, qu’on peut résumer de la sorte :
– Quand elles sont confrontées à un grand défi, les organisations ont en général le réflexe de mettre en place plusieurs groupes spécialisés à même de résoudre différentes parties du problème. Pourquoi ça? Parce que c’est le plus logique : mieux vaut subdiviser un gros problème en plusieurs petits problèmes, et confier chacun d’eux à des experts plutôt qu’à des généralistes.
– Le hic? Il faut dès lors organiser une coordination entre les différents groupes qui planchent sur le gros problème rencontré, sans quoi chacun va travailler de son côté, à l’aveugle. Et l’efficacité ne sera pas au rendez-vous. À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire : les managers se retrouvent avec un surplus de travail, à savoir cette fameuse coordination, laquelle peut être très complexe à gérer. Et ce surplus de travail risque de miner leur efficacité globale.
– Du coup, les organisations ont souvent tendance à subdiviser davantage les tâches, par exemple en créant un groupe supplémentaire prenant en mains la coordination du travail de tous les groupes existants. C’est-à-dire que plus on divise le travail, plus on a tendance à le diviser encore et encore si l’on trouve la mission à remplir vraiment complexe. Autrement dit, plus on trouve un problème complexe, plus on complexifie la structure de son organisation!
Tout cela ne vous évoque-t-il rien de déjà vécu? J’en mettrais ma main au feu…
On le voit bien, à force de vouloir agir de manière logique, on en arrive à des solutions illogiques. Du moins, c’est ce qui me semble a priori. Et c’est aussi ce qui semblait à Mme Zhou, qui a voulu en avoir le cœur net. La chercheuse a donc décidé de voir si ça se vérifiait sur le terrain. Elle s’est plongée dans différentes banques de données sur les entreprises américaines, comme celles du Bureau of Economic Analysis (BEA), de LexisNexis et de Compustat, pour se concentrer sur 1 029 compagnies manufacturières d’équipement industriel. Son idée? Analyser comment elles ont réagi concrètement face à des situations complexes – ces entreprises ont des chaînes de production appelées à être modifiées en fonction des circonstances –, et si les solutions trouvées ont été payantes, ou pas.
Sautons sans plus tarder aux résultats : Mme Zhou a mis au jour quatre règles fondamentales à propos des problèmes complexes rencontrés par les organisations…
1. Plus le problème est complexe, plus les organisations ont intérêt à répartir le travail à accomplir entre différents groupes spécialisés;
2. Tant que le problème est répartissable, on a intérêt à le répartir;
3. Plus le problème est complexe, plus on a intérêt à renforcer la hiérarchie;
4. Plus le problème est réparti, plus la hiérarchie perd de sa pertinence.
Bon, je sais que ces quatre points ne sont pas évidents à saisir à la première lecture. C’est pourquoi je vais essayer de vous en présenter l’essentiel d’une autre manière.
En fait, c’est très simple. La subtilité, à mon avis, réside dans la toute fin de la quatrième règle, dans le passage qui dit que «la hiérarchie perd de sa pertinence». La hiérarchie est nécessaire quand il s’agit d’attribuer les différentes tâches à différentes équipes d’experts et de coordonner le travail des uns avec les autres, c’est indéniable. Et elle doit être alors renforcée, en ce sens que ceux qui doivent prendre des décisions importantes doivent avoir assez de pouvoir pour faire appliquer leurs plans stratégiques.
Mais voilà, elle commence à se faire pesante, pour ne pas dire contre-productive, à partir du moment où elle en fait plus que ça. Cela se traduit notamment par une pression excessive sur les managers et leurs équipiers, par des directives qui ne collent pas à la réalité du terrain, par – que sais-je encore? – des recompositions d’équipes qui n’ont guère de sens.
Maintenant, comment savoir quand la hiérarchie en fait trop? C’est là que réside tout le sel de l’étude de Mme Zhou. On en fait trop, quand on est un leader, à l’instant même où l’on prend une décision alors que le problème n’est plus répartissable, quand on intervient alors que ce n’est plus à nous de le faire, mais à ceux que l’on a nommé pour cela. Oui, on en fait trop quand on ne laisse pas les coudées franches à son bras droit… et même à son bras gauche.
Le secret de la réussite face à une mission impossible est donc fort simple : mettez-en place les meilleures équipes pour résoudre le problème, arrangez-vous pour qu'elles soient complémentaires et oeuvrent de concert, puis… laissez-les vivre!
Instructif, n’est-ce pas? Qu’en pensez-vous? Cela vous fait-il réaliser des erreurs que vous-même, ou des collègues, avez commises un jour? Cela vous éclaire-t-il, entre autres, sur la fâcheuse manie que nous avons tous, à plus ou moins grande échelle, à vouloir contrôler là où l’on devrait se contenter de superviser?
En passant, le chef autrichien Herbert von Karajan aimait à dire : «L’art de diriger consiste à savoir abandonner la baguette pour ne pas gêner l’orchestre»…
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